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8% à un premier tour de présidentielles: ce que la droite pourrait proposer pour déjouer les sondages qui tuent
©LUDOVIC MARIN / AFP

Nouvelle droite

Un sondage IFOP pour Marianne basé sur les intentions de vote au premier tour de l'élection présidentielle de 2022 si elle avait lieu demain prédit un match très serré entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen ainsi qu'une explosion du vote blanc.

Frédéric Mas

Frédéric Mas

Frédéric Mas est journaliste indépendant, ancien rédacteur en chef de Contrepoints.org. Après des études de droit et de sciences politiques, il a obtenu un doctorat en philosophie politique (Sorbonne-Universités).

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Atlantico : Selon un sondage IFOP pour Marianne publié ce 7 février, Emmanuel Macron sortirait victorieux (30%) du premier tour d'une d'élection présidentielle anticipée, devant Marine Le Pen (27%), alors que les LR seraient seraient marginalisées (8%). En considérant l'improbabilité d'une victoire de Marine Le Pen au second tour, alors que le "total droite" est bien supérieur au total gauche, comment dresser le portrait politique d'une plateforme - un programme - de droite à même de rassembler cet électorat en vue de remporter la présidentielle ? 

Frederic Mas : L’équation programme est à la fois très simple à exposer et très compliquée à mettre en œuvre : il s’agit de concilier autorité et liberté, l’ordre et la loi, sans se laisser entraîner par le vent dominant du populisme, cette passion démocratique, au sens de Tocqueville, contre les institutions et les élites.

La tension entre autorité et liberté recoupe celle historique entre d’un côté les traditions politiques autoritaires légitimiste et bonapartiste et de l’autre celle libérale, ou « orléaniste » pour reprendre l’expression de René Rémond. Les premières exigent un Etat fort, dont la souveraineté politique doit non seulement gouverner mais aussi imprimer une direction à la société, voire à l’économie. La seconde est plus soucieuse des libertés publiques, de la liberté de commerce et de défendre les principes de la démocratie représentative.

La cinquième république a tranché très nettement en faveur du modèle autoritaire. Le général de Gaulle avait besoin d’une constitution qui l’aide à sortir de la crise algérienne, et pas du parlementarisme libéral qu’il jugeait inefficace et dépassé. C’est ce modèle autoritaire, volontiers dirigiste, dont se réclamait la droite gaulliste à l’origine. Il est aujourd’hui repris par le rassemblement national de Marine Le Pen, qui caracole en tête dans les sondages et taille des croupières aux gaullistes historiques.

La tradition libérale, quant à elle, a pratiquement disparu avec le centre droit lui-même : l’élection d’Emmanuel Macron, grâce au ralliement de François Bayrou, a rassemblé autour de lui les centrismes, faisant place nette à droite comme à gauche et disparaître en même temps le seul espace politique où il se donnait à voir.

Rééquilibrer les programmes à droite en faveur de la liberté, c’est-à-dire pour un Etat de droit fonctionnel, une fiscalité qui ne soit plus confiscatoire et une véritable décentralisation permettrait d’occuper un espace que plus personne ne songe à occuper, à droite comme à gauche. Stratégiquement, le tournant sécuritaire du macronisme pourrait offrir à la droite l’occasion de se positionner comme le principal défenseur des libertés fondamentales et d’un Etat de droit pris en tenaille entre un exécutif sans contrôle et un mouvement des gilets jaunes en voie de récupération par ses éléments les plus radicaux.

Edouard Husson : Le résultat du sondage IFOP daté du 7 février 2019 est intéreressant dans la mesure où son premier enseignement est l’effondrement de LR. La descente en enfer, entamée avec l’auto-destruction du parti adonné à la guerre des chefs en 2017, n’en finit pas: si les chiffres sont pris au sérieux, Laurent Wauquiez est en passe de rejoindre Benoît Hamon, LR de devenir aussi faible que le PS. Il faut même aditionner les scores fictifs de Hamon et Faure, pour constater que Wauquiez est plus faible que la somme des candidats d’un PS divisé. Il faudrait disposer de données plus fines mais on voit bien que l’électorat LR se dirige, dans l’ordre: vers le vote blanc, vers Marine Le Pen, vers Emmanuel Macron, vers Nicolas Dupont-Aignan, vers JC-Lagarde. On regrettera que l’hypothèse d’une nouvelle candidature d’Asselineau n’ait pas été testée mais cela ne change rien pour l’analyse ici. 
L’hypothèse de second tour ici présentée montre à la fois une réduction considérable de l’écart entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen; mais la présidente du Rassemblement National semble toujours incapable de gagner, malgré l’affaibilissement considérable d’Emmanuel Macron. A la fois elle bénéficie de son nouveau pragmatisme concernant l’euro; mais elle ne convainc pas cette frange du parti de l’ordre social qui explique l’actuelle remontée du Président dans les sondages. Marine Le Pen n’en finit pas de payer son double choix erroné: celui de 2013, de ne pas soutenir à fond la Manif pour Tous; et celui de 2017, la tentative d’unir les populismes au lieu de profiter de son enracinement populaire pour essayer de rallier à elle une partie de la droite des épargnants et des rentiers mais aussi les créateurs de richesse et achever la construction d’un grand parti de la droite populaire, entrepreneuriale et conservatrice. 

Une des aspirations fortes de l'électorat de droite est la reprise de contrôle. Est-ce qu'une forme de néo-thatchérisme, ou un "trumpisme" éclairé pourrait rassembler une grande partie de cet électorat ?

Frederic Mas :Il existe une aspiration commune à une frange de la droite, mais aussi à une frange de la gauche, à se réapproprier un pouvoir politique qu’elle estime confisquée par des élites « hors sol ». C’est un thème qui a été abordé magistralement par Samuel Huntington pour les Etats-Unis dans son livre de 2004 sur l’identité américaine. La « dénationalisation » des élites entraînée par la mondialisation rend ses intérêts étrangers, voire concurrents, à ceux des peuples dont les moyens de subsistance restent enracinés et dépendant des territoires nationaux. Le problème, c’est que c’est cette élite dénationalisée qui a l’oreille des gouvernants, et qui tend à se passer du consentement du peuple quand ses intérêts sont en jeu.

Le conservatisme de Margaret Thatcher pourrait offrir un bon exemple de l’alliance possible entre liberté et autorité, le tout porté par une femme politique issue de la classe moyenne ordinaire. Son accession au pouvoir a permis de débloquer une situation politique et économique catastrophique grâce au libre-échange dont elle se fit le héraut infatigable. N’oublions pas qu’en 1976, les Britanniques sont obligés d’appeler à l’aide le FMI ! C’est cependant son autorité, en particulier en politique étrangère, qui la rende populaire à droite. Son intransigeance avec l’Argentine pendant la guerre des Malouines, son soutien inconditionnel à l’allié américain contre le Bloc de l’est ou encore son nationalisme face à ses partenaires européens lui ont sans doute valu beaucoup plus d’admiration que ses réformes fiscales, pourtant nécessaires.

Si le thatchérisme peut être source d’inspiration, la droite française doit pouvoir trouver sa propre voie en puisant dans l’histoire nationale : elle ne pourra se faire aimer si elle est perçue comme un pur produit d’importation.

Le trumpisme est un populisme anti-establishment qui me semble plus difficilement transposable à la situation européenne, tant la figure du gagnant dans le domaine des affaires s’est révélée suffisamment efficace pour « disrupter » l’ensemble de la classe politique traditionnelle.

Edouard Husson : Le thatchérisme relève du passé. Il était de droite dans la mesure où il était d’abord un anti-socialisme; mais le mouvement a affaibli le conservatisme britannique puisqu’il a, par son individualisme économique, ramené la coupure de la société britannique en “deux nations”, pour parler comme Benjamin Disraëli. Trump est certainement plus un point de repère - on n’ose pas dire un modèle, de peur de choquer l’électorat bourgeois qu’il s’agit de séduire. Trump a réussi cette gageure de conquérir le Parti Républicain à partir de ce qu’on pourrait appeler “l’Amérique périphérique”. Pour rester dans les coordonnées de la droite française, on se rappelle comme Nicolas Sarkozy avait aspiré une partie des voix lepenistes en 2007; et son score de premier tour de 2012 reste élevé (26%) alors même qu’une partie de l’électorat lepeniste était reparti vers le Front National, déçu par le décalage entre le discours sarkozyste de contrôle de l’immigration et de rétablissement de la sécurité dans les banlieues et la réalité sur le terrain. Il est intéressant de comparer 2012 et 2017. En 2012, Sarkozy + Marine Le Pen représentent, ensemble 46% des voix au premier tour; alors que le total de 2017, Fillon + Marine Le Pen, au premier tour, est de seulement 40%. 2012 est la grande occasion manquée de consolidation d’une droite française qui aurait fait définitivement de Nicolas Sarkozy le précurseur de Donald Trump. Que l’on aime ou pas, c’était la puissance de la ligne Buisson, en fait imparfaitement assumée par Sarkozy. Le président français de l’époque, en effet, n’a jamais eu le courage d’affronter une traversée du désert, non seulement médiatique mais mondaine, à la façon de Donald Trump. Au contraire, Sarkozy a été obsédé par “l’ouverture à gauche”, à commencer par le choix de ministres type Bernard Kouchner. Ce faisant, il a brouillé son image dans les classes populaires. Son engagement dans la lutte contre la crise et l’indéniable efficacité de son action dans plusieurs domaines n’ont pas été suffisants pour convaincre “les déplorables” français de voter à nouveau pour lui. Il faut cependant retenir de l’expérience sarkozyste qu’il est possible de rallier une partie de la droite “orléaniste” à un grand programme d’alliance des droites populaire, entrepreneuriale et conservatrice. 

Une des faiblesses de la droite semble être d'avoir trop longtemps séparé le monde des idées et le monde de la politique. Plus que d'une figure providentielle, la droite n'a-t-elle pas surtout aujourd'hui besoin d'intellectuels capables de repenser le message traditionnel de la droite au sein même des partis et auprès des hommes politiques ?

Frederic Mas : Si, tout à fait. Comme l’avait déjà bien vu Tocqueville, la centralisation politique du pays attire les professionnels de l’élection et les experts, et éloigne les hommes de lettres qui préfèrent débattre des idées et des systèmes à bonne distance du pouvoir. A droite, on trouve traditionnellement la même séparation entre droite de gestion et droite de conviction. La première se concentre sur la pratique politique, la seconde peuple les cafés et les groupuscules.

Pourtant, pour exister et reconquérir du terrain, elle doit en finir une fois pour toute avec son vieux fond anti-intellectualiste : les enjeux d’aujourd’hui, qu’ils soient liés à la révolution numérique, à l’intelligence artificielle, aux avancées de la génétique ou à l’émergence de la Chine, demandent non pas des professionnels rompus aux pratiques bureaucratiques franco-françaises mais des hommes intelligents, curieux d’esprit, et capables de saisir des problématiques de plus en plus complexes. 

Edouard Husson : Ce que vous décrivez, c’est le choix fait par Marion Maréchal, qui a choisi, en 2017, de ne pas se représenter à l’Assemblée Nationale et d’aller vers ce qu’elle appelle la “métapolitique”. L’ancien député est en train de proposer, à petites touches, en particulier par des conférences à l’étranger, les contours d’un conservatisme français - au sens que conservatisme peut avoir dans le monde anglophone, c’est-à-dire beaucoup plus large que la seule question de l’ordre moral et social. C’est dans ce but qu’elle a créé une école de sciences politiques. L’ambition est à la fois de donner une plateforme à des conférenciers, de disposer d’outils de diffusion des idées mais aussi de former de nouvelles générations de responsables politiques, d’entrepreneurs, de responsables associatifs qui soient dotés d’outils d’analyse et de principes d’action solides. C’est d’ailleurs plus large, sans doute, que répondre au besoin d’intellectuels. Il est bon qu’il y ait des universitaires, des écrivains, des intellectuels mais l’Intellectuel, c’est comme la figure providentielle: le risque est de tout soumettre à des questions d’ego. 
La gauche aussi est confrontée à ce défi: elle a moins besoin de chefs et d’intellectuels au sens classique que de lieux où soient formés les députés, les maires, les entrepreneurs, les citoyens engagés de demain. L’effondrement du PS et celui de LR sont exactement parallèles, par manque de débats d’idées, de connaissance du monde et de ses transformations. Nous avons besoin d’un grand parti progressiste comme d’un grand parti conservateur. C’est profondément nécessaire à la vie démocratique. Et le grand ratage d’Emmanuel Macron, de ce point de vue, c’est de ne pas avoir su donner une autonomie, un espace de maturation à La République en Marche pour en faire une véritable force politique, capable de l’aider à se renouveler et, aussi, ce qui n’est pas moins important, de durer au-delà de sa présidence. 

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