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Vers l’acte VIII des gilets jaunes : ce malaise français auquel n’échappera pas Emmanuel Macron malgré l’essoufflement de la mobilisation
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Racines du problème

Alors que les Gilets jaunes se mobilisent ce samedi 5 janvier 2019 pour l'acte VIII, les racines du problème demeurent malgré les réponses du gouvernement. Que va devenir le malaise que portent les Gilets jaunes ?

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Atlantico : Après un point haut enregistré au mois de décembre le gouvernement compte sur un essoufflement des manifestations notamment en raison d'une forme de radicalisation ressentie de certaines de ses figures. En quoi le malaise persiste-t-il chez les Français, à quel niveau ? 

Jérôme Fourquet : Dès le début, le gouvernement a effectivement joué le pourrissement. On a sorti le chéquier quand celui-ci s'est fait attendre. Désormais, la nouvelle stratégie est le rappel à l'ordre républicain parce que l'on pense que la séquence est en train de se clore. C'est sans doute en partie vrai lorsque l'on regarde ce qui se passe concrètement sur le terrain avec un nombre de participants qui est quand même en baisse constante. Néanmoins, je pense que le gouvernement n'en a pas fini avec ce mouvement. D'une part, et on le verra aujourd'hui, on peut encore avoir un noyau dur de militants déterminés qui vont continuer à maintenir la pression avec des actions sporadiques mais spectaculaires et médiatiques. Et d'un autre côté, et tout cela est lié, en bénéficiant d'un niveau de soutien qui demeure élevé dans toute une partie de la population. On peut s'arrêter là sur trois types d'indicateurs qui sont utilisés par les instituts de sondage.

Le premier est celui du soutien et de la sympathie qui est encore à plus de 60% un mois et demi après le début du mouvement et alors que l'acte VIII se profile, cela est quand même assez spectaculaire même si cela est assez peu consolidé, il s'agit de soutien ou de sympathie, ce qui n'est pas très "impliquant". Cela se comprend aussi dans un contexte d'impopularité très importante de l'exécutif. Le deuxième indicateur – plus récent- est celui du souhait des Français quant à la poursuite ou à l'arrêt du mouvement. Nous sommes ici à un peu plus de 50% de Français qui souhaitent la poursuite, les militants sur le terrain peuvent donc se targuer d'avoir un français sur deux qui soutiendrait la suite de ces actions. Évidemment, si nous passions dans une forme plus radicale et violente, cela s'effriterait, mais il y aura un soutien aussi longtemps que l'on sera dans l'occupation pacifique. Ce soutien s'exprime donc dans ces sondages mais également sur le terrain avec des coups de klaxon, des signes ou des encouragements qui sont apportés à ceux qui continuent de tenir les ronds-points. Ils voient bien qu'il y a toujours du répondant, même s'il y a moins de monde. Et le troisième indicateur, on constate qu'entre 15 et 18% des Français se considèrent Gilets jaunes. Il y a évidemment un très grand écart avec le soutien ou l'adhésion, mais si on raisonne par cercles concentriques, on voit que quelques milliers de personnes sont encore dans l'action mais qu'un Français sur 6 se considère Gilet Jaune. Les données d'opinion nous montrent, que même si le mouvement supporte un reflux, il y a encore des capacités de poursuite de l'action qui ne sont pas négligeables.

Pour le soutien et la sympathie, il faut prendre en compte le fait que cela se produit dans un moment ou le président est hautement impopulaire. Cela fait un ciment pour tous ceux qui s'opposent. Les Gilets jaunes sont quelque part les porte-étendards de la contestation politique, qui est multiple. On parlait en 1995 d'une grève par procuration, on peut voir ici un mécontentement par procuration. François Hollande était aussi impopulaire qu'Emmanuel Macron mais il n'avait pas de Gilets jaunes sur les ronds-points, il n'y avait pas de mouvement qui faisait office de réceptacle pour exprimer la convergence des colères. Les Gilets jaunes ont cette capacité d'agrégation des mécontentements qui est tout à fait stratégique lorsqu'on est face à un gouvernement qui est populaire. A côté de cela, nous avons une plateforme de revendications ou de doléances qui ont été mises à l'ordre du jour par les Gilets jaunes et qui touchent à des insatisfactions profondes et très anciennes de nos concitoyens. On y voit la question du pouvoir d'achat, ce qui ne date pas d'hier mais cette préoccupation s'est renforcée, et les Gilets jaunes sont identifiés comme portant un message de défense du pouvoir d'achat face, par exemple, au matraquage fiscal ou à la grande distribution. Une autre insatisfaction ancienne, qui a été réactivé récemment, est l'injustice sociale et fiscale qui se cristallise sur la question de l'ISF et de "faire payer les riches", ce qui est très populaire. Et puis, il y a une insatisfaction qui est plus politique et plus citoyenne qui est celle de citoyens qui se sentent bafoués dans leurs droits de citoyens, ce sont des Français, je le pense, qui disent qu'ils n'ont plus de prise sur leurs vies. Cela est la même chose dans toutes les démocraties occidentales, c'est la volonté de reprendre le contrôle. C'est ce qui explique pourquoi on a encore une majorité de Français qui soutiennent la poursuite du mouvement en dépit des 11 milliards mis sur la table par le gouvernement : parce que l'on considère que les problèmes soulevés par les Gilets jaunes sont loin d'être réglés et qu'il faut donc que le mouvement se poursuive.

Comment envisager la forme que pourrait prendre l'avenir de ce malaise, entre la poursuite des Gilets jaunes à une autre évolution ?

Il y a plusieurs scénarios envisageables. Le premier est la relance du mouvement sur le terrain, on verra ce qu'il en est aujourd'hui, mais il est probable que nous ne revoyons pas les chiffres du mois de décembre. Le deuxième est de regarder ce qu'il va se passer dans le cadre du grand débat. Est-ce que les Gilets jaunes vont obtenir des choses de ce grand débat ? Est-ce qu'Emmanuel Macron va annoncer, comme cela a été plus ou moins fuité, un référendum avec plusieurs entrées sur la proportionnelle, la suppression d'un tiers des parlementaires, prise en compte du vote blanc etc... Mais si le gouvernement annonce un référendum sans y intégrer le référendum d'initiative citoyenne, ou la question de l'ISF, les Gilets jaunes répondront probablement que le gouvernement est autiste. Le troisième point est l'éventuelle ou potentielle entrée en politique avec la constitution par exemple d'une liste Gilets jaunes pour les européennes. On évoluerait alors peut-être vers quelque chose qui pourrait ressembler à un mouvement 5 étoiles à la française.

Il est également possible que la contestation tombe un peu en sommeil faute de combattants et que tout cela rejaillisse à d'autres échéances ou d'autres formes dans la suite du quinquennat. Mais le malaise véhiculé par la volonté de reprise de contrôle, la déconnexion avec les élites, le pouvoir d'achat, ne sera pas réglé. Donc soit on observe une reprise dès samedi, ce n'est pas le scénario que je privilégie. Soit on voit un débouché politique et électoral avec une liste qui peut faire un bon score et le mouvement se lance sur la scène politique autour de 8-10% (dans un scénario maximaliste). Et le scénario minimaliste, avec le temps qui passe, le grand débat qui s'enlise et le mouvement périclite. Mais même un scénario minimaliste comme celui-là peut produire un retour de flammes au deuxième semestre quand les grands sujets seront à nouveau sur la table, notamment sur les retraites. 

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