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Dur contre les délits politiques, tendre contre la violence du quotidien : le gouvernement en marche vers une nouvelle tempête politique ?
©GUILLAUME SOUVANT / AFP

Le grand écart

La perception d'un "deux poids deux mesures" sur la capacité répressive du gouvernement envers les gilets jaunes donne l'impression que le gouvernement emploie les grands moyens contre ce mouvement politique qui lui est directement opposé alors qu'il demeure sans armes face à la criminalité ordinaire ou quotidienne, dont de nombreux indicateurs semblent indiquer qu'elle progresse dans certains domaines

Régis de Castelnau

Régis de Castelnau

Avocat depuis 1972, Régis de Castelnau a fondé son cabinet, en se spécialisant en droit social et économie sociale.

Membre fondateur du Syndicat des Avocats de France, il a développé une importante activité au plan international. Président de l’ONG « France Amérique latine », Il a également occupé le poste de Secrétaire Général Adjoint de l’Association Internationale des Juristes Démocrates, organisation ayant statut consultatif auprès de l’ONU.

Régis de Castelnau est président de l’Institut Droit et Gestion Locale organisme de réflexion, de recherche et de formation dédié aux rapports entre l’Action Publique et le Droit.

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Gérald Pandelon

Avocat à la Cour d'appel de Paris et à la Cour Pénale Internationale de la Haye, Gérald Pandelon est docteur en droit pénal et docteur en sciences politiques, discipline qu'il a enseignée pendant 15 ans. Gérald Pandelon est Président de l'Association française des professionnels de la justice et du droit (AJPD). Diplômé de Sciences-Po, il est également chargé d'enseignement. Il est l'auteur de L'aveu en matière pénale ; publié aux éditions Valensin (2015), La face cachée de la justice (Editions Valensin, 2016), Que sais-je sur le métier d'avocat en France (PUF, 2017) et La France des caïds (Max Milo, 2020). 

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Philippe Bilger

Philippe Bilger

Philippe Bilger est président de l'Institut de la parole. Il a exercé pendant plus de vingt ans la fonction d'avocat général à la Cour d'assises de Paris, et est aujourd'hui magistrat honoraire. Il a été amené à requérir dans des grandes affaires qui ont défrayé la chronique judiciaire et politique (Le Pen, Duverger-Pétain, René Bousquet, Bob Denard, le gang des Barbares, Hélène Castel, etc.), mais aussi dans les grands scandales financiers des années 1990 (affaire Carrefour du développement, Pasqua). Il est l'auteur de La France en miettes (éditions Fayard), Ordre et Désordre (éditions Le Passeur, 2015). En 2017, il a publié La parole, rien qu'elle et Moi, Emmanuel Macron, je me dis que..., tous les deux aux Editions Le Cerf.

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Atlantico : Cette impression d'un gouvernement fort avec les faibles et faibles avec les forts est-elle fondée ?

Régis de Castelnau : Je crois que le problème ne se pose pas de cette façon. Ce que vous appelez la criminalité ordinaire ou quotidienne, celle qui pourrit la vie des gens dans les cités, dans les transports, et dans la rue qui laissent des quartiers entiers sous la coupe de trafiquants qui ont passé un accord avec les barbus, c’est un phénomène de masse. Auquel l’État français refuse depuis plus 30 ans de traiter. C’est devenu un phénomène endémique. C’est la raison pour laquelle on ne peut pas faire de parallèle avec le mouvement des gilets jaunes et la répression policière et judiciaire brutale dont il est l’objet.

C’est vrai que si l’on compare les moyens de la violence d’État utilisés contre les gilets jaunes et la passivité des forces de l’ordre à l’occasion du grand rituel de la Saint-Sylvestre avec le millier de voitures incendiées, cela ne peut que provoquer l’indignation.

Mais il faut savoir que dans les deux cas il s’agit de décisions politiques prises par le pouvoir. En ce qui concerne la criminalité ordinaire, le choix est fait depuis longtemps de ne pas donner à la justice les moyens dont elle a besoin pour la traiter. Dans un ouvrage bilan absolument remarquable et indispensable intitulé : « Justice, une faillite française ? » Olivia Dufour fait le point de la situation d’un système à bout de souffle qui est une honte pour la République. En démontrant implacablement que le problème a une seule véritable origine : l’absence de moyens. La répression de la délinquance ordinaire est totalement en déshérence, ce qui a permis la dépénalisation d’un nombre considérable d’infractions. Il faudrait plus de magistrats, plus de greffiers, plus d’éducateurs, plus de prisons ou de centre pour les mineurs. Malheureusement cette clochardisation aboutit à la non-exécution des peines quand ce n’est pas carrément à la démission des autorités de poursuite. Sait-on que près de 2 millions d’infractions par an avec auteurs connus ne font l’objet d’aucune poursuite dans notre pays. Rajoutez au sentiment d’impuissance que vivent les magistrats, la sensibilité au gauchisme culturel d’une partie d’entre eux et vous aurez ce résultat calamiteux. Qui est le fruit, il faut le répéter, d’une décision politique. La feuille de route d’Emmanuel Macron, comme d’ailleurs de ses prédécesseurs, est bien l’appauvrissement de tous les services publics, y compris la justice au nom de l’impératif austéritaire.

Le problème des gilets jaunes est complètement différent. Il s’agit là aussi d’une décision politique, celle d’un pouvoir en panique, qui a basculé dans une certaine radicalité et qui ne voit que dans la répression massive d’un mouvement social, le moyen de s’en sortir. Le bilan de ces quelques semaines est complètement ahurissant. Nous n’avons jamais assisté et même en mai 68 à une telle violence répressive, qu’il s’agisse des comportements des forces de l’ordre dont une partie se croit tout permis ou de la magistrature qu’elle soit du parquet ou du siège qui a appliqué avec célérité les consignes du pouvoir. Plus de 300 personnes incarcérées, des blessés par centaines, des procédures absurdes où se multiplient les excès de zèle parfois déshonorants, dans le silence de cathédrale des organisations syndicales en général plus prolixes.

Gérald Pandelon : N'en déplaise au mouvement des "gilets jaunes", que je soutiens sur l'essentiel (poids écrasant de notre fiscalité, excès de réglementations qui obèrent toute initiative et, in fine, toute liberté, déficit démocratique lié, en partie, aux institutions européennes, notamment celui de la commission et ses "GOPE" (article 121 du TFUE) qui inspirent toute politique économique, absence de référendum, technique tombée en quasi-désuétude depuis 1969 ou strict cantonnement aux sujets "autorisés" par l'article 11 de la Constitution, tout comme faible recours à la représentation proportionnelle, etc.), il n'est pas exact de considérer qu'il y aurait un acharnement pénal à l'encontre de M. DROUET, lequel, tout simplement, et en dépit de la noblesse de son combat, a tendance à ne pas respecter les lois de son pays et, par conséquent, tomber sous le coup de la loi pénale.

Autre point dont il faut immédiatement dissiper le malentendu, je puis vous affirmer que lorsqu'il s'agit de délinquants chevronnés, les peines qui sont infligées sont infiniment plus lourdes que celles dont écopera l'intéressé, lequel aura fait l'objet, pour les derniers événements survenus du côté de l'Opéra, d'une procédure de garde à vue somme toute assez souple, excepté les conditions de son interpellation qui furent effectivement un peu dures, à supposer d'ailleurs que la sanction pénale dont il fera l'objet soit réellement lourde, en l'absence de mention apposée à son casier judiciaire. Il ne faudrait donc pas prendre comme prétexte celui d'un mouvement légitime pour se draper dans une posture victimaire. Et ceux qui le perçoivent comme le symbole expiatoire du monstre froid que constitue effectivement, à bien des égards, l'Etat, souhaitent tout simplement faire de la récupération politique, en sortant, à l'occasion de cet événement, du relatif isolement où les ont placés les dernières élections ; des élections qui, n'en déplaisent à ces derniers, constituent également l'émanation du peuple  souverain...  

Philippe Bilger : J’ai soutenu la cause des Gilets jaunes dans leur principe honorable en tant que réponse à une détresse sociale et économique. Et en même temps, j’ai tout à fait dénoncé la minorité qui s’abandonnait à des violences, à des désordres et qui même pire souhaitait faire un coup de force démocratique en prétendant destituer le président de la République.

En ce qui concerne Eric Drouet, je trouve que le gouvernement, le pouvoir après avoir eu très peur finalement montre ses muscles de manière un petit peu maladroite. Il n’était pas nécessaire de l’interpeller de cette manière alors que le mouvement commençait à décliner. J’ai l’impression que les Gilets jaunes, tout de même, sur le plan de la répression, ont fait l’objet d’un traitement très particulier dont on aurait aimé que l’ensemble des délinquances et des criminalités fassent l’objet.

Je l’analyse comme la certitude du gouvernement qu’il n’a pas affaire à des délinquants d’habitude mais à des braves gens auparavant, à cette France qui ne faisait rien de mal et qui tout à coup par désespoir s’abandonne au pire. Et donc évidemment, le gouvernement « se les paie » plus aisément parce qu’il sait qu’il n’a pas affaire à des transgresseurs habituels et chroniques.           

L’irruption des Gilets jaunes dans l’espace démocratique c’est l’irruption d’une masse d’honnêtes gens. On peut discuter leurs causes et leurs actions mais avant qu’il n’y ait une irruption des Gilets jaunes ces gens-là étaient des citoyens tout à fait honorables, respectueux des lois et des braves gens. 

Le gouvernement, le pouvoir montre ses muscles de manière un peu inconsidérée précisément parce qu’il a affaire à des gens qui n’ont jamais été insérés dans une délinquance chronique. Et ça, c’est très facile, j’aurais préféré qu’il soit aussi ferme, aussi rigoureux, aussi dur avec les délinquants et les criminels ordinaires.

Si la loi reste la loi pour tous, il peut paraître plus simple de s'en prendre à des gilets jaunes globalement facilement identifiables et très exposés qu'à une certaine délinquance systémique. Comment le gouvernement peut-il réussir à appliquer la loi sans paraître défendre en premier lieu la raison du plus fort ?

Régis de Castelnau : Comme vous le dites très bien, s’en prendre à une délinquance systémique nécessiterait une volonté politique. Et surtout des moyens, que les exigences de Bruxelles interdisent. La vision de ce pouvoir des services publics, fussent-ils administratifs ou industriels et commerciaux ne sont que celle de l’austérité. Les transports, la santé, la justice sont des parents pauvres et, comme le démontre le projet loi justice en discussion au Parlement, il est hors de question pour Bercy et pour les élites de renoncer à cette stratégie. Elles sont en général très peu concernées par cette délinquance, les voitures que l’on brûle sont celles des pauvres contraints d’habiter dans ces ghettos. Les stratégies d’évitement tout à fait identifiées par Christophe Guiluy leur permettent d’y échapper tranquillement. Le pourrissement c’est pour les pauvres, et ce n’est pas grave.

Le problème de la répression du mouvement des gilets jaunes n’est pas un problème d’application de la loi. C’est un problème d’utilisation de la violence d’État pour s’opposer un mouvement social. Les motivations d’Emmanuel Macron, d’Édouard Philippe ou de Nicole Belloubet n’ont rien à voir avec la volonté de faire appliquer la loi. Le choix de la répression est une décision politique et entendre les gens du pouvoir parler « d’État de droit » est simplement une plaisanterie. Juste un exemple, la loi interdit désormais que le ministère de la justice donne des instructions individuelles au parquet. Et bien croyez-moi, que ce soit depuis Matignon ou depuis la place Vendôme ces injonctions sont tombées comme à Gravelotte. Par téléphone bien sûr…

Gérald Pandelon : En effet, les forces de l'ordre, donc le ministère de l'intérieur, ne peuvent interpeller que celles et ceux qui ont pu l’être... C'est d'ailleurs la raison pour laquelle ce sont bien souvent les moins impliqués dans les diverses violences et dégradations survenues à Paris et ailleurs, qui eurent à comparaître devant les juridictions correctionnelles en comparutions immédiates, précisément parce que n'étant pas de réels voyous et n'ayant aucune expérience en matière de délinquance (comme les casseurs, qui en ont une grande car c'est leur quotidien), ils n'ont pas eu assez de malice pour se soustraire aux interpellations. Et oui, n'est pas casseur qui veut et qui peut... Autrement dit, ce sont les moins impliqués qui ont été condamnés, les lampistes, pendant que les vrais auteurs courent toujours et raillent la prétendue efficacité de nos forces de l'ordre, plus doués pour réprimer que pour pour prévenir. 

La plupart des gilets jaunes arrêtés ne sont pas des délinquants acharnés. Cela veut-il dire que les plus acharnés réussissent de toute façon à s'en sortir ? Une telle situation ne risque-t-elle pas de dégénérer si le pouvoir ne donne pas des signes d'équité ? La situation ne pourrait-elle pas devenir ingérable ?

Régis de Castelnau : D’après les informations dont on peut disposer, les gilets jaunes incarcérés avaient massivement des casiers judiciaires vierges. Il vaut mieux en effet brûler des voitures en banlieue que se faire prendre en gilets jaunes avec des lunettes de piscine à l’occasion d’une manifestation. Évidemment que la partialité avec laquelle l’État, que ce soit par l’intermédiaire de sa police ou d’une magistrature docile, traite ce mouvement va générer des sentiments d’injustice et de frustration. Et comme dans le même temps d’une façon passablement stupéfiante les amis du pouvoir bénéficient d’une complaisance judiciaire étonnante... Alexandre Benalla, François Bayrou, Richard Ferrand, Muriel Pénicaud pour ne s’en tenir qu’à ceux-là, malgré des infractions évidentes et avérées sont tout à fait tranquilles alors même qu’on embastille des gilets jaunes par centaines, l’exaspération est devenue rage.

J’ai pu constater que dans le monde politique, dans la presse et sur les réseaux la perception de cette orientation répressive était perçue comme une radicalisation dangereuse. De ce point de vue, les vœux d’Emmanuel Macron, ressemblait plus à un discours de chef de bande qu’à celui rassembleur qu’aurait dû faire un président de la république.

Gérald Pandelon : Effectivement comme indiqué ce ne sont pas les plus acharnés qui ont été sanctionnés. Cela ne signifie  pas que tous soient des oies blanches qui n'aient absolument rien à se reprocher. Si aucun élément matériel susceptible de recevoir une qualification pénale n'avait été réuni, ils n'auraient pas comparu. Il faudrait quand même arrêter avec ce complot systématique qui laisse accroire que l'on pourrait dans notre pays condamner en l’absence d'aucune preuves car si cela a pu arriver (il existe effectivement des erreurs judiciaires), dans la plupart des cas, une personne qui est condamnée demeure quand même une personne qui a enfreint la règle.

Vous savez, ils crient leur innocence en garde à vue, mais ne nous disent pas exactement la même chose dans nos cabinets où les versions curieusement divergent très souvent. Quand on est porteur d'une arme, est-on innocent ? Quand on a défoncé des barrières et foncé sur des forces de l'ordre pour les agresser, est-on innocent ? Le mouvement des "gilets jaunes", je le répète, est légitime, mais il ne faudrait pas en prendre le prétexte pour raconter n'importe quoi et donc farder constamment la vérité. 

Philippe Bilger : Il y a eu par exemple des samedis parisiens de la part des Gilets jaunes dont certains ont été totalement scandaleux, gravissime. Je parle de la profanation de l’Arc de Triomphe par exemple. Donc je ne mets pas en cause l’ensemble du système de protection.  

Mais cela fait longtemps, pas seulement avec ce pouvoir-là, que l’on met généralement en cause le deux poids, deux mesures des gens qui sont au pouvoir. Il est beaucoup plus facile de s’en prendre à des mouvements conjoncturels, qui s’abandonnent tout à coup à une violence inadmissible mais qui ne sont pas des forcenés de la délinquance et de la transgression. 

Il est beaucoup plus difficile de combattre de manière constante, persévérance et rigoureuse une délinquance et une criminalité qui pourrit le quotidien de nos compatriotes. C’est plus facile de s’en prendre à des mouvements peu ou prou un peu politique que de s’en prendre à des délinquances et à des criminalités qui relèvent d’une sorte de tissu social permanent. 

Le pouvoir n’a pas toujours été aussi rigoureux et efficace à l’égard d’autres casseurs et d’autres militants politiques. C’est très clair. Les Gilets jaunes ont droit à un traitement spécial. 

Un gouvernement ne sera écouté que lorsqu’il dira de manière claire qu’aucune violence n’est permise dans le cadre d’un débat démocratique quelle que soit la cause que l’on défend. 

Cela n’est pas suffisant. Et en montrant dans toutes les circonstances où la violence sera effective qu’il n’a pas deux poids, deux mesures, qu’il intervient aussi bien contre la gauche et l’extrême gauche que contre les éléments de droite qui s’abandonneraient à la violence et contre tous les mouvements sociaux qui dépassent ce qu’une démocratie permet comme revendications et comme actions. 

Il faut qu’un gouvernement et un pouvoir soient exemplaires toutes causes confondues pour être crédible. Malheureusement, on n’en a jamais connu sur ce plan. 

L'autre versant du mécontentement pourrait aussi trouver sans source dans une relative impunité de la classe politique. Un autre deux poids deux mesures ?

Régis de Castelnau : C’est la question que j’abordais ci-dessus, où l’on est contraint de constater que c’est spécifiquement Emmanuel Macron et son entourage qui bénéficient d’une incontestable complaisance judiciaire. Il ne faut pas se tromper, quand il a été nécessaire de condamner des politiques, la justice a fait son travail quoique parfois lentement. Mais depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron au pouvoir c’est une véritable protection dont celui-ci et son entourage bénéficient. Il y a d’abord eu les problèmes posés par le financement de sa campagne, l’utilisation de fonds publics à des fins électorales lorsqu’il était au ministère de l’économie, ensuite les quelques enquêtes préliminaires ouvertes sont toutes enlisées : Collomb, Bayrou. Quand par malheur un juge d’instruction est saisi, il est prestement déchargé du dossier comme dans l’affaire Ferrand. Il y a bien évidemment l’affaire de Las Vegas où à l’évidence Madame Pénicaud aurait dû être poursuivie, le refus par le parquet d’enquêter sur la disparition du coffre de Benalla, etc. etc. Et pendant le même temps, le Rassemblement National fait l’objet d’un acharnement judiciaire allant jusqu’à lui saisir ses dotations d’État sans qu’aucune décision n’ait été rendue sur le fond et à faire convoquer sa présidente chez un psychiatre ! La France insoumise quant à elle, voit se dérouler une perquisition à grand spectacle, mobilisant près de 100 policiers et sept magistrats dans ses locaux et dans les appartements de ses dirigeants. Et on peut être sûr que cette instrumentalisation va durer au rythme des échéances politiques.

Le deux poids deux mesures dont vous parlez, n’est pas entre les politiques en général et les gens d’en bas, mais bien dans la protection dont bénéficie l’équipe au pouvoir et la volonté de ne traiter le mouvement social des gilets jaunes par le biais de la violence d’État.

Gérald Pandelon : C'est précisément parce qu'il existe un fort mécontentement dans la population à propos de l'action de la classe politique qu'est né ce mouvement, et, si ce dernier n'est pas entendu à la hauteur de ses demandes, la sanction sera tôt ou tard électorale. Le paradoxe c'est que le gouvernement est entrain de faire le lit de mouvements contestataires, de gauche comme de droite, dont il s'était donné comme objectif prioritaire d'en endiguer les progressions. Je crois, sur le fond, qu'il existe un réel problème de décalage entre ce que vivent une grande majorité de nos concitoyens et la connaissance qu'en ont nos gouvernants, et pas celui uniquement conduit par M.M. Macron et Philippe, un fossé de plus en plus grand entre les aspirations des gouvernés et les réponses des gouvernants. En même temps, je crois profondément qu'il n'est pas vraiment possible de comprendre une situation dans sa complexité et sa profondeur, donc à la hauteur de ce qu'elle est vraiment, si soi-même on ne l'a jamais vécue ; certes, on peut en avoir une connaissance embryonnaire, partielle ou partiale, mais on ne peut pas l'appréhender réellement et concrètement si, au quotidien, un jour dans sa vie, on ne l'a pas connue. Or, la plupart de ceux qui entourent notre chef de l'Etat n’appartiennent pas fondamentalement à une classe socio-professionnelle qui aurait été dans le besoin ; je crois donc qu'ils sont à même de comprendre intellectuellement la situation, car ce ne sont pas tous des ânes, mais pas la connaître en profondeur. Or, c'est cela qui nourrit la crise car la plupart de nos concitoyens se sentent trop éloignés de ceux qui décident à leur place. Mais pour combien de temps encore ?   

Philippe Bilger : Dans les Gilets jaunes, il y a à peu près 30 % de citoyens qui étaient un peu étiquetés politiquement. C’est un immense fourre-tout. Mais il faut bien voir que à partir où on considère que leur cause dans leurs principes est légitime, on peut concevoir que la violence d’honnêtes gens qui sont désespérés, qui ont eu l’impression d’être abandonné par la République et par ce pouvoir en particulier bizarrement s’abandonne  des paroxysmes de violence qui sont inconcevables parce que précisément ce sont des violences d’un jour si vous voulez. Rien de pire que l’honnête homme qui tout à coup par désespoir politique et social s’abandonne au pire. Alors ce pire devient paroxystique. 

Le gouvernement n’a rigoureusement rien compris au moins à l’origine dans la cause des Gilets jaunes. Il a tardé à réagir. Ce retard a eu des effets délétères et on en a encore la preuve aujourd’hui. Rien n’est terminé même si bien sûr le mouvement diminue dans son ampleur , s’il y a des tensions au sein des Gilets jaunes eux-mêmes et qu’il y a divers courants qui s’expriment. Le gouvernement n’a pas tous les torts. Il est confronté à une révolte très équivoque dans ses revendications, du pouvoir d’achat jusqu’au RIC ensuite jusqu’à la destitution d’Emmanuel Macron avec un coup de force républicaine. Il est difficile au pouvoir actuel de savoir comment répondre à des demandes aussi plurielles, aussi ambiguës et aussi équivoques.  

Je pense que ce qu’a mis en œuvre avec retard le pouvoir, le grand débat national, est une bonne chose même s’il lui a été imposé. 

Derrière tout cela, il faut bien voir qu’il y a une profonde demande démocratique. A la fois d’exemplarité et de respect. Je crois beaucoup à la démocratie du respect et de l’exemplarité. On ne pourra jamais demander à la masse des citoyens des comportements de rectitude totale si le pouvoir  en lui-même n’est pas féru d’une exemplarité irréprochable et ne donne pas à l’ensemble de la communauté nationale des signes de respect et de considération. Derrière tout cela, il y a une exigence éthique. On veut être considéré, on veut être respecté. Ca n’est pas parce que l’on n’a pas eu la parole durant des années qu’il ne faut pas écouter cette parole aujourd’hui. 

Il est extravagant que la France qui est tout de même une République digne de ce nom ait eu besoin de l’effervescence, voire de la révolte parfois même des violences des Gilets jaunes pour comprendre que l’ensemble de la communauté nationale doit être écoutée et respectée. Je ne vais pas vous ressortir Christophe Guilluy mais il a totalement raison. Fallait-il que les Gilets jaunes s’abandonnent à des exactions parfois pour qu’on comprenne qu’il y avait toute une part de la France périphérique qui en avait assez d’être étouffée et de n’être pas considérée. 

Ca montre tout de même que notre démocratie, j’ai évoqué son caractère exemplaire - on le souhaiterait - il est tout de même tout à fait imparfait dans la mesure où les manifestations, les crises n’arrivent jamais par hasard. Apparemment il a fallu les Gilets jaunes pour que, tout de même à un moment donné, le pouvoir comprenne et que l’État saisisse qu’une part de notre pays en avait assez d’être abandonné, déserté et pas écouté.   

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