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Grand “ménage” dans l’administration au Brésil : purge… ou opération anti-corruption
©Nelson ALMEIDA / AFP

Début d'année mouvementé

Le gouvernement du président d’extrême droite Jair Bolsonaro veut limoger des contractuels dans l’administration publique afin de "nettoyer" le Brésil "des idéologies socialistes et communistes".

Atlantico : Cette mesure "choc" destinée à purger les rangs de l'administration publique vise deux catégories bien précises. Mais derrière l'idéologie, y a-t-il une visée plus pragmatique qui consisterait à purger l'administration de certains de ses membres corrompus (PT, ...) ? Ou bien est-ce simplement une chasse aux sorcières ? 


Jean Hebrard : Les administrations brésiliennes ont toujours été, depuis le retour de la démocratie, des moyens de "récompenser" les partis entrant dans les alliances soutenant le pouvoir. Ainsi, dans la mesure où le PT, lors du dernier mandat de Dilma, était soutenu par des partis de droite (dont celui de Temer qui l'a renversée), on peut être sûr que les amis et proches de son parti avaient été ainsi "récompensés". A chaque nouvelle reconfiguration politique, les administrations étaient recomposées en faisant plus souvent entrer des nouveaux qu'en sortant des anciens, d'où leur caractère pléthorique. Ces changements ne se faisaient pas sur la place publique et les dimensions idéologiques étaient ignorées (car les alliances restaient en dehors de toute idéologie). 

Ce qui est nouveau est que la composition gouvernementale du nouveau président d'une part va exclure le PT (première force politique au Congrès mais bien isolée) et d'autre part va se faire au nom d'une idéologie caricaturant toute opposition de gauche au nom d'un anti-communisme et d'un anti-socialisme (les mots sont pour cette droite synonymes) qui fleure bon la guerre froide (notez que cela passe aussi bien aux USA qu'au Brésil). 
Il va être très intéressant de voir si les postes libérés par la purge vont être immédiatement réoccupés comme de nouvelles sinécures par les amis des partis de l'alliance (qui ira certainement jusqu'à une partie du PSDB) ou si Guedes obligera son Président à faire des économies. 

La "chasse aux sorcières" va certainement être un argument fort de Bolsonaro. Le PT est très affaibli sur sa gauche (depuis les mouvements de juin 2013) comme sur sa droite (toutes les classes moyennes qui n'ont pas accepté de se faire rejoindre par les nouveaux arrivants sortis de la pauvreté) et religieusement (du fait des églises évangéliques). Il n'est plus vraiment soutenu que par les intellectuels (dont les enseignants des lycées et des universités), seuls susceptibles de se faire entendre. Ils vont donc être très attaqués, frontalement, pour tous leurs engagements dans les causes libérales considérées comme des variantes du communisme/socialisme.   

Bolsonaro a été élu pour mettre fin à la corruption et jouit d'un soutien populaire conséquent. Prend-il un risque en s'attaquant aujourd'hui aux socialistes et communistes au Brésil ou est-ce plutôt populaire ? In fine, n'y a-t-il pas un risque de réduction du pluralisme et d'une dérive autocratique ?

La "corruption" est un concept très élastique au Brésil. Elle n'est jamais que celle de ses ennemis politiques. Si les électeurs qui ont voté pour Bolsonaro ont mis en avant la corruption du PT, cela ne les a pas conduit à dénoncer les corruptions politiques des partis alliés à Bolsonaro (ou de sa famille), des Eglises évangéliques qui le soutiennent ou, pire encore, des grands exploitants agricoles du Nord et de l'Ouest. Mais, d'une certaine manière, le PT s'était appliqué cette règle à lui-même (et une bonne partie de ses soutiens aujourd'hui, y compris parmi les intellectuels, n'hésitent pas à établir des échelles de corruption pour assurer que le PT était plutôt moins corrompu que les autres partis). Sortir de la corruption impliquerait de sortir du système politique actuel et de la myriade de partis (nos micro-partis en sont une bonne image) qui se partagent le pouvoir sans aucun scrupule et à tous les niveaux de la représentation politique. Bolsonaro n'a aucune envie de changer les règles du jeu à un moment où la surenchère populiste fonctionne pleinement. Son nouveau ministre de la justice qui avait déjà une indignation sélective quand il était procureur va avoir fort à faire pour naviguer au milieu de ce marais sans perdre toute crédibilité.

Une explication crédible de ce qui vient d'arriver peut être de considérer que lors de la deuxième élection de Dilma Rousseff, l'opposition a imaginé que le pouvoir du PT s'était enraciné durablement dans les couches populaires (du fait des programmes sociaux de sortie de la pauvreté) et qu'ils ne pouvaient plus revenir à une alternance droite/gauche sans manoeuvres extra-électorales. Ils ont soutenu le lava-jato qui pourtant les éclaboussait autant que le PT et, pour se débarrasser de Rousseff qui n'était pas prise dans les filets, ont imaginé un empêchement purement technique ("pédalage financier"). Ce qu'ils n'avaient pas anticipé est que Bolsonaro tirerait les marrons du feu en s'appuyant sur les couches moyennes du Sud-Est (l'équivalent de l'Italie du Nord dans la géographie brésilienne) et sur les évangélistes. Il leur a donc fallu se mettre à la remorque de ce nouveau venu (le plus-disant populiste) et de sa rhétorique. L'anti-communisme et l'autoritarisme ont de lointaines racines au Brésil dont le gouvernement le plus populaire reste encore aujourd'hui celui de Getulio Vargas (1930-54) qui n'aurait pas eu à rougir d'une comparaison avec celui de Mussolini. Le renforcement du caractère dictatorial de son régime s'est fait au nom de la lutte contre des complots communistes. La dictature militaire de 1964 s'inscrit dans la même dimension et n'a été possible que parce que le président limogé par les généraux (Goulart) a pu être taxé de communiste. 

En quoi cette purge pourrait, comme Bolsonaro le promet, permettre une meilleure efficacité dans l'application des rares mesures connues à ce jour pour le Brésil ?

Objectivement, il n'y a aucune relation entre ces purges et le programme technique du nouveau président. Mais symboliquement, la relation existe. L'une des plaies du Brésil est la corruption des petits fonctionnaires qui ne mettent un dossier sur le dessus de la pile pour enfin le traiter que s'ils ont reçu une propina (pour-boire) suffisante. Toute attaque contre les fonctionnaires (petits ou grands) est à mettre du côté de la promesse d'assainir le marigot

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