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Avant les Gilets jaunes : ce que les crises politiques similaires ont coûté à la France dans le passé
©Capture d'écran Paris Match

L'avenir est un long passé

Même si gouverner avec l’opinion contre soi est devenue l’ordinaire de la vie du pouvoir, les exemples historiques montrent qu'un pouvoir sourd au revendication du peuple conduit à des tensions sociales.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Atlantico : Derrière le rebond au sein des enquêtes de popularité, et le succès présenté des premières étapes du grand débat, ne peut-on pas voir un risque, pour le gouvernement, de penser que la séquence s'achève alors que la sympathie et le soutien au mouvement des Gilets jaunes reste majoritaire au sein de la population Française?

Bruno Cautrès : Oui, il est certain que le succès, réel, du Grand débat ne signifie pas la fin du mouvement des Gilets jaunes. Le niveau de mobilisation et le niveau de soutien dans l’opinion se maintiennent et se sont stabilisés. Ainsi, hier on comptait encore de l’ordre de 50.000 participants dans toute la France et il y a quelques jours un sondage montrait même que le soutien dans l’opinion pouvait encore progresser. Nous avons les deux processus (Grand débat et manifestations) en parallèle, comme une sorte de match à distance entre le gouvernement et les Gilets jaunes. La séquence n’est donc pas achevée du tout. Bien sûr, le nombre de manifestants est en baisse, notamment si on le compare aux débuts ; bien sûr que la partie « radicale » ou « radicalisée » et violente a pris de l’importance par rapport à la partie authentiquement « gilets jaunes » ; mais cette partie-là existe toujours et se maintient quand même à un certain niveau dans les rues le samedi.

Emmanuel Macron pourra-t-il s'extraire durablement des revendications des Français, notamment en termes de pouvoir d'achat, de chômage... ou d'autres questions qui restent leurs priorités ?  

Encore moins ! Non seulement ces revendications sont toujours là (surtout celle du pouvoir d’achat), mais le Grand débat leur donne un nouvel écho : la question de la justice sociale est clairement présente dans les réunions du Grand débat, notamment au travers la question de la justice fiscale. Et ce n’est pas seulement la question de l’ISF, dont le retour (dans sa partie qui avait été supprimée) semble assez soutenu dans les débats ; c’est aussi la question de la TVA avec une idée qui revient fréquemment, celle d’une taxation moins forte voire nulle sur les produits de première nécessité. La question des services publics et de leur maintien à un haut niveau de protection sociale est également là.

Quel risque y a-t-il, aussi bien pour le gouvernement que pour le pays, de poursuivre ce Grand débat sur une approche technique plus que fondamentalement politique, qui semble permettre d'évacuer l'essentiel en se concentrant sur des détails ?

Le risque serait de ne pas traiter le fond du problème. Le fond du problème c’est la question de l’équilibre des choix de politiques publiques décidés par Emmanuel Macron depuis son élection. Le paramétrage technique des décisions ou des débats est toujours l’aspect sur lequel les gouvernements sont à l’aise : c’est la machine de l’Etat et de ses modes de raisonnements, avec ses arguments techniques ou juridiques qui à un moment donné doivent bien être pris en compte. Mais ces aspects techniques peuvent donner le sentiment de préparer le « retour du réel » : si les Français ont le sentiment qu’on les a fait débattre de tout mais qu’à la fin on leur explique que les obstacles techniques et juridiques sont plus importants, alors la frustration pourrait être importante. Ce sera à Emmanuel Macron de donner le sens politique aux conclusions du Grand débat et de retisser une narration cohérente. Il a opté pour une stratégie de « saucissonner » le Grand débat (les élus, les DROM-COM, les jeunes etc…) mais il lui faudra donner une direction et un sens général et cohérent à l’issue.

Existe-t-il des exemples historiques en France, d'une situation ou une minorité dirige le pays selon une ligne politique majoritairement rejetée par la population ? Quels en sont les enseignements ?

Il y a plusieurs niveaux historiques possibles pour répondre. Sur le court terme, au cours des quinze ou vingt dernières années, nous nous sommes habitués à voir des gouvernements « impopulaires ». Gouverner avec l’opinion contre soi ou avec l’opinion négative est devenue l’ordinaire de la vie du pouvoir. Il faut dire que la négativité de l’opinion vis-à-vis des responsables politiques atteint des sommets en France, comme le montre chaque année l’enquête Baromètre de la confiance politique du CEVIPOF !

Si l’on prend plus de recul historique, on voit que plusieurs périodes de l’histoire de France ont été profondément marquées par le rejet du pouvoir par la population ou même par une partie des élites politiques. Il faut être prudent avec les métaphores ou les comparaisons historiques, car comme l’on dit « comparaison n’est pas raison » ; mais si l’on pense par exemple à la fin de la Restauration, entre 1828 et 1830, avant la Révolution de 1830, on peut parler d’une rupture profonde entre la réalité du pays et les Bourbons. L’opposition libérale qui était portée par un profond mécontentement trouvant ses racines dans l’hostilité à Villèle mais aussi dans la profondeur de la crise économique, mais aussi la poussée de la « gauche », avait porté les contradictions très fort avec le pouvoir de centre-droit et le Roi. Le pouvoir semblait alors totalement sourd et aveugle aux aspirations profondément libérales de la jeunesse française, sensible aux idées nouvelles. Cela avait d’ailleurs conduit une partie des opposants à se lancer dans l'action illégale (la Charbonnerie, mouvement secret destiné à faire triompher les idées libérales, fondée en 1821, se développe rapidement). Si la comparaison touche vite ses limites, on voit que les périodes dans lesquelles les oppositions et les aspirations ne sont pas assez prises en compte et socialement traitées finissent souvent par créer des tensions politiques très fortes. 

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