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Acte 10 des Gilets jaunes : moins de violence, plus de maturité
©ERIC FEFERBERG / AFP

Mutation politique

Durant cet acte 10 de leur mobilisation, les Gilets jaunes, toujours aussi présents, quand certains pensaient que le lancement du Grand débat national allait changer la donne, ont montré une image plus structurée. Elle traduit la volonté d’un enracinement dans le temps de leurs actions à laquelle il sera difficile au gouvernement de répondre.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Comment s’est déroulée la journée de mobilisation de l’Acte 10 des Gilets jaunes ? Peut-on parler de succès ou de régression ?

Christophe Boutin : Alors que, selon le dernier sondage en date, 56% des Français soutiennent les Gilets jaunes, était-ce pour relativiser les précédentes journées d’action et démoraliser les manifestants, ou était-ce, comme certains membres du gouvernement et le Président lui-même aiment à le faire, pour les provoquer un peu, mais le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner déclarait à Europe 1 avant cet Acte 10 que réunir 80.000 personnes, comme lors de l’Acte 9, était bien loin des « vraies » manifestations pour un connaisseur tel que lui. « Moi, j'ai en tête la dernière manifestation contre la réforme de la SNCF – disait-il -, c'était 322.000 personnes, dont 50.000 à Paris. Et ça se passait sans difficultés ». Et il ajoutait : « Pour filer la métaphore théâtrale, la pièce s'éternise, il n'y a plus grand monde ni sur scène, ni dans la salle, pour moi, il est temps de changer la pièce. Ce qui m'intéresse c'est l'acte 1 du Débat national. » On notera que, prudent, il avait quand même mobilisé pour l’occasion 5.000 policiers et gendarmes mobiles, dont 35 détachements d'action rapide, et huit véhicules blindés à roues de la gendarmerie (VBRG).

Combien de Gilets jaunes ont répondu présent lors de cet Acte 10 ? Le ministère de l’Intérieur a fait attendre son estimation de la mi-journée, pour annoncer 27.000 personnes à 14 heures (32.000 lors de l’acte 9), pour finalement, en fin de journée, recenser 84.000 participants… soit autant que la semaine dernière pour l’Acte 9.

Toujours en fin de journée, on évaluait cette participation à 7.000 manifestants à Paris, où était Éric Drouet, un peu moins ici que la semaine précédente, mais les Gilets jaunes étaient aussi, comme lors des actes précédents, présents en force dans toute la France : Bordeaux (4.000), Angers (2.500), Nantes (900), Toulouse (10.000), avec cette fois présent Éric Nicolle, Montpellier (1.500) Rennes (2.000), Caen (2.000), Rouen (2.500), Lille (1.500), Toulon (1.700) Marseille (2.500), Angers (2.500) Nancy (2.000) ou encore à Béziers, Pau, Dax, Lormont, Limoges, Pau, Le Havre, Strasbourg, Laval ou Tarbes, sans compter les manifestants présents sur les autoroutes pour organiser les « péage gratuits », bref un tour de France qui reste impressionnant en termes d’ampleur géographique de la mobilisation.

Par ailleurs, à la mi-journée, la préfecture de police de Paris faisait état tout au plus d'une douzaine d'interpellations dans la capitale, ce qui traduisait bien le côté « bon enfant » de la plupart des défilés, même si des heurs sporadiques ont éclaté ça et là et si, à Toulouse ou Bordeaux par exemple, on a pu voir agir des casseurs très jeunes et bien entraînés.

En conclusion, nous avons avec cet Acte 10 une mobilisation qui se maintient à un étiage qui était celui de la mi-décembre, tant en tenant compte du volume total de manifestants que de la diversité géographique des actions entreprises, tandis que ces mêmes manifestants tentent de casser l’image de violence qui était attachée à certaines de leurs précédentes journées d’action. Une évolution vers des manifestations plus pacifiées qui n’est d’ailleurs pas fortuite

Quels sont les changements que traduit le déroulement de cet Acte 10, Peut-on penser que les Gilets jaunes évoluent au fil des journées d’action ? Quels sont leurs nouveaux moyens ?

On vient de le dire, manifestement, les Gilets jaunes ont maintenant clairement pris conscience qu’ils ne doivent pas perdre le soutien de l’opinion en laissant s’exprimer une certaine violence, qu’elle soit d’ailleurs de leur fait ou, plus souvent, du fait de groupes informels qui ont pu s’agréger à leurs manifestations. Et le mouvement a pris lors de cet Acte 10, notamment à Paris, mais pas seulement, des mesures suivies d’effets.

L’Acte 9 avait ainsi connu des frictions avec certains journalistes, accusés par les Gilets jaunes de ne rendre compte que de manière biaisée du déroulement de leurs actions ou de ne pas relayer clairement leurs revendications. Cela avait permis au pouvoir de s’insurger contre ces attaques et de se poser en garant de la liberté de la presse, et durant cet acte 10, des journalistes ont par ailleurs manifesté place de la République à Paris pour « défendre la liberté d’informer ». Mais ce 19 janvier, lorsque, très ponctuellement, un journaliste a effectivement été pris à partie par un Gilet jaune - en Moselle -, le compte-rendu des évènements ne pouvait qu’indiquer que le manifestant agressif avait été immédiatement maîtrisé par d’autres Gilets jaunes.

De la même manière, sur le plan cette fois de la violence non plus physique mais verbale, lorsque le journal Le Monde a rappelé que des propos antisémites avaient été tenus à Paris lors de l’Acte 9, il ne pouvait cacher qu’ils avaient été tenus par un groupe n’appartenant pas aux Gilets jaunes, qui était seulement venu profiter de la manifestation pour diffuser ses thèses, et qui avait été largement conspué par les manifestants. Durant l’acte 10, il ne semble pas que l’on ait relevé de tels problèmes.

Cette diminution des violences verbales ou physiques intervient au moment où la dénonciation des « violences policières » se fait de plus en plus présente dans la presse nationale et internationale, quand le Défenseur des droits, Jacques Toubon s’inquiète de l’usage des Lanceurs de balles de défense (LBD) de type Flash-Ball, et quand Alexis Corbière annonce que son groupe va déposer à l’assemblée nationale une proposition de loi visant à interdire leur utilisation et celle de certaines grenades lacrymogènes. Le déséquilibre qui se crée dès lors en termes d’images, entre celles de manifestants plus calmes et celles des conséquences dramatiques des ripostes des semaines précédentes, est important pour que le mouvement conserve sa légitimité, voire la renforce. En effet, si les Français, on l’a dit, lui apportent toujours leur soutien, ils refusent par ailleurs majoritairement l’usage de la violence dans les manifestations et ne l’acceptent de la part de la force publique que tant qu’elle est nécessaire et proportionnée.

L’autre élément important à signaler, au vu du déroulement de cet Acte 10, est que le mouvement des Gilets jaunes évolue dans son organisation même. Loin du rassemblement spontané des débuts, quand les manifestants venus à Paris étaient livrés à eux-mêmes ou presque, sans consignes précises, et que de petits groupes dispersés peinaient à trouver leurs marques, on a vu à Paris durant cet Acte 10 un service d’ordre les encadrer, veillant par exemple à ce qu’ils n’approchent pas des vitrines, pour éviter de faire le jeu de casseurs. Ils ont aussi amélioré les services d’aides aux personnes victimes des mouvements de foule ou des effets des matériels utilisés par les forces de l’ordre, rejoints pour cela par des volontaires pompiers, médecins ou ambulanciers.

« Les volontaires assurant la sécurité auront un brassard blanc. Ceux orientant les manifestants, un bleu. Les personnes âgées ou ayant des difficultés à se déplacer arboreront un brassard rose », voici quelques-unes des directives que l’on pouvait lire ou entendre de la part des organisateurs. Grâce à ce service d’ordre, mais aussi par discipline interne, les manifestants veillaient à ne pas être infiltrés par d’autres groupes, les casseurs bien sûr, mais aussi ceux qui tenteraient de profiter des caméras présentes pour diffuser des thèses n’ayant rien à voir avec le mouvement - et il y a même eu à Paris quelques tensions entre certains Gilets jaunes et des syndicalistes accusés de vouloir récupérer leur action.

Au vu de cette mobilisation de l’Acte 10 et de l’évolution du mouvement, quel a été l’impact de cet Acte 1 du Grand débat dont parlait Christophe Castaner ?

Les deux interventions d’Emmanuel Macron, ont réuni chacune un million de téléspectateurs (1,25 millions pour cette de Grand Bourgtheroulde, 982.000 pour celle de Souillac). Et pourtant, à la fin de la semaine, 70% des personnes interrogées estimaient que le Grand débat ne permettrait pas de répondre à leurs préoccupations. On peut dès lors se demander si l’organisation de ce show présidentiel a bien vocation, dans l’esprit de nombre de Français, à se substituer, comme le souhaitait Christophe Castaner à la pièce « sans acteurs ni public » des manifestations hebdomadaires. Car, on l’a dit, il n’y a pas eu de décrue lors de l’Acte 10, il y a par ailleurs cet important élément du maintien de la diversité géographique de la mobilisation, bref les acteurs sont bien toujours là, et la nouvelle organisation matérielle du mouvement, sa « maturité » en termes de déploiement, démontre sa volonté de faire perdurer ce type d’action dans le temps.

Face à ces manifestants plus calmes, le gouvernement semble avoir utilisé presque toutes les armes qui étaient les siennes. Il a tenté de les présenter comme extrémistes et factieux, personne n’y croit. Il a laissé s’exprimer la violence à la fois pour ternir l’image du mouvement et pour mieux la réprimer, mais le déséquilibre des moyens utilisés a fait que c’est sa violence qui a fini par ne plus paraître comme légitime. En jouant ce jeu ambigu, il s’est sans doute aliéné une partie de ses forces de maintien de l’ordre, mal utilisées au début, doublées ensuite par des unités non formées dont les erreurs rejaillissaient sur tous. Mieux, il va finir par faire porter la suspicion non sur les quelques auteurs de ces violences, mais sur les matériels employés, des matériels qui, a priori, ne fonctionnent pas seuls, dont l’emploi est parfois le dernier rempart avant l’utilisation d’armes létales, et qu’il ne faudrait peut-être pas écarter d’un revers de la main.

Que faire ? Le Grand débat national, qui ne se limite pas à l’itinérance jupitérienne puisque d’autres initiatives sont prévues, va durer deux mois, puis il faudra encore en tirer les leçons, en déduire des orientations, les traduire en projets, engager les procédures de révision constitutionnelle, légiférer, réglementer… Avec en sus les tensions de la campagne des élections européennes, les conséquences de la signature d’un Traité d’Aix-la-Chapelle sur la finalité duquel on commence à s’interroger ici et là… et tout ce qui n’est pas encore connu et viendra se surajouter aux problèmes actuelles. On conviendra que le pouvoir légal aura bien du mal dans un contexte aussi difficile à restaurer sa légitimité. L’étonnant bras de fer qui s’est engagé pour quelques centimes de plus par litre de diesel est loin d’être terminé.

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