“Départ” d’Alain Juppé, difficultés de Laurent Wauquiez : comment la droite s’est dé-gaullisée<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
 “Départ” d’Alain Juppé, difficultés de Laurent Wauquiez : comment la droite s’est dé-gaullisée
©Thierry Zoccolan / AFP

Non événement symbolique chez LR

Après le "départ" d'Alain Juppé, le parti Les Républicains pourrait connaître une nouvelle crise. La droite, coupée en deux, va devoir changer de logiciel.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

Voir la bio »

Atlantico : Le départ d'Alain Juppé est-il la conclusion logique de la rupture progressive entre la droite française et le gaullisme, qui était un modèle d'équilibre entre libéralisme et conservatisme?

Edouard Husson : Franchement, c'est un non-événement. L'épilogue assez honteux d'une lente trahison. C'est à cause d'hommes comme Alain Juppé que la droite issue du RPR et de l'UDF des années 1970 s'est lentement vidée de sa substance. Après 1968 l'intelligence politique aurait voulu que la droite non seulement confirmât la justesse du gaullisme mais se renforcât à la fois sur sa droite, en tendant la main aux antigaullistes et au centre en se ressourçant dans le courant démocrate-chrétien qu'avait incarné le MRP. Face à la montée de l'hyperindividualisme, qui allait exercer un pouvoir d'attraction inévitable sur les libéraux, et les faire basculer à gauche, il aurait fallu renforcer le conservatisme. Au fond, c'est bien ce qu'a représenté le pompidolisme. La défaite de VGE en 1981 montra, par opposition, le danger que courait la droite à se faire porte-parole du nouvel individualisme. Or, paradoxe, Jacques Chirac qui avait fait battre Giscard au nom d'un vrai programme de droite est ensuite devenu plus giscardien que Giscard. Cela s'est passé largement sous l'influence du courant Juppé. Quand on creuse, on voit que cela correspond pour grande part à la montée en puissance de la haute fonction publique aux postes de décision politique. Juppé et Fabius étaient absolument interchangeables, rétifs au débat droite/gauche, absolument prêts à adapter la France au néolibéralisme.  

Une partie de la droite - celle d'Alain Juppé - n'a-t-elle pas péché par "excès" de libéralisme, en soutenant un libéralisme économique débridé et en tenant un discours aveuglément "européiste"? A l'inverse, une autre partie de la droite - incarnée par Patrick Buisson - ne pèche-t-elle pas par excès "d'illibéralisme", avec un discours anti-européen et autoritaire qui ne laisse guère de place pour la liberté?    

Une fois que l'on a constaté que Juppé, au même titre que Giscard avant lui, et que Le Maire et Macron après lui, est une parfaite incarnation de la "République à démocratie limitée" qu'est devenu notre système politique, on comprend que la droite dite de gouvernement ait produit des anticorps. Alain Juppé Premier ministre avait précipité Chirac dans la désastreuse cohabitation de 1997-2002. C'est le tournant à droite  impulsé par Sarkozy à la campagne de Chirac en 2002 qui a sauvé ce dernier. Ensuite Sarkozy a été le maître du jeu à droite  pendant dix ans. L'aide de Patrick Buisson a été très précieuse pour lui car elle lui a permis de mieux sentir "le peuple de droite". C'est grâce à cela qu'il a pu faire diminuer le score de Jean-Marie Le Pen de moitié en 2007. Une fois au pouvoir, Nicolas Sarkozy a dû cependant vivre au quotidien des affaires avec le courant Juppé et plus globalement un appareil gouvernemental qui s'efforçait en permanence de diluer les décisions du président lors de leur mise en oeuvre. De plus Sarkozy était prisonnier de la mécanique européenne. Et là-dessus Buisson n'avait aucune prise car il juge l'économie secondaire. Enfin, ajoutons que Nicolas Sarkozy a été présomptueux et a estimé qu'il avait durablement affaibli le Front National alors qu'il avait obtenu un soutien conditionnel d'une moitié de ses électeurs,  qui n'ont pas revoté pour lui en 2012. 

Pour réconcilier ses différentes tendances, la droite française a-t-elle besoin d'un "nouveau De Gaulle"? Ou bien est-ce de la nostalgie mal placée et la droite a-t-elle besoin d'autre chose que d'un mythique "homme providentiel"? 

Laissons de Gaulle tranquille. Les Républicains ont besoin d'un profond ressourcement. Sur le papier, Wauquiez avait l'air d'aller dans la bonne direction. Mais il n'a pas compris qu'on ne pouvait plus faire semblant. On ne peut pas faire du sous-Sarkozy. Ce que les adhérents et sympathisants de droite avaient apprécié chez François Fillon pendant la campagne des primaires, c'était son programme de droite sans faux-semblants. Le courant Juppé, aidé par les sarkozystes, a passé la campagne présidentielle à dézinguer Fillon. Et ils y ont pleinement réussi! De vrais champions du monde de la bêtise! Je ne ferai pas de nécessité vertu en disant que cela permet de faire table rase. 
La droite est en fait dans une impasse. A côté des Républicains dédroitisés, vous avez eu Marine Le Pen qui elle non plus n'a pas fait une campagne pour rassembler la droite, a essayé en vain de séduire les électeurs de Mélenchon,  et a de ce fait été incapable de dépasser 35% au deuxième tour. La crise sociale et politique actuelle donne raison à beaucoup des diagnostics du Rassemblement National.  Mais le parti est enfermé dans sa logique trentenaire de dénonciation des technocrates qui ne sont ni de gauche ni de droite et continue à se présenter comme un parti anti-système lui-même ni de gauche ni de droite. C'est le piège dans lequel Jean-Marie Le Pen avait enfermé son parti et dont Marine Le Pen n'a pas voulu sortir. 

C'est un piège dont la seule façon de sortir est de comprendre que la technocratie au pouvoir, même quand elle prend le masque de la droite, combat en fait tout ce à quoi la droite tient: la fidélité au passé, la transmission d'un patrimoine, matériel et spirituel, la famille, la protection de la vie privée, la liberté d'entreprendre, la décentralisation, la démocratie locale. Bien entendu il faut souhaiter qu'une nouvelle alliance des droites trouve son champion. Mais cela ne dispense pas de travailler, au sein des deux grands courants de la droite, à l'élaboration d'un programme qui substitue à la république des technocrates, république à démocratie limitée, une République au service de la nation et fondée sur une démocratie pleine et entière. Il n'y a pas de raison que le travail fait des deux côtés ne débouche pas sur une alliance des droites autour d'un conservatisme populaire. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !