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Eat, l’initiative mondiale qui voudrait nous voir adopter le même régime alimentaire partout sur la planète : absolue nécessité ou fausse bonne idée ?
©Reuters

Soleil vert

L'offensive des organisations mondiales dans la planification des activités humaines s’amplifie d’année en année. Leur dernière cible : les choix individuels au sujet de l’alimentation ainsi que les modes de production alimentaire.

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

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L’offensive des organisations mondiales dans la planification des activités humaines s’amplifie d’année en année. Ces organisations financées par les états ou la charité, (OMS, IARC, Nations Unies, agences mondiales contre le cancer, Wellcome Trust, Fondation Bill et Melinda Gates…) sont assez mal connues en France où la charité n’alimente presque plus la recherche scientifique et les projets sociétaux. Ces organisations sont cependant très actives et disposent de fonds très importants, pour exemple le Wellcome Trust c’est 4,3 milliards de £ de crédit de recherche. Elles envisagent sérieusement d’influencer nos modes de transport, de consommation, d’alimentation et de procréation et pour ce faire dépensent beaucoup d’argent non pas en recherche libre mais en rapports orientés vers leur cause. Le choix de leurs experts rémunérés par des fonds publics et/ou des donations ou des salaires est dédié à la cause mise en avant. Le Wellcome Trust par exemple est un partenaire fondateur de la Fondation EAT, qui a choisi des scientifiques, ciblé des décideurs politiques pour transformer les systèmes alimentaires afin de nourrir la population croissante du monde. Le but est d’élaborer un plan mondial de recommandations sur l’alimentation, les systèmes de production alimentaire et d’autres sujets à venir dans le but principal et très médiatisé de: “sauver la planète”. Cette initiative baptisé EAT (Manger) vient de publier dans The Lancet sa première contribution. Il ne faut pas s’y tromper, ce n’est pas une étude expérimentale ni une revue de la littérature mais une opinion documentée ayant pour but d’orienter de manière très stricte les politiques publiques et les choix individuels au sujet de l’alimentation mais aussi des modes de production alimentaire.

Quel est donc ce régime santé planétaire?

Le régime planétaire pour la santé prétend être un régime de référence mondiale pour adultes, représentée symboliquement par une demi-assiette de fruits, de légumes et de noix. L'autre moitié est constituée principalement de céréales entières, de protéines végétales (haricots, lentilles, légumineuses), d'huiles végétales non saturées, de modestes quantités de viande et de produits laitiers, ainsi que de sucres ajoutés et de féculents. Le régime serait assez flexible et permettrait une adaptation aux besoins alimentaires, aux préférences personnelles et aux traditions culturelles. Mention significative dans le rapport, les régimes végétariens et végétaliens “sont deux options saines dans le régime alimentaire de la planète, mais sont des choix personnels”.

Il est possible de résumer ce régime planétaire d’après la publication.

Tableau 1. Régime alimentaire de référence recommandé comme sain par la commission EAT-Lancet, avec des fourchettes possibles, pour un apport de 2500 kcal / jour.               

Apport en aliments

Apport calorique, kcal/jour

(fourchette possible)

Apport en poids g/jour

Céréales entières *

Riz, blé, maïs et autres †

232

(céréales totales de 0 à 60% d'énergie)

811

Tubercules ou légumes féculents

Pommes de terre et manioc

50 (0–100)

 39

Légumes rouges et oranges

100

30

Légumes

Tous les légumes

Légumes vert foncé

Autres légumes

300 (200–600)

100

100

23

25

Fruits

Tous les fruits

200 (100–300)

126

Produits laitiers

Lait entier ou équivalent (par exemple, fromage)

250 (0–500)

153

Sources de protéines ‡

Bœuf et agneau

Porc

Poulet et autres volailles Œufs

Poisson§

7 (0-14)

7 (0-14)

29 (0–58)

13 (0–25)

28 (0–100)

15

15

62

19

40

Les légumineuses

Haricots secs, lentilles et pois *

50 (0–100)

172

Aliments au soja

25 (0–50)

112

Arachides

25 (0–75)

142

Fruits à coque

25

149

Graisses ajoutées

Huile de palme

Huiles insaturées¶

Matières grasses laitières (incluses dans le lait)

Saindoux ou suif‖

6,8 (0–6,8)

40 (20–80)

0

5 (0–5)

60

354

0

36

Sucres ajoutés

Tous les édulcorants

31 (0 à 31)

120

Pour un individu, un apport énergétique optimal pour maintenir un poids santé dépend de la taille de son corps et de son niveau d'activité physique. Le traitement des aliments, comme l’hydrogénation partielle des huiles, le raffinage des grains, l’ajout de sel et d’agents de conservation, peut avoir une incidence importante sur la santé, mais ce tableau ne traite pas de cette question.

* Le blé, le riz, les haricots secs et les lentilles sont secs et crus.

† Le mélange et la quantité de céréales peuvent varier pour maintenir l'apport isocalorique.

‡ Le bœuf et l'agneau sont échangeables avec le porc et vice versa. Le poulet et les autres volailles sont échangeables contre des œufs, du poisson ou des sources de protéines végétales. Les légumineuses, les arachides, les noix, les graines et le soja sont interchangeables.

§ Les fruits de mer se composent de poissons et de fruits de mer (moules et crevettes, par exemple) et proviennent à la fois de la capture et de l’élevage. Bien que les produits de la mer constituent un groupe très diversifié contenant à la fois des animaux et des plantes, le présent rapport est uniquement centré sur les animaux.

¶ Les huiles non saturées sont composées chacune de 20% d'huile d'olive, de soja, de colza, de tournesol et d'arachide.

‖ Certains saindoux ou suif sont facultatifs dans les cas où des porcs ou des bovins sont consommés.

Un des points clés de ce régime est la réduction/suppression de la viande

Pourquoi d’après EAT-Lancet devrais-je diminuer/supprimer ma consommation de viande? Les protagonistes affirment: “la surconsommation actuelle de viande dans les régimes alimentaires occidentaux contribue de manière significative à une mauvaise santé et augmente le risque de surpoids, d'obésité ou de développement de certaines maladies non transmissibles”. C’est certainement la partie la plus contestable de ce rapport car le terme surconsommation est très vague. En Europe la consommation de viande est beaucoup plus faible qu’en Amérique. Dans les études observationnelles, dont je rappelle qu’elles ne prouvent rien en dehors d’une association entre deux faits mesurables et ne préjugent pas des causes, la confusion règne. Les quartiles inférieurs de consommation de viande rouge c’est à dire ceux et celles qui en consomment régulièrement mais moins de 500 g par semaine n’ont pas un risque associé (associé signifie que ce risque est observé mais on ne sait pas si c’est la viande ou d’autres facteurs liés à la viande qui sont en cause) de cancer du côlon plus élevé. Toutes ces études sont sujettes à des biais très importants. En effet le type de viande est souvent ignoré ou très mal identifié. Je rappelle que les viandes de boucherie c’est à dire des morceaux de carcasse ou d’organes découpés et consommés frais ou après congélation n’ont rien à voir avec des produits réalisés à base de viande et transformés par salage, fumage, adjonction de nitrates et autres, cuisson, mélange avec d’autres aliments... C’est ce que l’on appelle la viande transformée. Mais là aussi des biais importants existent puisque par exemple le jambon sec salé non fumé, ou toute autre viande séchée qui est une tradition en Europe ne contient pas les éléments carcinogènes retrouvés dans certains produits à base de viande transformée. Autre exemple la saucisse fraîche de porc ou de veau est une viande qui sera considérée comme transformée dans les questionnaires des études épidémiologiques alors que c’est une viande fraîche comme le steak haché…  Car la viande consommée en grande quantitée est associée à une conso d’autres aliments obésogène et denses en calories… Un exemple très rassurant pour les carnivores est la très récente étude sur le risque de cancer colorectal associé à la viande rouge dans un environnement de régime méditerranéen typique. Les auteurs n’ont pas retrouvé le surrisque largement médiatisé ces dernières années. Sur 10026 personnes vivant en Israël ils ont observé: “ Les probabilités ajustées de cancer colorectal par portion / semaine de viande rouge étaient de 1,05 (intervalle de confiance à 95%: 1,01–1,08) chez les Juifs et de 0,94 (0,88–1,01) chez les Arabes. Comparé à l'absence de consommation, la consommation de boeuf était associée à un rapport de risque (OR) = 0,96 (0,86–1,07) chez les Juifs et à 0,94 (0,61–1,45) chez les Arabes. 1,37), la consommation de porc avec OR = 1,44 (1,24–1,67) et 1,07 (0,73–1,56) et la consommation de viande transformée avec OR = 1,22 (1,10–1,35) et 1,04 (0,82–1,33), respectivement. La consommation globale de viande rouge était faiblement associée au risque de cancer colorectal, significative uniquement pour l'agneau et le porc, mais pas pour le bœuf, indépendamment de l'emplacement de la tumeur (côlon ou rectum). La viande transformée était associée à un risque faible de cancer colorectal.”

Ensuite les risques énumérés surprennent par leur imprécision. Il est invoqué le surpoids, l’obésité, et certaines maladies non transmissibles. Dans l’obésité il est étonnant que la Commission EAT-Lancet rame à contre courant des évidences. Ce qui alimente la vague épidémique de diabésité c’est l’inondation de sucres dans un contexte d’excès calorique pas la viande dont la consommation diminue… Des bases scientifiques solides appuient cette affirmation (atlantico sucre pelouze).

En réalité c’est le deuxième argument qui est signifiant: “Les projections montrent que l’adoption mondiale d'un régime occidental riche en viande, liée à la croissance de la population mondiale et à la croissance économique entraînera une charge de santé importante et poussera les systèmes alimentaires bien au-delà des limites environnementales - de nombreuses études font les mêmes prédictions.” Ainsi nous revenons à un leit motiv très à la mode, l’apocalypse dont l’heure se rapproche depuis que certains en ont décrété la certitude. Les faits en Europe contredisent ces affirmations. Les systèmes de production alimentaire des pays européens sont en pleine transformation et à côté de mode de production intensiviste il existe toujours des exploitations de petite et moyenne taille qui se sont engagées dans l’agriculture maraichère, l’élevage extensif et d’autres pratiques plus équilibrées sur le plan des externalités et produisant de la viande de grande qualité. Sacrifier l’élevage et la production de lait et de viande par des taxes et des oukases mondialistes est le plus sûr chemin vers une résistance farouche et violente des populations qui consomment ces aliments et à qui on ne demande pas leur avis. Ces propositions sont sociétalement dangereuses et apparaissent très fragiles sur le plan des évidences scientifiques. Comme par ailleurs l’espérance de vie s'accroît encore aujourd’hui, les protagonistes ajoutent: “Il est problématique d'affecter des terres agricoles de plus en plus rares et de grande valeur ou de convertir des écosystèmes riches en carbone ou en biodiversité en terres agricoles, ce qui garantit la dégradation continue de la santé publique et l'incapacité collective à atteindre les objectifs de développement durable des Nations Unies et de l'Accord de Paris. Cela contribuera également aux coûts sociaux et économiques croissants de la mauvaise santé publique, des secours en cas de catastrophe climatique et de la dégradation de l'environnement.” La viande qui fait partie de l’alimentation humaine depuis le début de l’humanité est un aliment sain et nos métabolismes sont adaptés à la digestion de muscles et d’abats. Comme pour tous les aliments la consommation massive fait naître des risques à la fois de carences d’autres nutriments et d’excès soit caloriques soit des macronutriments de l’aliment concerné. Mais la viande n’est pas le coupable en chef sauf à faire prévaloir une vision très étroite du changement climatique qui imputerait à l’homme l’entière responsabilité.  Se focaliser sur la viande est en réalité faire preuve d’obstination idéologique et non de souci de la santé humaine. C’est aussi embarquer dans un constructivisme alimentaire dont on sait que les précédentes initiatives par les mêmes protagonistes ont aggravé la santé humaine.

Il est important de rappeler qui sont ces 37 scientifiques, choisis pour établir ce document.

S'agissant d’un groupe de scientifiques qui recommandent un régime très pauvre en produits animaux il convient bien sûr de savoir quelle est leur orientation intellectuelle à propos du véganisme. Nina Teicholz a fait ce recensement et il est frappant. L’examen des positions des auteurs d'EAT-Lancet révèle que 84% d'entre eux (31 sur 37) ont épousé le point de vue végétarien avant d’être choisi pour le projet EAT-Lancet. Mais ce n’est pas tout, Walter Willett le co-directeur d’EAT-Lancet est un propagandiste reconnu de la cause vegan. Son engagement est tellement évident qu’il peut paraitre incroyable, mais là aussi un recensement de ses positions est plus accablant et on peut le consulter avec les références dans un document exhaustif qui me semble-t-il aurait du être joint à l’article de Lancet comme complément au laconique statut de conflit d’intérêt  publié. Pour rester dans le domaine de la science et des faits le même Walter Willett a caricaturé en 1993 le régime méditerranéen pour des producteurs alimentaires regroupés sous la bannière Oldways (qui soutient le mouvement vegan: https://oldwayspt.org/news-media/infographics) avec cette pyramide alimentaire où le groupe à éviter est la viande rouge qui serait plus dangereuse que le sucre (Figure N°1). Au total il s’agit manifestement d’un groupe très partial et le résultat de leur rapport était donc inévitablement couru d'avance: manger très peu ou pas de viande. Cette injonction militante ne constitue pas un débat scientifique et le rapport malgré sa longueur qui peut en imposer n’est rien d’autre qu’une opinion biaisée. The Lancet aurait dû solliciter des auteurs aussi connus mais indépendants pour exposer les limites de ce point de vue et les arguments contradictoires. Il aurait ainsi informé le lecteur de manière équilibrée.

Figure N°1: Pyramide alimentaire créée par Walter Willett pour Oldways en 1993, depuis l’épidémie d’obésité s’est aggravée .

Le programme EAT-Lancet est il de nature à résoudre les problèmes soulevés?

Dans ce premier rapport, d’autres sont annoncés, force est de constater que les solutions proposées ressemblent à s’y méprendre aux anciennes. Ces commissionnaires sont par ailleurs ceux là mêmes qui ont bâti ces dernières années toutes les recommandations officielles dans les différents pays, lesquelles sont été associées à une augmentation ininterrompue de l’obésité,  du syndrome métabolique et du diabète. Depuis que les produits animaux, les graisses saturées et les produits laitiers entiers ont été diabolisés au profit des sucres et principalement des céréales l’épidémie de diabésité s’est déclenchée et ne s’interrompt pas. Tout ceci a commencé avec les mêmes nutritionnistes de Ancel Keys au Minnesota aux différentes équipes d’épidémiologistes des bases de données de Harvard dont Walter Willett est le leader. Cette recette ne marche pas. Le petit déjeuner sucré, les céréales, légumineuses et tubercules avec une toute petite boulette de viande par semaine au midi et les graines de quinoa le soir avec du tofu sont des régimes peu adaptés à nos métabolismes, à notre sédentarité et à notre culture. De surcroît ils favorisent le stockage de toute calorie excédentaire car tous les sucres y compris ceux qui ne sont pas sucrés au goût stimulent l’insuline, hormone du stockage calorique.

EAT-Lancet n’est pas la solution et il est probable que ce ne soit même pas une solution. La définition d’un régime alimentaire planétaire favorable à la santé est une pure utopie et ce qui peut en découler ressemble à un gouvernement autoritaire. Mais existe-t-il des bases scientifiques à un régime santé? Nous l’envisagerons dans un prochain article.

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