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L’UE saura-t-elle éviter les erreurs du passé face aux menaces de récession qui pèsent sur l’Italie ?
©Reuters

Union à l'italienne

Selon les données fournies par ISTAT, l'Italie entrerait à nouveau en récession dans l'année, une menace pour les autres membres de l'UE.

Frédéric  Farah

Frédéric Farah

Frédéric Farah est économiste et enseignant à Paris I Panthéon Sorbonne.

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Atlantico: Selon les données fournies par ISTAT, l'Italie entrerait à nouveau en récession, en raison de la publication de deux chiffres trimestriels consécutifs de contraction du PIB, dont -0.2% pour le 4e trimestre 2018. Dans un tel contexte, et alors que le secteur bancaire italien est régulièrement pointé du doigt, quels sont les risques de voir la situation italienne se dégrader, et entraîner la zone euro avec elle ? 

Frédéric Farah: Le secteur bancaire italien est au cœur de la tempête, et suscite de nombreuses d’inquiétudes. Il importe de garder en tête quelques idées pour mesurer l’ampleur des difficultés du moment.

Le secteur bancaire italien est fragile non en raison d’un abus de pratiques dangereuses ou exagérément spéculatives, mais en raison des conséquences économiques et financières de la crise des subprimes. Entre 2010 et 2012, les marchés financiers ont nourri la crainte que l’Italie fasse défaut sur sa dette publique. Or la dette publique italienne est très largement détenue par les banques italiennes elles-mêmes. Les marchés financiers à cette période ont réclamé des tauxd’intérêt très élevés à l’Etat italien, et aux banques italiennes. Ces dernières ont répercuté une partie de ce surcoût sur les ménages et les entreprises. Or, Le financement de l’économie italienne repose largement sur le crédit bancaire. Cette situation a entrainé un renchérissement du crédit, et un phénomène dit de resserrement brutal du crédit ( créditcrunch).

Le PIB a connu alors un effondrement depuis la crise des dettes dites souveraines de 2011, de plus de 10% et une baisse de la production industrielle de 25%.  Le tissu de PME italienne est entré en souffrance et a vu les faillites se multiplier. De la sorte, la capacité des ménages ou des entreprises a remboursé les crédits a été profondément détériorée. De ce fait, la situation des banques a empiré, avec la croissance des prêts non performants.  En 2015, au pire de la situation,1 prêt sur 5 était non performant. Les banques italiennes font encore face à plus de 341 milliards de créances douteuses et ont enregistré depuis 2011, plus de 62 milliards de pertes.

Les marchés financiers sont aussi entrés dans la danse mortifère en refusant de prêter aux banques italiennes, les augmentations en capital nécessaires. On peut penser à la banque populaire de Vincenza, la banque de Vénétie ou Monte dei Paschi di Siena qui n’ont pu réaliser leurs augmentations en capital.

A ce paysage largement inquiétant, s’ajoutent les choix de politique économique entrepris par les gouvernements italiens depuis 2011.

Les mesures d’austérité de Mario Monti à partir de 2011 ont aggravé la situation, et l’arrivée au pouvoir de Matteo Renzi au pouvoir n’a guère amélioré la chose.  Son jobs act qui devait sauver l’Italie et son marché du travail a été un échec et sa volonté de réorienter la construction européenne a été très pusillanime. Son ministre de l’économie P PPadoan a été transparent dans l’Eurogroupe.

Mais comme un malheur ne vient jamais seul, l’Union européenne, par une directive dite « Bank recovery and resolution directive », transposée en droit Italie, a fait naître l’idée d’un « bail in » et non « bail out » pour sauver les banques.

En somme dans ce nouveau cadre européen, l’Etat ne peut plus intervenir pour le sauvetage des banques. Sans entrer dans le détail, le bail in européen a représenté plus un problème qu’une solution pour les banques italiennes et l’Etat a dû intervenir pour apporter dans certains cas, une certaine capitalisation. 

Les épargnants italiens nourrissent une inquiétude légitime, quant à leurs contributions au renflouement des banques. Un retraité de 70 s’estdonné  la mort en 2015, après avoir vu son épargne disparaitre pour le sauvetage des banques. L’Italie a été secouée par ce tragique évènement. Le bail in européen a été mal pensée et ne constitue par une véritable mutualisation des risques.

La situation italienne peut se dégrader car la banque centrale européenne n’est plus prêt à jouer son pare-feu  et en exigeant des exigences de fond propres sévères, les prêteurs italiens vont encore réduire leurs encours de crédit. De la sorte, la spirale déflationniste risque de s’amplifier. Les banques italiennes empruntent de plus en plus cher sur les marchés financiers. Par ailleurs, La dette italienne risque d’augmenter, n’oublions pas que l’Italie finance à coût plus élevé sa dette comparée à celle de la France. San compter que la très faible inflation italienne ne permettra pas d’alléger le coût de la dette. La BCE a arrêté son programme d’achat d’obligations fin décembre, l’Italie n’a plus d’acheteur en dernier ressort à sa disposition. Le cercle vicieux entre Etats souverains et systèmes bancaires n’a pas été rompu. L’Italie doit renouveler plus de 350 milliards de dettes cette année.

La BCE dans le cadre de ses mesures non conventionnelles tarde de proposer plus de 800 milliards de prêts bon marché aux banques de la zone euro. L’Italie en aurait grand besoin.

Par ailleurs, la zone euro voit sa croissance ralentir, l’Italie risque d’en pâtir davantage.

L’Italie par la profondeur de son marché obligataire et par l’exposition des banques françaises par exemple à sa dette, pourrait entrainer les autres Etats de la zone euro dans la tourmente. Sans compter, que l’Italie dispose de banques systémiques comme Unicrédit et que si elles devaient être emportées dans la chute, un effet d’importance serait à craindre.

La BCE joue avec le feu dans cette histoire, les mesures du gouvernement italien seront-elles à mêmes de redonner un souffle à l’économie italienne ?  il faudra le voir dans l’année et demi à venir , il faut l’espérer. Mais rien n’est moins certain, on peut comprendre le désir du présent gouvernement de rompre pour partie avec les orientations précédentes. La rupture avec un certain néo libéralisme n’est pas consommée pour autant.

Il est de bon ton d’expliquer la crise italienne par un discours convenu : pays à faible productivité, incapable de se réformer, une offre insuffisante etc. Ce discours est celui de la facilité. Il légitime les politiques réclamées par le semestre européen et sert une fraction des élites italiennes qui depuis la fin des années 1970 ont fait de l’Union européenne, la contrainte nécessaire et souhaitable pour réformer une société italienne incapable de le faire par elle-même. Nous ne pouvons développer ici, mais l’Italie souffre principalement d’une crise de la demande.

L’Italie est excédentaire en matière de solde commercial, dégage des excédents primaires et dispose encore de solides capacités industrielles et innovantes.

Comment anticiper ce que pourraient être les réactions des européens face à la situation avec un gouvernement italien issu de la Ligue et du M5S ? Faut-il s'attendre à des nouvelles demandes "austéritaires" en provenance de Bruxelles ? 

La BCE incarne un quatrième pouvoir en Europe à côté de celui de la Commission, du parlement, et du Conseil, elle a certes fait évoluer sa doctrine et peut apparaitre moins ordo-libéral. Mais, elle reste le bras armé d’un ordre économique européen très conservateur et  préoccupé avant tout par la mise en œuvre des réformes structurelles ( démantèlement du droit du travail et réduction du périmètre des Etats sociaux). Lors du bras de fer entre le présent gouvernement italien et les autorités européennes, ce sont les réformes dites sociales du gouvernement italien qui ont fait grincer des dents les autorités européennes, car jugées trop coûteuses. Le gouvernement avait revu sa copie, mais ses prévisions de croissance ont laissé sceptique les autorités européennes.

Les autorités européennes ont bien compris que les règles issues du traité de la coopération et de la gouvernance en Europe ou plus anciennes du pacte de stabilité et de croissance, fabriquent plus des effets de réputation qu’une réelle contrainte dirimante pour les Etats. La Commission européenne, l’Eurogroupe, savent qu’un cocktail plus subtil d’actions des marchés financiers et de la BCE peuvent ramener avec force les Etats récalcitrants dans le giron de l’orthodoxie économique.

Si la BCE n’intervient pas ou plus pour apporter les liquidités nécessaires aux banques européennes d’ici mars, pour l’Italie , la situation pourrait de dégrader.  Si la croissance se tasse encore, l’Union européenne pourrait demander des correctifs budgétaires. Mais il faut voir quelle commission va surgir des élections européennes. Une Europe ingouvernable est à craindre. L’Italie pourrait avoir la tentation de faire cavalier seul, même si je doute de la volonté du gouvernement italien de jouer avec l’arme nucléaire, c’est-à-dire la sortie de la zone euro ou une monnaie parallèle.

Les italiens malgré les menaces de la Commission ne veulent plus d’expérience Monti, ils savent que l’austérité est une impasse. Réduire les investissements publics, laisser les universités dans une situation préoccupante , flexibiliser davantage le marché du travail, développer la précarité, ou encore réduire la générosité déjà toute relative du système des retraites ne représentent pas une solution, les italiens le savent.  L’austérité est un échec. Le présent gouvernement évolue avec des vents économiques contraires. L’Italie reste une puissance commerciale, excédentaire budgétairement , mais à un prix économique très élevé. La sortie de l’euro doit se poser sérieusement.

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