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Radioscopie des dépenses de la France : ces nouvelles inégalités qui se cachent derrière la puissance apparente de l'État-providence
©Reuters

Re-distribution ?

Dans un document préparé par Bercy dans le cadre du Grand Débat, intitulé « ce que financent 1 000 euros de dépenses publiques », il apparaît que les catégories les plus importantes sont les retraites (268 euros), l'assurance-maladie (191 euros) et l’éducation (96 euros)

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Noam Leandri

Noam Leandri

Noam Leandri est président de l'Observatoire des inégalités.

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Atlantico: Dans quelle mesure l’importance des dépenses consacrées à ces catégories (éducation, retraites, santé) peut-elle masquer l’efficacité de celles-ci, notamment dans la réduction des inégalités ?

Michel Ruimy : En marge du Grand Débat, Bercy se veut pédagogue. Sur le document que le gouvernement vient de délivrer, certains chiffres attirent l’attention notamment les postes les plus élevés comme les retraites, l’assurance-maladie et l’éducation. Ces trois lignes comptent pour 555 euros sur un total de 1 000 dépensés par l’Etat. Ce constat soulève deux questions :

De manière générale, le niveau des dépenses publiques est-il soutenable ? Car un niveau de dépenses publiques élevé n’est pas nécessairement un problème en soi, si les recettes publiques permettent de couvrir ces dépenses sans recours à l’endettement public et sans peser sur la croissance du pays. Dans le cas de la France, les dépenses publiques - près de 1 300 milliards en 2017 - sont financées pour une part importante par l’endettement alors même que le niveau de prélèvements obligatoires est l’un des plus élevés de l’OCDE : 45,3% du Produit intérieur brut en 2017 soit 1 040 milliards d’euros contre environ 35% en moyenne dans les pays de l’OCDE.

Par ailleurs, ces dépenses publiques sont-elles efficaces ? Le recours massif à la dépense publique peut être justifié si les résultats obtenus sont meilleurs qu’en laissant une marge de manœuvre plus grande à l’initiative privée. Qu’en est-il pour ces trois postes ?

Près de 10% des dépenses publiques, assumée à plus de 80% par les collectivités publiques, sont consacrées à l’éducation. Si cet effort financier est massif, il est semblable à celui des principaux pays de l’Union européenne.

Mais, au-delà des sommes investies, notre système éducatif est de plus en plus inégalitaire. Notre pays est celui où l’impact de l’origine sociale sur les résultats des élèves est le plus grand, de l’ordre du double de celui du Japon ou du Canada. Cette inégalité est bien plus marquée que dans la plupart des autres pays de l’OCDE et elle… s’aggrave ! En France, lorsqu’on appartient à un milieu défavorisé, on a clairement aujourd’hui moins de chances de réussir qu’il y a quelques années. Enfin, les élèves issus de l’immigration sont plus susceptibles de compter parmi les élèves en difficulté. Ainsi, la France est le pays occidental le plus éloigné de l’objectif de l’égalité des chances, pourtant affirmé à l’article premier du code de l’Education.

Concernant les retraites, plus d’un quart des dépenses publiques, 268 euros sur 1 000 euros dépensés par l’Etat, financent aujourd’hui les retraites. Ce poste représente 47% des dépenses de la protection sociale et environ 15% du Produit intérieur brut, ce qui en fait la première ligne de la dépense publique. Ce niveau de dépense de pensions, caractérisé par une prépondérance des systèmes de retraite publics, est élevé au sein des pays comparables.

Les retraités en France sont environ 16 millions, soit près d’un quart de la population française. Parmi ceux-ci, près de 1,3 million (8%) sont pauvres, une proportion moindre que dans le reste de la population certes mais, à cet âge - les 75 ans et plus sont les plus touchés -, sans l’aide de la solidarité nationale, comment s’en sortir ? Il conviendrait d’augmenter de manière substantielle le minimum vieillesse que 70 000 personnes touchent d’autant que même s’il y a effectivement un recul de la pauvreté et une amélioration générale du niveau de vie des retraités depuis une décennie, il n’en demeure pas moins que les disparités entre régions existent et sont importantes.

De plus, selon les projections du Conseil d’Orientation des Retraites, les pensions vont progresser de 20 à 30% en euros constants d’ici 2060, selon les hypothèses retenues, lorsque les revenus d’activité, eux, augmenteraient de 60 à 100%. Ainsi, en termes relatifs, la pension moyenne rapportée au revenu d’activité moyen va mécaniquement reculer et le niveau vie relatif aussi. Bilan, demain, à législation constante, le niveau de vie des retraités comparé à celui de la population va diminuer. C’est à l’aune de cette trajectoire problématique qu’il faut jauger les mesures nouvelles sur les retraites, et non au regard des privilèges constatés et souvent exagérés des nantis du baby-boom.

Enfin, l’assurance-maladie. En France, les dépenses de santé sont couvertes à près de 80% par la Sécurité sociale et l’État et à environ 14% par les organismes d’assurance complémentaires. Le reste à charge pour les ménages est donc d’environ 8%. C’est un des plus bas taux d’Europe. L’assurance-maladie est une des quatre branches de la Sécurité sociale. La prévision de déficit pour 2018 a été ramenée à 500 millions d’euros contre un déficit constaté de 4,9 milliards en 2017. Elle revient à un niveau proche de celui de l’année 1999 ! Ainsi, après de longues années de crise, l’Assurance-maladie va mieux. Ceci est une approche financière

De manière qualitative, même si les dépenses de santé augmentent, l’espérance de vie augmente également. 90% des dépenses de santé d’un individu se font en fin de vie. Le vieillissement de la population et l’augmentation des maladies chroniques contribuent depuis plusieurs années au dynamisme des dépenses. Une décomposition par risque de la part des dépenses de protection sociale dans le PIB montre que ce sont les prestations de vieillesse-survie qui ont porté le plus fortement la croissance des prestations sociales.

Or, le processus de diminution du nombre de lits disponibles dans les hôpitaux publics, commencé dans les années 1980, continue. Des d’hôpitaux périphériques ont été fermés, sans être remplacés par des structures alternatives. Les lits ont été fermés sans recréer d’autres structures alternatives pour désengorger les urgences. Ce mouvement s’est accéléré dans les années 2000, et là, il accélère encore. Nous sommes devant un historique de longue date de réduction à la fois des personnels et des structures de soin. Aujourd’hui, nous sommes face à un effet de seuil. L’hôpital, craquant de partout, ne peut plus réduire les moyens. Dans certaines régions, une « catastrophe » sanitaire et financière est à prévoir si rien n’est fait pour enrayer cette dynamique. Ceci sans parler des Ehpad.

Au final, cette approche financière de vérité en cache une autre : le « bon » usage des finances publiques a-t-il été réalisé ? En d’autres termes, ce n’est pas de dépenser (voire plus) qui importe mais a-t-on dépenser mieux c’est-à-dire pour le bien-être de la population.

Noam Leandri : La redistribution monétaire opérée par l'état permet de réduire d'un tiers la pauvreté; sans elle on aurait 14 ou 15 millions au lieu de 9 milions. De la même manière, les services publics offerts gratuitement (éducation par exemple) réduisent les inégalités de revenus de moitié, c'est démontré notamment par l'Insee.

SÉCURITÉ SOCIALE

En matière de santé si l'on n'avait pas la sécu, il faudrait l'inventer. Ça consiste à mutualiser les risques, ce qui est toujours moins cher que lorsque chacun doit assurer individuellement son risque, ça fait que collectivement on s'auto-assure, c'est valable dans tous les domaines. Quand l'assurance est publique elle peut être moins chère: on a 2,5% frais de gestion pour la l'assurance maladie contre 10% pour les mutuelles. Aujourd'hui avec la CMU, les complémentaires obligatoires, il y a un bon accès aux soins, nous avons l'un des systèmes les plus performants et égalitaires. Il y a néanmoins des limites. Premièrement, certains soins sont très chers et mal remboursés : on pense aux lunettes, à certains soins dentaires, pour cela qu'il y a une négociation avec les opticiens, les dentistes, les mutuelles pour baisser les coûts et avoir de meilleurs remboursements. Deuxièmement, on a le problème d'inégalités territoriales dans l'accès aux soins territorial. C'est lié à une logique économique, la tarification à l'activité conduit certains hôpitaux à diminuer la qualité des soins, certains médecins ne s'installent pas dans les zones défavorisées car ils souhaitent mieux gagner leur vie. Cela fait que certaines zones sont délaissées, et on pourrait attendre une action plus efficace de l'Etat, même si des choses sont mises en places, avec par exemple la fin du numérus clausus, qui devrait permettre de mieux remplacer les médecins qui partent à la retraite.

EDUCATION

L'éducation est un poste important de dépenses publiques et de réduction des inégalités. La France a un taux de prélèvements obligatoires élevé, c'est notamment dû à la gratuité de l'enseignement, qui contribue énormément à la réduction des inégalités, car l'éducation est gratuite et accessible à tous. En revanche, on sait que l'enseignement français parvient à créer de très bons profils, une "élite", mais il est moins efficace pour réduire les inégalités d'origine sociale qui s'expriment dans les résultats scolaires. On sait que les moyens de l'éducation ne sont pas toujours bien répartis : les professeurs les plus expérimentés - et donc les mieux payés - vont plutôt dans les zones favorisées alors que les jeunes professeurs, peu expérimentés sont envoyés dans les Réseaux d'Education Prioritaires (REP). Ça veut dire qu'on a une masse salariale plus faible dans les zones défavorisées, donc une dépense publique plus faible dans les zones défavorisées. Néanmoins, il existe des mécanismes de compensation, par exemple le dédoublement des classes en CP, qui contribue aussi à compenser une forme de "handicap territorial" mais ça ne concerne actuellement que 10% des élèves, et uniquement le CP, le dispositif reste trop limité car il a un coût en matière de dépense publique.

RETRAITES

Les retraités français ont un niveau de vie équivalent à celui des salariés, c'est un système protecteur pour les Français, qui est satisfaisant en moyenne .Mais les moyennes peuvent cacher des inégalités. Ce sont les femmes qui sont les plus pénalisées par le système sont les femmes : elles ont des salaires plus faibles que les hommes à niveau équivalent et des carrières plus "hachurées", elles sont plus souvent bénéficiaires de pensions de réversion qui ne sont pas toujours très élevées. La conséquences, c'est que les femmes retraitées sont plus souvent pauvres que les hommes retraités. Leurs retraites sont plus faibles car elles n'ont pas cotisé autant d'années ou parce qu'elles ont versé des cotisations moins importantes. Au niveau territorial les retraites favorisent les territoires moins dynamiques car les retraités s'y installent, ça a tendance à lisser, à redistribuer les richesses. Les cotisations sont prélevées dans les territoires les plus riches et on verse des pensions partout où il y a des retraités ; or un retraité n'a pas besoin d'être dans un endroit où il y a du travail ; le sud, l'est la Bretagne ne sont pas des territoires très dynamiques, mais les retraités s'y installent et leur argent permet d'y soutenir l'activité économique.

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