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Pourquoi on se trompe sur la vraie nature de l’insatisfaction des Français vis-à-vis de leurs institutions
©BERTRAND GUAY / AFP

Fractures françaises

Selon un sondage OpinionWay pour LCI, 77% des Français estiment que les élus perçoivent une rémunération "trop élevée".

Chloé Morin

Chloé Morin

Chloé Morin est ex-conseillère Opinion du Premier ministre de 2012 à 2017, et Experte-associée à la Fondation Jean Jaurès.

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Atlantico : Selon un sondage OpinionWay pour LCI, 77% des Français estiment que les élus perçoivent une rémunération "trop élevée". Faut-il véritablement voir ce jugement comme un désaveu concernant les résultats des politiques menées, ou comme une véritable attaque contre le niveau de rémunération des élus ? 

Chloé Morin : Evidemment, il faut voir ce sondage comme un symptôme. Ce que les gens nous disent, lorsque l’on fait des études qualitatives, c’est « les politiques ne nous servent à rien, donc pourquoi devrions-nous payer leur salaire? ». Cette tendance existe de longue date, elle n’est pas nouvelle. 

Sans doute le rapport à la politique est-il devenu plus utilitariste depuis quelques années, et le lien entre la parole politique et les actes s'est distendu au point où la plupart de nos concitoyens ont le sentiment que les élus ne servent à rien. On constate d’ailleurs que les Gilets jaunes rejettent, pour certains, le principe même de représentation. 

Il convient de rappeler qu’à l’issue de l’élection d’Emmanuel Macron, l’espoir de voir enfin les politiques fournir des résultats tangibles s’est temporairement ranimé, et la défiance vis à vis des institutions avait baissé. La confiance dans les députés avait par exemple augmenté de 12 points en juin 2017 dans notre étude « Fractures françaises » par rapport à 2016. Elle restait toutefois très basse, à 33%, et les soubresauts politiques récents nous ont ramené à des niveaux de défiance inégalés. D’une certaine manière, tout fonctionne comme dans une entreprise : si le patron crée des emplois, on tolère son salaire mirobolant. Si ce n’est pas le cas, cela devient très difficile à accepter…

Sur ce sujet du rapport entre peuple et élites, il y a souvent des erreurs d’interprétation ou des malentendus. Par exemple, lorsque, avec la fondation Jean Jaurès, nous avions réalisé une étude à l’automne 2017 sur l’état de la démocratie, un autre résultat m’avait frappée : l’immense majorité des Français se déclarait favorable à la diminution du nombre de députés, mesure à ce moment là proposée par le Président de la République. Mais lorsqu’on les interrogeait sur les raisons pour lesquelles ils soutenaient une telle mesure, la première raison qui ressortait était… pour faire des économies. Alors que le Président prétendait créer une Assemblée moins nombreuse mais mieux dotée en moyens d’investigation, de contrôle, et donc en personnel plus nombreux, les Français semblaient donc adhérer à cette mesure par pur rejet des élites. L’accord entre l’opinion et le Président était donc, sur ce point, fondé sur un malentendu - et je pense que ce malentendu persiste aujourd'hui.

Pour autant, faut-il accéder à cette demande, au risque que plus personne ne veuille s’engager en politique, et donc d’affaiblir la démocratie? Je pense que non. Certes, beaucoup de gens estiment que les élus nous coûtent trop cher, et il faut constamment réfléchir aux moyens de mieux maintenir le lien entre les politiques et les citoyens, mais il faut avoir le courage de dire que si la démocratie n’a pas de prix, elle a un coût. Quelle démocratie digne de ce nom demanderait à ses élus de travailler gratuitement? Les privilèges d’antan ont pour une grande part été abolis, mais ils persistent à l’état de fantasmes populaires.
J’ai même tendance à penser que chaque pas fait dans la direction de l’opinion majoritaire, sur cette question, ne fait in fine que conforter l’idée que «  les élus sont tous pourris », et engendrer un anti-parlementarisme de plus en plus radical. La preuve : on n’a jamais autant contrôlé les élus, entre la Haute autorité de la transparence, l’obligation faite aux députés d’être transparents sur leurs dépenses, baisse des rémunérations des membres du gouvernement et contrôle de leur patrimoine, etc. Et pourtant selon le dernier baromètre du CEVIPOF sur la confiance en politique, la défiance vis à vis des élus n’a jamais été si grande. Cahuzac, Thévenoud ou Benalla ont davantage marqué l’opinion que les lois prises depuis 2012… 

La réponse à cette tendance à vouloir "lyncher les élus" est donc à mon sens dans l’amélioration de l’efficacité des services rendus, dans la restauration de la confiance entre élites et citoyens, et dans l’exemplarité bien sûr, mais pas dans une fuite en avant populiste dont on sait qu’elle n’améliorera ni la qualité des lois, ni la qualité des politiques publiques. D’ailleurs, les citoyens ont redécouvert l’utilité du Parlement au moment de l’affaire Benalla (du moins les citoyens opposés à la politique du Président)….

D'une manière générale, en quoi les demandes institutionnelles des Français pourraient être plus liées à ce manque de résultat qu'à une critique de leurs institutions ? 

Je suis frappée de constater que le débat se focalise aujourd’hui essentiellement sur le RIC et les moyens de rendre notre démocratie plus « participative », alors que si nous regardions ce qui se passe chez nos voisins, nous nous rendrions compte que tous voient les populismes monter, la défiance se creuser vis à vis des élus, le désengagement citoyen s’accentuer... alors qu’ils ont des systèmes institutionnels très très variés. 
Cela m’incite à penser que le problème majeur de nos démocraties n'est pas nos institutions, même si l’on peut et doit toujours améliorer la transparence et la lisibilité des modes de prise de décision et mieux tenir compte des avis des citoyens entre deux élections. 

Le sujet, ce sont les grandes tendances sociales et économiques qui structurent les dynamiques d’opinion, et auxquelles les politiques peinent à apporter des réponses, non seulement sur le plan technique, mais aussi sur le plan idéologique - c’est à dire à offrir une vision du monde claire, cohérente, aspirationnelle, qui puisse servir d’alternative au déclinisme identitaire ambiant. Les deux aspects - technique, et idéologique - sont importants, car il faut offrir aux gens non seulement des résultats mais aussi une grille de lecture du monde. 

Parmi les tendances qui structurent les dynamiques politiques, et qui permettent de réellement comprendre notre crise démocratique et sociale, nous avons par exemple identifié dans nos enquêtes internationales :

- le sentiment que le système politique et économique fonctionne au détriment de l’intérêt de la majorité des citoyens, avec 1% au sommet qui profite, et 99% qui peinent à s’en sortir (déclinisme très répandu en France, entre crainte de déclassement individuel et d’appauvrissement collectif).

- la transformation de la composition de nos sociétés - composition ethnique, avec les flux migratoires, et vieillissement de nos sociétés.

- l’amplification de l’individualisme, du consumérisme politique, et de la dictature de l’urgence en politique par les réseaux sociaux.

- la contrainte climatique, qui réactive la question sociale.

- la tribalisation, c’est à dire le repli sur une identité d’origine ou de valeurs, face à un « autre » perçu comme hostile.

- etc.

Ne peut-on pas voir dans ce cadre un risque de répondre "au pied de la lettre" à cette demande des Français, alors que la cause principale relève plus d'une nature politique ? 

Quand on confond le symptôme et la maladie, on prend toujours le risque d’aggraver le mal… c’est précisément ce que l’on peut craindre ici. 

Il faut bien sûr trouver le moyen d’établir la transparence, la lisibilité, l’exemplarité au sommet, car ce sont des conditions indispensables pour restaurer la confiance. Et dans l’exemplarité, il y a évidemment le fait d'assurer un niveau de rémunération des élus qui ne soit pas déconnecté du reste de l’échelle des salaires ou de leur service rendu à la Nation. 

Mais de manière plus profonde, on ne réconciliera pas le peuple avec ses élus si l’on ne s’attaque pas au sentiment dominant que « quel que soit mon vote, le résultat est le même », c’est à dire nul. On ne restaurera pas la confiance non plus en surfant sur les idées reçues et les clichés.

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