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Lundi vert : une occasion de réfléchir sur les conséquences de notre alimentation
©Reuters

Alimentation

Isabelle Adjani, Yann Arthus-Bertrand, Juliette Binoche... C'est au total 500 personnalités qui ont appelé à des "Lundi Vert" où elles ne consommeraient plus ni viande, ni poisson au nom notamment de "la sauvegarde de la planète".

Bruno Parmentier

Bruno Parmentier

Bruno Parmentier est ingénieur de l’école de Mines et économiste. Il a dirigé pendant dix ans l’Ecole supérieure d’agronomie d’Angers (ESA). Il est également l’auteur de livres sur les enjeux alimentaires :  Faim zéroManger tous et bien et Nourrir l’humanité. Aujourd’hui, il est conférencier et tient un blog nourrir-manger.fr.

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Atlantico : Que penser de cette idée ? N'y a-t-il pas un risque de penser que l'instauration de cette pratique suffirait à résoudre le problème de la pollution engendré par l'élevage et la consommation de viande ?

Bruno Parmentier : Quand on achète un produit, on achète le monde qui va avec !

Quand on achète de la viande, en quantité déraisonnable, on achète du réchauffement de la planète (déforestation accélérée, émission de gaz à effet de serre, etc.), de l’épuisement de ses ressources (la viande est du « concentré de végétaux », il faut de 3 à 12 kilos de végétaux pour produire un kilo de viande, et incidemment 3 à 12 tonnes d’eau pour les produire), mais aussi de la souffrance animale (lors de l’élevage, du transport et de la mise à mort), et enfin des dérèglements de sa propre santé (diabète, artériosclérose, cancer, obésité, etc.). Or rappelons qu’un français mange dans sa vie 7 bœufs, 33 cochons, 9 chèvres et moutons, 60 lapins, 20 000 œufs et 32 000 litres de lait ! On ne pourra jamais proposer ça aux 10 milliards de terriens de l’an 2050. D’ores et déjà, 74 milliards de mammifères et oiseaux sont ainsi abattus sur Terre chaque année !

Au cours du XXe siècle, les français n’ont cessé de vouloir manger davantage de viande et de laitages. Le pain quotidien étant assuré, on a ainsi été travailler pour « gagner son beefsteak », puis pour « mettre du beurre dans les épinards ». On est passé de 30 kilos de viande et autant de lait par personne et par an au début du siècle, à 50 kilos dans les années 50, 80 kilos dans les années 80 et 100 kilos à la fin du siècle ! Seuls les naïfs pouvaient croire que cette croissance allait se poursuivre indéfiniment, et qu’en quelque sorte nous allions manger 200 kilos de viande et autant de lait par personne en 2100, puis 300 en 2200 ! En fait depuis le début du XXIe siècle, la décrue est amorcée, et nous n’en sommes actuellement plus qu’à 85 kilos de viande et 90 kilos de lait ! Les produits animaux ne sont plus autant à la mode, maintenant que tout le monde peut se les payer, et, du coup, nous sommes devenus plus sensibles aux arguments de leurs détracteurs, en particulier en matière de santé, environnement et bien-être animal.

Signe des temps, les scientifiques de l’Agence de sécurité sanitaire de l’alimentation, qui auparavant conseillaient aux français de manger un produit laitier à chaque repas, et de la viande une à deux fois par jour (en plus de 5 fruits et légumes), ne jurent eux aussi maintenant que par la limitation de la consommation de produits animaux ! C’était « toujours plus », ça devient « le moins possible » et « pas plus de » !

C’est sur cette vague que surfent les 500 signataires de cet appel. Ils illustrent ainsi un impressionnant retournement de pratique culturelle et gastronomique : jusqu’au XIXe siècle, seuls les bourgeois pouvaient manger régulièrement de la viande, et maintenant au XXIe, plus on est âgé, éduqué ou riche, moins on en mange, et plus on est motivé pour accélérer et généraliser le mouvement de décroissance !

Car il y a urgence, pour la survie de l’humanité sur une planète fragile, en plein réchauffement et aux ressources de plus en plus limitées, alors que les classes moyennes du monde entier se mettent massivement à manger de la viande et boire du lait. Les chinois par exemple, sont passés de 14 à 60 kilos de viande en à peine 40 ans, tandis que leur population doublait. La Chine a donc multiplié par huit sa consommation de viande ! Heureusement qu’on n’y aime pas beaucoup le lait. En Inde c’est l’inverse, de plus en plus de lait mais peu de viande. Pour qu’à leur tour les africains puissent enfin se mettre à la « poule au pot le dimanche », il est vital que les habitants des pays riches, qui en mangent beaucoup trop, diminuent rapidement leur surconsommation.

Ce qu’il y a de vraiment nouveau dans cet appel, c’est d’y associer le poisson. On ne peut pas impunément prélever 500 à 1000 milliards d’animaux marins chaque année. On vide littéralement la mer et la ressource s’épuise, de façon souvent irréversible. Les français, qui en mangent actuellement chacun 2,5 tonnes au cours de leur vie, devraient impérativement diminuer leur consommation, et en même temps passer du poisson de pêche au poisson d’élevage.

Mais c’est très difficile de changer de pratiques alimentaires. Pour commencer, dans nos pays, on ne sait pas quoi manger d’autre. Qu’est-ce qu’un bon « plat de résistance » sans viande ni poisson au fait ? Personne ne nous l’a appris en France. Pour que la situation change vraiment, il faut passer par un vaste mouvement culturel collectif. Il est frappant de constater que tous les restaurants continuent à proposer du poisson le vendredi alors que les français ne vont plus à l’église et que les curés ne parlent plus du « jeûne du vendredi ». Là, les écolos proposent le lundi, ce qui n’est pas stupide, alors que la plupart des français mangent bien et beaucoup (trop) le dimanche, et pour bien montrer qu’il ne s’agit pas d’une prescription religieuse. Ce ne sont pas les premiers à changer de jour et de couleur : les juifs jeûnaient le jeudi, et c‘était pour se démarquer (et se rappeler du jour convenu de la mort du Christ) que les catholiques avaient choisi le vendredi « violet » ! Si ce mouvement culturel prend de l’ampleur, peut-être que les cantines d’entreprises et autres collectivités se mettront à proposer un plat végétarien le lundi, amplifiant ainsi le phénomène en donnant des idées à leurs clients. Ça ne résoudra pas l’ensemble des problèmes posés par la production « industrielle » de la viande et du poisson, mais ce sera un pas positif.

Si la consommation de viande a baissé de 12 % ces 10 dernières années, la consommation de produits transformés à base de viande elle, augmente (80 % du poulet consommé hors du domicile en France est importé, entre autres d’Allemagne, Pays-Bas, Belgique, Pologne ou du Brésil (source : ministère de l'Agriculture). N'y aurait-il pas toutefois une réflexion plus globale à instaurer (valorisation des filières locales, gestion du gaspillage, mieux choisir ce que l'on mange…)

On mange de plus en plus souvent hors de son domicile, et, chez soi, de plus en plus de plats tout préparés (en particulier les jeunes). Donc la viande vient de moins en moins des boucheries et de plus en plus des menus de la restauration collective, et des pizzas et hamburgers que l’on achète. Inutile de préciser que les acheteurs de l’agro-industrie et des chaines de restauration font jouer au maximum l’effet prix. Mais ils ne sont pas seuls ; observons par exemple que quand les parents d’élèves et les syndicats se battent pendant des décennies pour faire baisser au maximum le prix du ticket de cantine, ils obtiennent bien évidemment le monde qui va avec : les élevages industriels dans les pays à faible coût de main d’œuvre, et des crises à répétition chez les éleveurs français. Il est peut-être temps qu’ils se mettent à d’autres revendications citoyennes, comme celle de manger de la nourriture produite dans son département, éventuellement bio ! Elle coûtera plus cher, mais si on diminue la fréquence et la taille des portions de viande, on peut le faire à budget égal finalement. Quand on passe du « bœuf-carottes » aux « carottes au bœuf » on peut payer plus cher l’excellent, mais petit, morceau de bœuf local et équitable qu’on achète !

De même, il existe énormément de sources de progrès en matière de gaspillage alimentaire. Songeons par exemple que le simple fait de mettre la panière de pain en bout de la chaine de libre-service de restauration plutôt qu’au début (pour adapter sa consommation aux plats qu’on a choisi) permet de diminuer significativement le gaspillage… Ou bien que la furie des dates limite et des achats en gros lors des promotions fait qu’on jette approximativement le quart des yaourts achetés dans ce pays. Ou encore qu’il est encore quasiment impossible de trouver des carottes tordues ou autres « fruits moches » dans les rayons de nos supermarchés (ils sont jetés au champ !). Au total les Nations-Unies estiment qu’on jette le tiers de la nourriture produite dans le monde, soit 1,3 milliard de tonnes par an. En France de l’ordre de 240 kilos par personne et par an, un tiers à la production, un tiers entre la transformation et la distribution, un sixième dans la restauration, et autant, soit de 30 à 40 kilos, à domicile. On peut certainement faire beaucoup mieux, c’est-à-dire moins !

In fine, la transition d'un modèle se fondant sur la quantité vers un modèle se tournant vers la qualité a-t-il de quoi inquiéter les éleveurs ? 

Bien entendu, la baisse constatée de notre consommation de viande et de lait depuis le début du siècle n’a pas fait les affaires des éleveurs, entièrement tournés auparavant vers une production en quantité, alors que ces produits périssables et à forte charge idéologiques sont difficilement exportables. La crise qu’affronte ce secteur est considérable. Mais… ils pourraient s’inspirer du secteur voisin de la viticulture, qui a dû affronter une baisse drastique de la consommation française de vin (laquelle est passée de 140 litres à 40 litres par personne et par an en quelques décennies), et a réussi sa transformation vers la qualité, reconnue et vendue nettement plus cher. Plus de litrons, plus d’eau dans son vin, plus de gros rouge qui tâche, on ne produit que du bon et du très bon vin, à Bordeaux évidemment, mais même à Carcassonne ! On boit nettement moins de vin, mais on accepte de le payer 3 à 10 fois plus cher qu’avant ! Les (rares) éleveurs qui ont réussi à faire accepter des signes de qualité par les consommateurs arrivent à en vivre, eux, comme dans le poulet de Loué, le fromage de Comté, le lait bio, etc. Ils montrent la voie de ce changement considérable que doit maintenant affronter l’ensemble du secteur de l’élevage européen.

Et les pêcheurs devront devenir aussi majoritairement changer pour devenir éleveurs de poisson ! Sous signe de qualité évidemment. Songeons qu’on produit en Chine 300 fois plus de poisson d’élevage qu’en France, et que, depuis plusieurs années, plus de la moitié des poissons consommés dans le monde proviennent d’élevage, ce qui représente un tonnage supérieur à celui de la viande de bœuf. Il est plus que temps qu’on commence à s’y mette dans l’Hexagone.

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