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Grand Débat : ce que la science nous dit des vertus de l’intelligence collective (et de ses limites)
©LUDOVIC MARIN / AFP

Démocratie augmentée

Avec le Grand débat, Emmanuel Macron et le gouvernement ont fait le pari de l'intelligence collective, pour répondre à la mobilisation spontanée des Gilets jaunes. Théoriquement, cela se tient. Dans la pratique, la chose est plus complexe.

Mehdi Moussaïd

Mehdi Moussaïd

Mehdi Moussaïd est chercheur en sociologie quantitative à l'institut Max Planck de Berlin. 

Il a réalisé une thèse sur la dynamique des mouvements de foule, et poursuit ses recherches sur le comportement collectif des systèmes sociaux. Vous pouvez consultez son site. 

 
 
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Atlantico : Avec le "Grand débat national" du moment, dans quelle mesure peut-on compter sur l'intelligence collective pour obtenir des résultats concrets ?

Mehdi Moussaïd : Il n'y a pas encore de consensus scientifique autour du sujet, cependant les chercheurs ont compris que parfois l'intelligence collective va engendrer des résultats positifs, et parfois c'est le contraire. Mais il y a des conditions, déjà pour qu'un débat soit efficace il faut qu'il y ait débat, si vous prenez un groupe de personnes où tout le monde est du même avis, à la fin de la discussion les personnes seront encore plus convaincues de leurs opinions initiales. C'est ce que l'on appelle la "polarisation", si un groupe est trop homogène idéologiquement, il ne pourra pas s'ouvrir à des opinions différentes, au contraire il aura tendance à devenir plus extrême. On le voit très bien sur les réseaux sociaux dans les groupes, qui se ressemble s'assemble, ils seront bombardés d'informations allant dans leur sens, partagées par d'autres membres du groupe, et cela renforcera leur position idéologique initiale. Il faut donc confronter les avis !

A-t-on des exemples historiques et politiques de la réussite de ce genre d'exercice ?

C'est difficile à dire ! Mais de manière générale la démocratie, par son système de vote, fait appel à la conscience collective, et va avoir tendance à faire ressortir des choses plutôt positives. Cependant il faut tout de même se méfier d'un jugement collectif trop hâtif.

Gustave Le Bon dans son livre La psychologie des foules dénonce les risques inhérents à la "passion des foules" comment esquiver ce genre de risques ? Comment différencier la "foule" de l'intelligence collective ?

C'était un point de vue particulièrement dominant au temps de Gustave Le Bon (19e siècle), beaucoup de penseurs de l'époque considéraient la foule capable de "bêtise collective". Ils avaient mis le doigt sur le fait qu'une foule a tendance à amplifier les choses, vous prenez les gens individuellement et ils seront plus modérés, mettez-les ensemble et ce sera le contraire. De plus à l'époque les temps étaient plus durs, lors des mouvements de foule les gens étaient en colère, mois lettrés qu'aujourd'hui, et les informations circulaient plus difficilement. Aujourd'hui on ne parle plus de "bêtise collective" toutefois il peut y avoir une "amplification" pouvant être dangereuse. L'un des éléments les plus importants c'est l'information, pour prendre de bonnes décisions il faut s'appuyer sur des faits, aujourd'hui les statistique peuvent être dénaturées. Il serait utile d'avoir une base d'informations sur laquelle tout le monde puisse débattre. Par exemple sur les Gilets Jaunes, quand vous regardez sur internet, vous avez toutes les infos sur les violences policières qui vont circuler chez les pros Gilets Jaunes, dont certaines sont des "fakes-news". A l'inverse les infos sur les casseurs vont être partagées par les antis Gilets Jaunes, qui peuvent également être des "fakes-news". Les gens ne partagent pas les mêmes informations, donc le débat est impossible ! Le rôle des médias et journalistes est de donner des informations vérifiées sur un ton neutre, c'est à partir de cette base que l'on pourra avancer.

Oui mais prenons par exemple le jeu télévisé "Qui veut gagner des millions", dans lequel le candidat peut prendre plusieurs options pour l'aider. On remarque que l'avis du public est bien plus demandé que l'appel à un ami. Y a-t-il des critères pour sonder l'avis général et avoir une meilleure réussite ?

Dans le cas de "Qui veut gagner des millions" les gens dans le public prennent des avis "indépendants", Jean-Pierre Foucauld dit bien au candidat de ne pas dire ce qu'il pense avant le vote, sinon le public aura tendance à aller dans son sens. C'est l'effet "d'ancrage", si les gens ne sont pas sûrs, ils auront tendance à choisir la solution d'un autre même avec leurs informations propres. Dans le cas d'un vote, il est fortement conseillé de minimiser les interactions sociales avant la décision, pour que celle-ci soit prise en toute indépendance. Les chercheurs se demandent si le mieux, pour un vote, est de sonder tous les votants indépendamment, où de les laisser discuter entre eux avant la décision. Nous ne sommes pas encore certains du résultat, mieux ou pire. Mais il y a tout de même certaines constantes :

  • Il ne doit pas y avoir de ségrégation entre les personnes, pas de regroupement par affinités, sinon il y aura une polarisation.
  • Les informations soumises aux individus doivent êtres neutres et authentiques. Si les gens arrivent avec "leurs" infos (qui vont dans leur sens) rien n'avancera !

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