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Alerte Rouge : après la Chine, Donald Trump entend s’attaquer à l’Europe et voilà pourquoi  la France serait bien inspirée de réagir au plus vite
©LUDOVIC MARIN / AFP

Diplomatie

Selon le Washington Post Donald Trump ne ferait aucun mystère de ses intentions, Le président américain aurait ainsi indiqué "que sa campagne pour briser les pratiques commerciales inéquitables de la Chine ne serait qu'un prélude à un effort qui viserait à "détruire" les pratiques de l'Union européenne.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico : Selon un article du Washington Post publié le 6 janvier dernier, "Donald Trump ne ferait aucun mystère de ses intentions". Le président américain aurait ainsi indiqué à un dirigeant d'un allié de l'OTAN "que sa campagne pour briser les pratiques commerciales inéquitables de la Chine ne serait qu'un prélude à un effort qui viserait à "détruire" les pratiques de l'Union européenne qui ont abouti à la création de déséquilibres commerciaux avec les Etats-Unis". Comment comprendre une telle déclaration ? 

Nicolas Goetzmann : La tension commerciale actuelle concerne principalement les trois grandes puissances économiques mondiales que sont les Etats-Unis, la Chine, et la Zone euro, et qui représentent ensemble plus de la moitié du PIB mondial. Parce que dans une économie mondiale ouverte – mondialisée - il existe une nécessité de coopérer afin que chacun apporte sa pierre à la croissance économique globale. Or, et c'est la cause des tensions, la "coopération" supposée a laissé la place à des comportements pour le moins inappropriés de la part de certains acteurs. Et si l'on restreint l'analyse de cette tension actuelle aux relations entre Etats-Unis et Europe, en reprenant ce cadre de la participation à la croissance mondiale, il faut alors regarder les chiffres pour comprendre les déclarations de Donald Trump. 
L'économie américaine a retrouvé un niveau de chômage qui n'avait jamais été atteint depuis 50 ans, la croissance a été solide depuis l'année 2010, et les stigmates de la crise s'estompent peu à peu. Du côté de la zone euro, la croissance est toujours en berne et le chômage atteint encore un niveau de 7.9% (4 points de plus qu'aux Etats-Unis). Sur cette base, nous pouvons voir que les efforts fournis par les Etats-Unis, leur contribution à la croissance mondiale, a été largement plus soutenue que les européens au cours de ces dernières années : 

Pour en arriver là, nous pouvons par exemple constater que le déficit budgétaire des Etats-Unis sera de 5% du PIB cette année, soit l'équivalent de 1000 milliard de dollars, alors que le déficit de la zone euro va se rapprocher des 0%. Ce qu'il faut comprendre, c'est que cet effort des Etats-Unis, qui sera payé par le contribuable américain, est un accélérateur de la croissance mondiale parce que ces déficits vont financer la croissance américaine, donc en partie des importations…notamment en provenance de la zone euro. Et ce constat peut également être fait pour la politique monétaire, parce que la FED a été bien plus agressive lors de ces dernières années que la Banque centrale européenne, toujours pour favoriser une politique de plus forte croissance. Le résultat de ces différences de stratégies est que les importations américaines en provenance de la zone euro et à destination des Etats-Unis sont bien plus importantes - parce que la croissance y était plus forte - que les importations en provenance des Etats-Unis et à destination de la zone euro- parce que la croissance y était faible. Ce différentiel de croissance explique la formation d'un gigantesque excédent commercial de la zone euro sur les Etats-Unis. Selon les dernières données fournies par Eurostat, qui couvrent la période de janvier à octobre 2018, l'excédent commercial de biens de la zone euro sur les Etats-Unis était de 116 milliards d'euros, en hausse de 20% comparativement à l'année précédente. Or, l'excédent commercial total de la zone euro sur le reste du monde est de 156 milliards, c’est-à-dire que les Etats-Unis financent 75% de notre excédent commercial, par leur croissance, leurs dépenses budgétaires, et leur politique monétaire. Voilà pourquoi les dents grincent à Washington.  

Pourtant, cette situation d'intense déséquilibre était déjà largement critiquée par l'administration de Barack Obama, qui expliquait lors des réunions des G20 que la zone euro ne pouvait continuer à volontairement restreindre sa croissance intérieure tout en parasitant la croissance américaine. Les européens n'ont pas écouté, pas du tout, et se sont réfugiés dans des argumentaires indignes du type "ce n'est pas de notre faute si les biens américains sont moins désirables que les biens européens", comme si aucun d'entre eux n'avait jamais essayé de comprendre comment se forment des excédents commerciaux. Et les européens ont continué de jouer ce jeu, qui est celui du "cavalier solitaire" de l'économie mondiale. Terme employé pour une économie qui ne participe pas à l'effort collectif et qui se contente de tirer partie des efforts consentis pas ses "partenaires". La question que l'on peut se poser est de savoir ce que nous aurions fait si les Etats-Unis s'étaient comportés de la sorte avec la zone euro ? A quoi bon avoir une économie ouverte si les comportements des uns et des autres tendent à profiter des différents membres, plutôt que de participer à un effort collectif ou chacun apporte ce qu'il peut apporter ? Ce qu'il faut admettre, c'est la légitimité d'une action américaine, reste à savoir si l'attitude de Donald Trump est véritablement "appropriée".

​​Comment l'Europe pourrait-elle réagir à une telle agression de la part des Etats-Unis ?

​La première chose à accepter pour les européens, c'est que leur attitude n'est pas pour rien dans ce qui est en train de se passer. La menace de sanctions sur les intérêts commerciaux européens, par le biais de tarifs douaniers sur le secteur automobile (qui pourraient voir le jour prochainement) est une réponse directe aux excédents européens. Les Etats-Unis n'ont pas d'autre pouvoir que d'essayer de contraindre les européens à faire en sorte de rééquilibrer leur balance courante en stimulant leur croissance intérieure, ce qui aura aussi d'importer plus, ce qui est l'objectif poursuivi par Washington.

Les tarifs douaniers ne sont donc pas une réponse directement efficace pour les Etats-Unis pour obtenir ce dont ils ont besoin, il ne s'agit que d'une sanction. Mais celle-ci fera très mal à l'Allemagne et mal et aux autres pays producteurs d'automobiles (et aura également des conséquences négatives aux Etats-Unis). Mais si les européens réagissent par la mise en place de tarifs douaniers sur les produits américains, nous entrerons alors dans un cercle vicieux déconnecté de toute logique économique.

La seule chose à faire pour les européens, ce qui devrait d'ailleurs être évident, serait de modifier leur stratégie économique pour faire de la zone euro une zone de forte croissance, en utilisant les outils macroéconomiques pour ce faire : 1. relance monétaire par le biais de la BCE (et dont la méthode la plus efficace serait sans doute d'adopter un mandat de plein emploi et un objectif de PIB nominal en lieu et place de son objectif actuel d'inflation à 2%) et 2. relance budgétaire, non pas forcément au niveau de 5%, comme le font les Etats-Unis, mais un seuil de 3% permettrait déjà de soutenir considérablement l'économie du continent sans avoir d'impact sur son niveau d'endettement, comme le disait Olivier Blanchard, ancien chef économiste du FMI, la semaine passée, au Peterson Institute. Là encore, c'est l'Allemagne qui est directement visée.

Les européens ont d'autant plus intérêt à agir en ce sens que cette politique de croissance faible qui est menée depuis près de 10 ans a des effets sociaux et politiques absolument désastreux à l'intérieur même de la zone euro. France, Italie et Espagne, 3 des4 grands pays de la zone euro, sont encore en situation de chômage de masse. L'Europe se décompose sous nos yeux, la France est en proie à un mouvement social sans précédent depuis l'après-guerre, et nous continuons à nous voiler la face, comme si nous étions le dernier rempart de la raison économique au niveau mondial, alors que nous sommes devenus une caricature des l'application des erreurs du passé. Le malaise social européen et les tensions commerciales avec les Etats-Unis ont la même cause : la trop faible croissance de la zone euro, qui n'est pas une fatalité, mais un choix politique.

Quels sont les enjeux réels de cette opposition Etats-Unis - Europe ? ​

Il y a un enjeu, encore voilé aujourd'hui, qui est potentiellement explosif, parce que la situation actuelle va contraindre France et Allemagne à une forme d'épreuve de vérité. Lorsque nous parlons des excédents de la zone euro sur les Etats-Unis, il est difficile d'ignorer le fait que la France présente un déficit commercial important, ce n'est donc pas la France qui est à l'origine du malaise, alors que l'Allemagne affiche un excédent commercial sur le reste du monde de plus de 260 milliards d'euros (300 milliards de dollars), soit le plus important excédent et la planète (très loin devant la Chine). Or, les trois plus grands "perdants", au niveau mondial, de cette stratégie menée par Berlin sont les Etats-Unis (49 milliards d'euros de déficit commercial avec l'Allemagne), le Royaume Uni (48 milliards) et…la France (41 milliards). Ce qui signifie que la France a objectivement intérêt à se ranger du côté américain pour contraindre l'Allemagne à rééquilibrer sa situation. Évidemment, puisque Paris et Berlin sont liés au sein de la zone euro, la situation contraint la France de choisir entre la préservation d'un front uni européen face aux Etats-Unis, pour éviter la division, et un choix économique découlant de la simple prise en compte de ses intérêts. Pour résoudre un tel dilemme, il semble quand même évident de cibler sa cause, c'est à dire la stratégie économique de la zone euro construite sur une volonté de former des excédents et qui est dysfonctionnelle, elle est néfaste au continent dans son ensemble, et l'attitude de l'Allemagne doit évoluer à cet égard, tout comme elle doit évoluer en France. Parce que la racine du mal n'est pas tant que l'Allemagne a su protéger ses intérêts, mais plutôt que la France a poursuivi volontairement une politique qui lui était défavorable. C'est le moment de faire les comptes et de prendre conscience de cette situation. Ce serait un choc pour la zone euro, mais des arguments existent pour convaincre Berlin. Et si la zone euro se mettait à soutenir fortement son économie, à faire tout pour atteindre le plein emploi et la croissance, alors la zone euro sera en position de force. Parce que si l'Europe dans son ensemble, qui regroupe 500 millions de consommateurs, redevient un tracteur de l'économie mondiale, sa position de négociation face à Donald Trump sera infiniment plus forte. Il serait par contre désastreux d'accepter de se ranger du côté de Berlin, parce que le résultat est joué d'avance : aucune nouvelle stratégie économique ne sera élaborée, et la contrepartie qui sera donnée aux Etats-Unis sera l'incorporation de l'agriculture dans les traités commerciaux avec les Etats-Unis, ce que la France cherche précisément à éviter. Nous aurons alors une défaite totale.

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