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Guerre commerciale Etats-Unis / Chine : le défi du "un monde, deux systèmes"
©FRED DUFOUR / AFP

Affrontement inévitable

Contrairement à la première guerre froide pendant laquelle des blocs s’opposaient militairement et politiquement en entretenant très peu de relations économiques, technologiques ou humaines, le monde va devoir apprendre à vivre avec la tension opposant deux systèmes politiques très différents mais très liés en termes d’échanges ou d’intégration économique.

Emmanuel Dubois de Prisque

Emmanuel Dubois de Prisque

Emmanuel Dubois de Prisque est chercheur associé à l'Institut Thomas More et co-rédacteur en chef de la revue Monde chinois nouvelle Asie.

 
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Atlantico : La campagne des pays occidentaux contre Huawei dans le cadre de la guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis suggère que nous sommes rentrés dans une nouvelle phase de "guerre froide".  Pourtant, contrairement à l'URSS, la Chine est intégrée à l'économie de marché mondialisée. Vous qui venez de publier, avec Sophie Boisseau du Rocher, l'essai "La Chine e(s)t le monde" (Odile Jacob), pensez-vous que le terme est pertinent pour décrire ce nouveau conflit ?

Emmanuel Dubois de Prisque : Le terme de « guerre froide » n’est peut-être pas le plus approprié pour qualifier la tournure prise par les relations entre Pékin et Washington. Les deux économies sont très interdépendantes, même si Pékin dépend plus de Washington (au moins pour ses exportations et pour la haute technologie) que l’inverse. D’ailleurs, ce n’est pas seulement les deux économies qui sont interdépendantes, ce sont les deux sociétés. Il y a aujourd’hui environ 350 000 étudiants de nationalité chinoise aux Etats-Unis qui représentent 30% du total des étudiants étrangers dans ce pays. Certaines villes américaines ont connu une bulle immobilière du fait des investissements chinois. Le « rêve chinois » de Xi Jinping paraît à bien des égards décalqué du « rêve américain ».

Se lancer dans une guerre stratégique débridée, est-ce véritablement une bonne option pour les Etats-Unis et leurs alliés ? Dans leur intérêt, les Etats-Unis ne devraient-ils pas respecter le système commercial mondial et ses règles, qu'ils ont contribué à créer, et chercher à coopérer avec la Chine ?  

Il ne s’agit pas d’une guerre stratégique débridée. Il s’agit au contraire d’une guerre contenue aux secteurs économique et technologique. Une guerre débridée serait une guerre tout court. Avec son « piège de Thucydide », l’Américain Graham Alisson prévoyait que si rien n’était fait, une guerre entre la Chine, puissance émergente, et les Etats-Unis, puissance installée, était presque inévitable. Mais l’histoire est pleine de ressources et c’est une guerre d’un nouveau type, une guerre « bridée » justement, qui a éclaté. C’est l’analyse, que je partage, de Jean-Raphaël Chaponnière. Bien sûr, il serait mieux que les Etats-Unis jouent le jeu des règles du commerce international. Mais à ce jeu, il n’est pas certain que les classes moyennes et populaires américaines aient beaucoup à gagner. Ce qu’elles ont gagné en pouvoir d’achat en achetant des produits meilleurs marchés en provenance de Chine, elles l’ont perdu en qualité des emplois, pour faire simple. Pendant longtemps, les Démocrates et une partie des Républicains ont joué les élites mondialisées des côtes Ouest et Est des Etats-Unis contre le peuple de l’intérieur. C’est aujourd’hui la revanche des masses américaines contre ces élites mondialisées qui estimaient que se donner le beau rôle en prenant en charge la marche du monde était plus important que de défendre les intérêts du peuple américain.

La coopération avec la Chine était justifiée tant qu’on avait l’espoir de voir la Chine progressivement se libéraliser et adopter une système sociopolitique compatible avec le nôtre. Cette chimère se dissipe aujourd’hui. La réalité nous pousse à adopter une attitude plus ferme, et à regarder sans complaisance l’émergence d’un système dont il semble avéré qu’il n’est pas soluble dans l’économie de marché (ou ce qui en tient lieu en Chine).

Les acquisitions chinoises dans des domaines stratégiques ou le plan de "crédit social" prévu pour 2020 peuvent passer pour des signes d'une inimitié plus profonde. Que faire quand la Chine se montre plus agressive sur un plan économique, ou qu'elle tente d'imposer des règles contraires à nos conceptions de la liberté ?

La stratégie de Donald Trump est de procéder à « découplage » des économies de la Chine et des Etats-Unis. Pendant des décennies, les Chinois ont stigmatisé l’hégémonisme américain, sa volonté de dominer le monde, sa propension à donner des leçons à tous et à chacun, parfois à juste titre, il faut bien l’avouer. Aujourd’hui que les Américains semblent vouloir se replier sur eux-mêmes, les Chinois se mettent à critiquer cette attitude, inquiets d’être délaissés par ceux dont ils stigmatisaient naguère l’ingérence. Les Chinois font penser à ce partenaire inconséquent qui dans un couple ne cesse de menacer l’autre d’un divorce, avant de lui reprocher,après la séparation, de l’avoir abandonné. Il est bien compréhensible en effet que les Américains souhaitent autant que possible protéger leur technologie des méthodes prédatrices des Chinois, et ne pas se laisser contaminer par un système qui à terme prévoit l’évaluation généralisée, par l’Etat, de la vertu de ses citoyens.

Emmanuel Dubois de Prisque est coauteur (avec Sophie Boisseau du Rocher) de La Chine e(s)t le monde, paru le 23 janvier 2019 aux éditions Odile Jacob.

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