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Procès Spanghero : comment l’affaire de la viande de cheval dans les lasagnes a ouvert la porte à de nombreux autres scandales
©ANDREW YATES / AFP

Goût amer

Ce mardi s'ouvre le procès de dirigeants de l'entreprise Spanghero dans l'affaire datant de 2013 sur la fraude à la viande de cheval. Une escroquerie qui a marqué le paysage de l'agro-alimentaire.

Bruno Parmentier

Bruno Parmentier

Bruno Parmentier est ingénieur de l’école de Mines et économiste. Il a dirigé pendant dix ans l’Ecole supérieure d’agronomie d’Angers (ESA). Il est également l’auteur de livres sur les enjeux alimentaires :  Faim zéroManger tous et bien et Nourrir l’humanité. Aujourd’hui, il est conférencier et tient un blog nourrir-manger.fr.

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Atlantico : Le procès pour "escroquerie en bande organisée" et "tromperie" de 4 présumés responsables du scandale des lasagnes au cheval roumain Spanghero commence, six ans après les faits. Que s’est-il passé entre temps, qu'est ce qui a changé ?

Bruno Parmentier : La sensibilité de l’opinion publique sur ces questions s’est exacerbée, les moyens scientifiques de détection des fraudes se sont améliorés, et du coup… on a de plus en plus de scandales ! Ce qui ne veut pas dire qu’on a davantage de fraude, probablement au contraire, mais cet épisode de la viande au cheval roumain nous a vraiment fait changer d’époque. Car vendre un produit bon marché avec une étiquette de produit plus noble est vieux comme le monde ! Il a été estimé par exemple qu’aux USA le tiers des poissons panés qui sont vendus ne contiennent pas le poisson annoncé sur l’étiquette ! Mais auparavant, pour détecter le producteur de pâté aux alouettes qui rajoutait du cheval dans sa préparation, il fallait le prendre physiquement « la main dans la marmite ». Maintenant, n’importe quelle association peut acheter une barquette de lasagne n’importe où, faire faire des analyses génétiques et prouver ainsi que la viande de bœuf qui devrait y être provient en fait d’un cheval !

Cette prouesse technologique donne de nouvelles armes à la police, aux journalistes ou aux consommateurs. D’autant que la précision et la fiabilité des appareils de mesure ne cesse de s’améliorer. On peut ainsi paradoxalement se féliciter que, depuis, on ait pu chercher, et trouver, du fipronil à dose infime dans des œufs (combien de produits fallait-il rechercher avant d’imaginer qu’il pouvait y avoir du fipronil ?). Ou alors qu’on fasse très rapidement le lien entre l’hospitalisation de quelques nourrissons et un dysfonctionnement dans la tour N°2 de l’usine Lactalis de Craon. Ou encore qu’on arrive à trouver des traces (minimes) de pesticides dans presque tous les fruits et légumes, ou plus récemment de glyphosate dans l’urine de quelques personnalités. 

On peut donc prévoir qu’à ce rythme il y aura de plus en plus de « scandales » alimentaires, et donc de plus en plus d’entreprises mises en cause, ce qui en fera réfléchir plus d’un avant de tricher ou simplement d’être négligeant. Au total, la multiplication des scandales fait, et fera progresser, même lentement, la sécurité alimentaire dans nos pays. Notons au passage qu’aucun de ces « scandales » n’a causé de morts, fort heureusement, ce qui ne les a pas empêchés de passionner, et de scandaliser, nos concitoyens.

Et notons que ceux qui franchissent la ligne, consciemment ou inconsciemment, et se font prendre, subissent de lourdes sanctions dans l’indifférence générale. L’usine de Castelnaudary par qui le scandale est arrivée est passé de 350 à 100 salariés sans que personne ne proteste, pas plus qu’on ait vu de solidarité avec les employés de Lactalis ou les producteurs de lait qui leur livraient leur production !
Le vrai problème finalement, c’est qu’on ait continué à dégarnir les effectifs de la police de l’alimentation. La DGCCRF (répression des fraudes) par exemple doit encore perdre 90 agents sur la période 2018-19, alors que, d’ores et déjà, le nombre des inspections sur la sécurité sanitaire des aliments était passé de 86 239 en 2012 à 54 000 en 2017, soit 37 % de moins.

Avons-nous vu le secteur alimentaire évoluer vers plus de traçabilité et de transparence ?

On a fait un petit pas, mais seulement en France, faute d’avoir réussi à faire bouger l’Europe : dorénavant nos étiquettes sont moins opaques car elles mentionnent le pays d’origine de la viande de bœuf et du lait dans les produits transformés et sur la carte des restaurateurs… Pour la viande de porc, à peine la moitié des produits sont ainsi tracés, et presque rien pour les produits à base de poulet. La simple mention « communauté européenne » ou « hors communauté européenne » est tellement généraliste qu’elle ne sert pratiquement à rien !

On a également multiplié par dix le montant des amendes en cas de tromperie et créé un réseau européen pour une meilleure collaboration entre Etats membres, le Food Fraud Network…

Mais les résistances à la transparence restent énormes. Illustrées par exemple par la grande difficulté à faire utiliser le logo Nutriscore élaboré par le Programme National Nutrition Santé (PNNS), pourtant encore plus important car avec des enjeux directs sur la santé publique (obésité, diabètes, etc.), et qui fait l’objet à la fois d’un tir de barrage et d’une indifférence tranquille et coupable de la part des grandes multinationales de l’alimentation. Beaucoup de chemin reste à faire !

La filière viande a-t-elle été touchée par ce scandale ?

Globalement la filière viande et celle du lait doivent affronter un reflux global. Après des décennies d’augmentation constante de la consommation (on est passé de 30 kilos de viande et autant de lait par personne à 100 kilos au cours du XXe siècle), l’appétence pour ces produits décroît. On est redescendu à 90 kilos de laitages et 85 kilos de viande. Il est difficile de donner une cause unique à cette nouvelle évolution résolument baissière, qui va probablement se prolonger, elle aussi, pendant des décennies (gageons qu’on finira entre 50 et 60 kilos par personne au milieu du XXIe siècle…). A partir du moment où ces produits apparaissent banaux et très accessibles, la volonté farouche de les avoir enfin faiblit, et tous les prétextes sont bons pour s’en éloigner progressivement : bien-être animal, atteintes à l’environnement et au réchauffement de la planète, problèmes sanitaires, coût de la vie, perte de confiance dans les acteurs, vision philosophique du monde, etc. Il est difficile de faire la part de chacun de ces facteurs. Notons pas exemple le mouvement du « lundi vert » (sans viande ni poisson) qui vient de voir le jour…

On mangera de moins en moins de viande dans les années à venir, chez nous (car dans les classes moyennes émergentes du tiers-monde, c’est l’inverse !). Mais plus de qualité, plus de traçabilité, plus de transparence, plus d’histoires à se raconter autour, et probablement à un prix plus important. L’argument massue de la fin du siècle dernier : toujours moins cher, montre ses limites et on commence à se dire « moins cher, oui, mais à quel prix ». Quand on achète un produit, on s’aperçoit qu’on achète aussi achète le monde qui va avec. Par exemple quand on achète des lasagnes surgelées à 1,50 € la part, on finit par admettre que ça n’existe pas avec des produits de qualité et des salaires payés normalement. Et qu’on acquiert donc de la mondialisation débridée, de la mise en concurrence effrénée des fournisseurs à travers toute l’Europe et au-delà, de l’industrialisation à outrance, des traders incontrôlables d’Amsterdam à Chypre… et en bout de chaîne des escrocs qui écoulent frauduleusement les chevaux de réforme roumains déguisés en bœufs de chez nous ! Alors, on finit par se demander pourquoi on a pris l’habitude de manger des plats à base de viande le soir, alors qu’on en a mangé à midi, et à reconsidérer autrement la bonne vieille soupe de légumes (de saison et locaux, voire bios), la meilleure façon finalement de faire un diner pas cher, bon pour la santé et bon pour la planète ! 

Le "minerai de viande", à la base du scandale, se retrouve-t-il encore à la vente ?

Oui, bien sûr ! Les abattoirs ne vendent pratiquement plus de carcasses, mais désassemblent les animaux pour en valoriser au mieux chaque partie. Ils ne vont quand même pas perdre et jeter leurs chutes de découpe et de tissus graisseux, et ils continuent donc à les agglomérer par paquets de 10 à 25 kilos qu’ils vendent aux industriels pour la fabrication de plats cuisinés, le fameux « minerai »… Ou aux industriels de la nourriture pour animaux (rappelons que, rien qu’en France, 21 millions de chiens et de chats mangent de la viande presque tous les jours !). Le gâchis serait une solution encore pire…

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