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(Même) si tous les riches payaient tous leurs impôts... la France aurait toujours un gros problème de déficit
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

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"Le déficit public, le trou de la Sécu, la dette, le chômage... n'existeraient pas si les riches payaient leurs impôts", assure la sociologue Monique Pinçon-Charlot. Pas si simple...

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : "Le déficit public, le trou de la Sécu, la dette, le chômage... n'existeraient pas si les riches payaient leurs impôts", a déclaré la sociologue Monique Pinçon-Charlot. La lutte contre l’évasion et l’optimisation fiscale est-elle réellement la solution miracle pour résoudre les problèmes budgétaires français ?

Michel Ruimy : Il y a fraude fiscale quand un ménage ment sur ses revenus, quand il ne paie pas ses impôts à temps, quand il ne déclare pas la baby-sitter, quand il fait croire qu’il est dépourvu d’argent pour payer ses impôts, lorsqu’une personne divorcée note qu’un enfant est à sa charge alors que son conjoint s’en occupe, etc. Cette définition ne recouvre pas toutefois d’autres phénomènes qui permettent de ne pas payer correctement ses impôts comme l’évasion fiscale ou l’optimisation fiscale.

L’évasion fiscale est le fait d’installer de manière légale ses capitaux à l’étranger, de préférence dans un paradis fiscal, pour payer le moins d’impôts possible dans le pays où l’on vit ou où l’on exerce son activité. Quant à l’optimisation fiscale, elle consiste à se servir des moyens légaux pour exploiter les failles du système fiscal pour échapper le plus possible à l’impôt.

Diverses sources estiment que le montant total de la fraude s’élève aujourd’hui à environ 100 milliards d’euros par an, soit une hausse de 20 milliards en 5 ans mais surtout soit 1,5 fois ce que payent les Français chaque année au travers de l’impôt sur le revenu.De quoi assurer à l’État un budget en équilibre puisque les 100 milliards viendraient plus que couvrir les 80 milliards actuels du déficit budgétaire.

Ce montant pourrait être plus important. En effet, en une dizaine d’années, les contrôles d’examen de la situation fiscale personnelle ont chuté, passant d’environ 4 150 en 2008 à 3 600 en 2017. Même baisse de la pression en direction des entreprises, puisqu’en 2008, une entreprise soumise à la TVA risquait de se faire contrôler tous les 84 ans alors que cette probabilité est désormais d’une fois tous les 130 ans. L’explication est à chercher notamment du côté du manque de personnels : plus de 3 000 emplois ont été supprimés dans les services de contrôle fiscal depuis 2010. Seule une véritable volonté politique en matière de lutte contre la fraude fiscale doit donc inverser cette logique qui affaiblit le contrôle fiscal.

Pourtant, si cette condition est nécessaire à l’amélioration de la situation des finances publiques de la France, elle demeure insuffisante. Les problèmes budgétaires, c’est aussi l’endettement public qui compte pour près de 2 300 milliards d’euros et qui a sa propre dynamique. Encore cette année, la France va emprunter 200 milliards d’euros sur les marchés financiers pour notamment faire face à ses échéances. En d’autres termes, si l’Etat lutte contre la fraude fiscale, c’est bien, mais il faudrait aussi qu’il optimise ses dépenses de fonctionnement et, en particulier, sa masse salariale.

Ne sommes-nous pas confrontés à un biais empêchant une remise en question plus large de notre système, notamment sur les questions des dépenses ?

Il existe une croyance répandue selon laquelle la persistance des déficits s’expliquerait, pour partie, par la fraude fiscale. Sans rien changer à nos habitudes, nous pourrions ainsi assainir nos comptes. Mais peut-on vraiment en conclure que faire disparaître la fraude fiscale ramènerait les finances publiques à l’équilibre ? Certainement pas !

En effet, prétendre résorber le déficit budgétaire en réduisant d’autant la fraude relève du sophisme. D’une part, les comportements individuels ne vont pas changer du jour au lendemain et d’autre part, la lutte contre la fraude est coûteuse. Car l’espoir de réduire significativement la fraude sans freiner l’activité économique est illusoire. Le niveau des dépenses collectives à financer est tel (57% du PIB), qu’il nécessite des prélèvements obligatoires massifs, ce qui décourage les affaires et affaiblit significativement le développement économique à long terme. Ceci nourrit un débat politique construit autour d’une alternative caricaturale et anxiogène pour l’opinion publique : accepter de maintenir la pression fiscale à des hauts niveaux ou se résoudre à une remise en cause du « modèle social » français.

La comparaison avec nos voisins montre que l’enjeu est différent. Elle atteste qu’il est possible de financer, en France, un niveau significatif de dépenses publiques (près de 20 000 euros par habitant) sans multiplier les déficits (environ 1 000 euros par habitant). L’Autriche ou la Belgique ont des dépenses publiques supérieures aux nôtres (plus de 21 000 euros par habitant) avec des déficits moindres (de l’ordre de 300 euros par personne). Le Danemark et la Suède ont des dépenses collectives bien supérieures (de l’ordre de 25 000 euros par habitant) avec des excédents (500 euros par personne). Ces pays financent des dépenses publiquessignificatives, avec des déficits moindres ou inexistants. Leur recette : une pression fiscale plus mesurée et une économie plus développée.

Cette situation n’est pas le fruit du hasard. Ils découlent de contextes plus favorables à la création de richesses et à la préservation des patrimoines. Ces approches pragmatiques, loin de profiter à une minorité nantie, irriguent en profondeur ces sociétés caractérisées par plus de libertés économiques et des prélèvements obligatoires plus cléments.

Aussi, au lieu de rester dans le déni et de continuer à tabler sur une hypothétique réduction des déficits lié à une augmentation de la pression fiscale, nous gagnerions à nous inspirer de ces voisins. Pour les Français, souvent enclins à penser l’économie comme un jeu d’antagonismes, l’enjeu est de taille.

Dans quelle mesure cette question nécessite-t-elle une prise en charge commune des pays occidentaux, qui semble loin de faire consensus ?

Cette question est, en quelque sorte, la reconquête du politique sur la finance. Si l’Union européenne (UE) est le bon outil pour la lutte contre l’évasion fiscale internationale, la France, avec ses partenaires européens,peut et doit avoir un rôle moteur dans cette bataille. L’une des premières décisions à prendre au niveau politique est de mettre fin à cette règle paralysante de l’unanimité nécessaire en matière fiscale. Il ne s’agit pas, bien sûr, de remettre en cause la souveraineté fiscale de chaque État membre, mais d’avancer dans le cadre d’une coopération renforcée.

Par ailleurs, la lutte contre l’évasion fiscale doit être fixée comme une priorité absolue au sein de l’UE, qui perd chaque année environ 1 000 milliards d’euros du fait de pratiques d’évitement de l’impôt. Autant d’argent qui permettrait de régler, au moins partiellement, bien des questions comme la pauvreté, les inégalités territoriales, la transition écologique… Or, l’UE compte en son sein un certain nombre d’États qui devraient être considérés comme des paradis fiscaux : Chypre, Malte mais aussi les Pays-Bas. Cette situation impose de sortir de l’hypocrisie.

Ainsi, les chantiers à ouvrir sont d’abord celui de l’harmonisation fiscale, qui passe par une révision complète des traités européens qui sacralisent le principe de « concurrence libre et non faussée ». Il est indispensable d’exiger la transparence absolue de l’activité - et des profits - des grandes entreprises c’est-à-dire la communication de ces données, pays par pays. Ceci permettrait de repérer leurs opérations dans les paradis fiscaux. Toutefois, la taxation aujourd’hui du chiffre d’affaires des mastodontes de l’internet, les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft), pose au moins deux problèmes qui réduisent son intérêt : comment articuler la taxation de leurs chiffres d’affaires et leurs profits ? Pourquoi limiter la mesure à ces seuls géants du numérique alors que, aujourd’hui, toutes les entreprises sont numérisées et utilisent la mobilité liée au digital dans leurs stratégies d’évasion fiscale ?

Il faudrait aussi en finir avec le « secret des affaires » au nom duquel on dissimule parfois des pratiques illicites…Enfin, il s’agirait, par exemple, d’instituer un registre de propriété des bénéficiaires de sociétés offshore.

C’est une ambition démesurée, mais elle est à la hauteur des enjeux colossaux de la lutte contre l’évasion fiscale.

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