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Les deux graphiques qui montrent que nous sommes déjà beaucoup plus proches de la récession que nous le croyons
©FRED DUFOUR / AFP

Accélération

De la crise des Gilets jaunes au ralentissement du commerce mondial qui affecte fortement l'Allemagne, les derniers indicateurs économiques de la zone euro virent au rouge.

Philippe Waechter

Philippe Waechter

Philippe Waechter est directeur des études économiques chez Natixis Asset Management.

Ses thèmes de prédilection sont l'analyse du cycle économique, le comportement des banques centrales, l'emploi, et le marché des changes et des flux internationaux de capitaux.

Il est l'auteur de "Subprime, la faillite mondiale ? Cette crise financière qui va changer votre vie(Editions Alphée, 2008).

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Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico : Indice PMI en dessous du niveau charnière de 50 en France, confiance des ménages en chute libre selon l'INSEE, baisse sensible de la production industrielle en Allemagne après un troisième trimestre affichant un PIB en baisse de 0.2 points, climat politico-économique incertain en Italie, les derniers indicateurs disponibles ne seraient-ils pas en train de nous signaler que la zone euro est, techniquement et momentanément parlant, en récession ? 


Philippe Waechter : L'ajustement à la baisse de l'activité est rapide et brutal en zone Euro depuis l'été dernier. En effet, l'Allemagne et l'Italie ont connu une contraction de leur activité au cours du 3ème trimestre et les signaux sur la fin de l'année ne sont pas porteurs. On a observé un repli très rapide de la production industrielle allemande en octobre et novembre (-7.8% en taux annualisé) après déjà une chute au cours de l'été. Il n'est donc pas improbable que l'économie allemande connaisse à nouveau un repli de son PIB lors du dernier trimestre de l'année.

En Italie, les enquêtes auprès des entreprises suggèrent une légère contraction de l'activité. Là aussi il est probable que cela se traduira par une nouvelle contraction du PIB.
Quant à la France, elle connait une situation complexe. Le début d'année avait été poussif mais la reprise de l'été avait donné du baume au cœur. Le mouvement social du dernier trimestre balaie l'espoir d'une croissance robuste en fin d'année. Les entreprises, notamment dans le secteur manufacturier, sont plutôt pessimistes alors que la perception de leur environnement par les ménages s'est franchement dégradée en décembre. Pour fixer les idées, le repli de cet indicateur de confiance en décembre est plus fort, sur un an, que celui observé lors de la crise de l'hiver 1995. La France alors était bloquée. Les chiffres de fin d'année seront donc probablement très faibles.
L'INSEE, dans sa note de conjoncture de la mi-décembre, estimait la croissance du dernier trimestre à 0.2%. Cela parait aujourd'hui comme pouvant être le plafond. Ma crainte est que les entreprises aient réduit fortement leurs investissements. Dans une mesure faite par l'INSEE, les commandes de biens d'équipement s'effondrent en novembre et en décembre. C'est cette dimension qui à court terme me préoccupe le plus.
En d'autres termes, 65% du PIB de la zone Euro est en contraction ou au mieux à la stabilité pour les trois derniers mois de 2018. On a donc une configuration très dégradée à la fin de l'année 2018 et les premiers éléments pour 2019 ne sont pas franchement entrainants. Cela veut dire aussi que l'acquis pour 2019 à la fin 2018 sera plus réduit qu'attendu nous obligeant à réviser à la baisse nos prévisions pour l'année 2019. On sera très probablement sur une allure proche de la croissance potentielle soit 1.5/1.6%. C'est peu pour créer des emplois et distribuer des revenus.
La zone Euro connaitra peut-être une contraction de sa croissance à la fin de 2018. Cela crée une situation beaucoup plus difficile à gérer que ce qui était anticipé.

Nicolas Goetzmann : Ce scénario est en effet plus que probable en ce qui concerne les dernières semaines de l'année 2018, et il n'est pas exclu que la profondeur du ralentissement soit suffisante pour se traduire dans les chiffres du quatrième trimestre. Et si l'Allemagne venait à publier une baisse de son PIB au T4, elle serait alors officiellement en récession puisqu'elle a déjà eu un PIB négatif au T3.

Pour le moment, la hausse du PIB de la zone euro, initialement prévue à 0.3% pour ce dernier trimestre 2018, est désormais attendue à 0.15%, mais les derniers chiffres ont tendance à se révéler en deçà des attentes. Au-delà de la question des Gilets jaunes en France, la situation la plus préoccupante est celle de l'Allemagne car elle traduit bien plus clairement la faiblesse structurelle de la zone euro. Cependant, concernant la France, c'est la rapidité et la force du mouvement de défiance qui s'est emparé du pays depuis l'élection d'Emmanuel Macron qui est saisissante, parce que si le niveau de la confiance des ménages revient à un seuil datant de 2014, l'ampleur de la variation ne trouve de comparaison qu'avec la crise de 2008 :

Concernant la zone euro prise dans son ensemble, il faut revenir un peu en arrière pour comprendre ce qui s'est progressivement mis en place. En 2017, avec une croissance de 2.3%, la zone euro retrouvait un chiffre que l'on peut qualifier de bon, une fois n'est pas coutume. Ce chiffre s'est reposé sur une progression de la demande intérieure, qui a été le résultat de la politique monétaire de la BCE, et sur une progression de la demande extérieure ; résultat de la bonne tenue de l'économie américaine et du plan de relance mis en place en Chine en 2017. Et la surprise de la forte croissance européenne provenait essentiellement de ce dernier point, la Chine. Or, le stimulus chinois a été stoppé à la fin 2017, et un des moteurs de la croissance européenne venait alors de se couper. Au même moment, la BCE a choisi d'annoncer l'arrêt de son plan d'assouplissement quantitatif, ce qui a abouti au début du tarissement du deuxième moteur de la croissance européenne, la demande intérieure. 
L'Allemagne a été lourdement impactée par la politique chinoise et par le fléchissement du commerce mondial, parce que le modèle allemand repose d'abord et avant tout sur la demande extérieure, ce qui le rend particulièrement vulnérable. Les mauvais chiffres annoncés par Berlin pour la fin d'année 2018 en sont le résultat, et puisque la zone euro dans son ensemble a tendance à vouloir répliquer ce modèle, c'est l'ensemble de la zone euro qui est affectée. Ce que cela nous indique, c'est que ce modèle est trop vulnérable et trop incertain pour l'avenir de la zone euro, et que la stratégie européenne ferait bien de s'inspirer de ce qui est fait aux Etats-Unis, c’est-à-dire de se reposer sur une forte demande intérieure. Il appartient à nos dirigeants de modifier les statuts de la BCE pour ce faire, afin de mettre la croissance et le plein emploi comme objectif prioritaire, sur un pied d'égalité avec la maitrise des prix. Une telle réforme permettra à l'Europe d'être moins vulnérable aux variations économiques chinoises ou américaines et de compter sur une croissance plus forte, plus stable et plus durable.

Au regard des défis de ces prochains mois, entre la possibilité ouverte de la mise en place de tarifs douaniers à l'encontre du secteur automobile européen à destination des Etats-Unis, ou de l'éventualité d'un Brexit sans accord, comment mesurer les risques planant sur la suite de la croissance du PIB en zone euro pour 2019 ? 

Philippe Waechter : La vraie difficulté de la zone Euro est son incapacité à connaître une croissance autonome avec des processus mieux coordonnés. La zone Euro avait alors bénéficié d'un contexte exceptionnel en 2017 car la demande mondiale était rapidement repartie à la hausse et parce que le prix du pétrole était très faible. Mais depuis, cette impulsion s'est nettement atténuée et les européens sont dans l'incapacité de créer une dynamique par eux-mêmes alors que c'est le premier marché économique au monde. Ce dernier point reflète les difficultés à positionner le rôle de la politique budgétaire. Doit-elle être à l'échelle de chaque pays (ligue hanséatique), de l'ensemble de la zone Euro avec un rôle dans la régulation conjoncturelle (proposition Macron) ou doit-elle être inexistante sauf en cas de déroute (position allemande). Ces discussions qu'il y a eu à l'échelle européenne en 2018 n'ont pas franchement permis de trancher dans une position autre que celle de l'Allemagne. Au-delà de ce phénomène, on a aussi constaté une grande hétérogénéité politique avec notamment l'émergence d'une coalition en Italie peu encline à jouer les règles européennes.
Cela veut dire qu'en cas de conjoncture dégradée à l'extérieur de la zone Euro il n'existe pas franchement de réponse satisfaisante susceptible d'isoler la zone. En cas de choc, les marges de manœuvre de la politique économique sont très réduites. Pas de possibilité d'une politique monétaire plus accommodante et il est peu probable que les gouvernements européens mettent en place des politiques de relance. La dette publique est perçue comme trop élevée. Cela veut dire que l'ajustement se fera via une réduction de l'activité et de l'emploi.
Les européens, trop préoccupés à atteindre chacun leur objectif, ne se rendent pas compte de la dimension collective qui manque à la construction pour amortir les chocs. Cette situation est dramatique car les incertitudes en dehors de la zone Euro sont très nombreuses et susceptibles d'engendrer des ruptures mortifères.

Nicolas Goetzmann : La mise en place de tarifs douaniers sur le secteur automobile allemand serait une très mauvaise nouvelle, aussi bien pour Berlin que pour la zone euro, parce que les Etats-Unis sont LE moteur de la demande extérieure qui reste encore en activité pour la zone euro. Et nous ne pourrions même pas critiquer les Etats-Unis s'ils venaient à prendre une telle décision, puisque c'est bien l'Europe qui est la plus agressive en ce qui concerne le commerce mondial. (L'Europe affiche les plus gros excédents commerciaux de la planète, en tête l'Allemagne, ce qui fait du continent un gigantesque cavalier solitaire qui chercher à surfer sur la croissance de ses partenaires). Si la tendance générale se dirige vers plus de protectionnisme, et de sanctions envers les pays qui pratiquent ces comportements de cavaliers solitaires (Chine, Zone euro), alors la zone euro court un grand risque sur sa croissance future. A moins qu'elle ne décide à changer de modèle, ce qui est sans doute la seule option si elle veut rester vivante, aussi bien politiquement qu'économiquement. 
Concernant le Brexit, nous avons une situation de krach latent qui menace la zone euro, en cas d'absence d'accord. L'entrelacement des liens financiers, bancaires, et commerciaux, entre la zone euro et le Royaume Uni sont tels qu'il serait hasardeux de croire que nous en sortirions indemnes. Les dirigeants européens se basent sur l'idée que cela serait encore pire pour Londres, ce qui est sans doute vrai, mais cela ne permet pas de se rassurer avec des européens habitués à une lente et faible capacité de réaction en cas d'urgence. Les récents déboires bancaires en Italie et la situation actuelle de la Deutsche Bank ne permettent pas plus de se rassurer sur la situation du secteur bancaire de la zone euro. Si l'une ou l'autre de ces menaces, ou les deux, venaient à se matérialiser, et au regard du rythme actuel de la croissance sur le continent européen, les prévisions actuelles de croissance seront alors évidemment revues à la baisse, et la possibilité d'une réelle récession prendrait logiquement forme sur le continent.  

En arrêtant son programme d'assouplissement quantitatif, eu égard à la "normalisation" des chiffres de l'inflation en zone euro, la BCE n'est-elle pas allée un peu vite au regard de la situation actuelle et des prochaines menaces qui s'annoncent ? Mario Draghi, en fin de mandat, dispose-t-il encore d'un capital suffisant pour mettre en place une réponse appropriée ?


Philippe Waechter : La BCE était contrainte à arrêter le QE pour des raisons techniques en raison notamment de l'apparition d'un surplus budgétaire en Allemagne et d'un manque d'émissions obligataires là-bas. Les règles d'équité qui prévalaient jusqu'alors (achat en proportion du poids de chaque pays dans le capital de la BCE) n'auraient pas pu être tenues.
Après se pose une autre question qui est celui de l'environnement économique dont l'allure conditionne la politique menée à Francfort. On a vu les inquiétudes sur l'activité économique. Ce constat ne milite pas pour une politique monétaire plus rigoureuse. Mais une autre interrogation majeure porte sur l'inflation. La baisse du prix du baril de pétrole a été profonde et ce prix restera, très probablement, en dessous des niveaux constatés en 2018. Dès lors, la contribution de l'énergie au taux d'inflation sera négative la plupart du temps. On n'imagine pas, au début du mois de janvier, un marché pétrolier aussi fortement conditionné qu'en 2018 par les aléas politiques. On peut décrire le profil du prix du pétrole en 2018 en faisant référence aux sanctions américaines contre la Russie d'abord et puis surtout vis à vis de l'Iran. La hausse de la production américaine de pétrole à la fin de l'année 2018 suggère que les USA veulent maitriser ce marché et peser politiquement sur les producteurs pour lesquels un prix du pétrole trop bas est fortement pénalisant. Imaginons un prix du pétrole qui fluctue entre 60 et 65 dollars. Cela suffirait pour avoir une contribution négative en moyenne puisque le prix moyen en 2018 était de 72 dollars.
Cela veut dire que le taux d'inflation va être au voisinage de 1% car j'ai du mal à anticiper un relèvement durable du taux d'inflation sous-jacent compte tenu des conditions économiques.
La BCE aura encore moins d'incitations à normaliser sa politique monétaire tout au long de 2019.
La vraie question est de savoir si elle dispose d'instruments susceptibles de contrer un choc négatif à l'échelle de la zone Euro. Lors de sa dernière conférence de presse, Mario Draghi l'a affirmée mais on n'en sait pas plus.
L'Europe et la zone Euro souffrent terriblement de ne finalement dépendre que de la BCE pour sa régulation conjoncturelle. C'est très insuffisant lorsque le monde va moins bien et cela pourrait se traduire par des changements politiques qui pourraient être majeurs mais au détriment de la démocratie.   

Nicolas Goetzmann : Benoît Coeuré, membre du directoire de la BCE, était l'invité de France Inter la semaine passée et a expliqué très clairement que le programme d'assouplissement quantitatif avait été arrêté parce que les chiffres prévisionnels de l'inflation, conformément au mandat attribué à la BCE, étaient revenus à un niveau conforme, soit proches mais inférieurs à 2.00%. On comprend que le chômage de la zone euro qui s'affiche encore à un taux 7.9% n'est pas une priorité pour l'institution monétaire. Le problème est donc bien plus institutionnel, il s'agit de permettre à la BCE d'agir pour la croissance et le plein emploi, comme le font les Etats-Unis. 
Si nous changions de mandat en Europe, dans un tel sens, nous aurions beaucoup moins besoin de recourir à ces techniques de rachat de dettes parce que les marchés entendraient immédiatement que la BCE change de braquet, ce qui renforcerait considérablement la confiance dans l'avenir de la croissance européenne. Mario Draghi peut faire le maximum dans le cadre de son mandat, mais il ne peut pas changer le mandat lui-même. C'est à nos dirigeants politiques européens de s'en charger. Cependant, dans le cas où le Brexit venait à se mettre en place dans une version sans accord, il est probable que la BCE ouvre un comptoir à liquidités pour s'assurer que des dégâts du type de 2008 ne se réalisent une nouvelle fois. (Ce qui ne modifie par contre rien en termes de politique monétaire)
Nous devons également prendre en compte le fait que Mario Draghi sera remplacé en fin d'année, et qu'une personnalité plus conservatrice pourrait être mise en place alors même que la zone euro est toujours confrontée à une trop faible croissance devenue structurelle. Ce qui signifie que les beaux jours, sans action de profond changement, ne sont pas pour demain. 

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