Quand l’Etat islamique s’imagine pouvoir conquérir les Français en surfant sur la colère anti-taxes des gilets jaunes<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Terrorisme
Quand l’Etat islamique s’imagine pouvoir conquérir les Français en surfant sur la colère anti-taxes des gilets jaunes
©Reuters

Bercy pas hallal ?

Dans un communiqué lu par le terroriste originaire de Toulouse Fabien Clain, l'Etat islamique appelait à « se rebeller contre ton gouvernement qui dépense ton argent sans compter à tort et à travers ». L'Etat islamique est-il gilet jaune ?

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

Voir la bio »

À part deux incidents qui pourraient être qualifiés de « terroristes » par les autorités, la nuit de la Saint Sylvestre n’a pas connu d’autres actions de ce genre. L’un est survenu  à Tokyo où un jeune homme de 21 ans a volontairement lancé son véhicule dans la foule faisant neuf blessés. L’autre a eu lieu dans la gare de Manchester en Grande Bretagne, un individu ayant blessé trois personnes avec un couteau de cuisine. Les motivations des deux auteurs de ces actions sont différentes. Le Japonais entendait protester contre la peine de mort toujours en vigueur dans ce pays et l’agresseur en Grande Bretagne aurait eu un prétexte politico-religieux. Il aurait hurlé « Allah […] Tant que vous continuerez à bombarder d'autres pays, ce genre de conneries continuera à se produire ». À noter que ces imprécations sont inhabituelles ( « Allah » et pas « Allah Akbar », « … ce genre de connerie continuera à se produire ») même si la raison invoquée l’a été par d’autres. Les enquêtes en cours devraient apporter des éclaircissements sur la personnalité et les motivations de ces deux agresseurs.

Depuis plus d’un mois, les organes de propagande de Daech lançaient des appels au meurtre à destination des « loups solitaires » (expression textuellement employée par Daech) un peu partout dans le monde mais plus particulièrement en Europe.

Le 28 décembre, c’était au tour du Toulousain Fabien Clain alias Omar ou Abou Adam Al-Faransi, de diffuser un message audio de plus d’une dizaine de minutes intitulé « Est-ce que tu réalises ? ». Il y exhorte les sympathisants de Daech à commettre des attentats en France pour « venger ceux qui meurent » dans les frappes de la coalition (raison aussi invoquée par le terroriste de Manchester). Il appelle aussi celui qui l’écoute à « se rebeller contre ton gouvernement qui dépense ton argent sans compter à tort et à travers ». Enfin, il s'adresse aux Français dans leur ensemble en les invitant à se rendre compte que les attentats sont des « actes de vengeance » et qu’en conséquence, ils sont totalement justifiés.

Fabien Clain et son frère Jean-Michel font partie de ce que l’on a appelé la « filière d’Artigat » qui était dirigée par le gourou Olivier Corel, un Syrien naturalisé français (il a abandonné son nom Abdel Ilat al-Dandadi). Fabien Clain a été condamné à cinq ans d’emprisonnement en 2009 (avec le système de réduction de peines, il est sorti en 2012) pour avoir envoyé des djihadistes vers l’Irak. Il est surtout connu pour avoir revendiqué sur les ondes les attentats du 13 novembre 2015 qui ont fait 130 morts et 352 blessés à Paris et à Saint-Denis. La voix de son frère Jean-Michel psalmodiant un chant religieux sur la même audio a aussi été identifiée. Depuis juin 2018, ces deux hommes font l’objet d’un mandat d’arrêt international lancé par Interpol.

Force est de constater que, heureusement, les appels au meurtre incessants n’ont globalement pas trouvé d’écho et il est normal de tenter de comprendre ce qui est train de se passer. Par contre, prévoir l’avenir et un exercice auquel seule Madame Irma et ses consoeurs peuvent se livrer. À ce titre, il est intéressant de remarquer que de savantes études ont aussi été battues en brèche. Par exemple, une « marée » de djihadistes revenants de Syrie devait submerger l’Europe. Il était logiquement à craindre qu’ils ne commettent des attentats meurtriers ayant acquis une expérience guerrière redoutable sur le champ de bataille. Or, jusqu’à maintenant, très peu sont rentrés et surtout des femmes et des enfants… Ilms semblent ne pas vouloir - et peut-être ne pas pouvoir - quitter leurs camarades de combat.

Des sympathisants à la cause salafiste-djihadiste qui n’avaient jamais quitté leur lieu de résidence devaient lancer une multitude de micro-attaques un peu partout en Europe afin de venger leurs frères musulmans tués au Proche-Orient par la coalition internationale. Il y en a bien eu, mais très peu par rapport aux prévisions qui se sont révélées pessimistes.

Désormais, ce sont les prisonniers qui, une fois leur temps d’incarcération effectué, vont réapparaître sur le marché du terrorisme. À n’en pas douter ils représentent un risque important mais pas certain d’autant que les plus virulents vont être mis sous surveillance étroite pendant de longues périodes.

Les raisons pour expliquer que des fanatiques ne passent pas à l’acte (en dehors de cas ponctuels relativement isolés) sont multiples. Les alertes lancées depuis 2015 ont provoqué une prise de conscience des autorités politiques qui se sont décidées à prendre le taureau par les cornes en réformant, réorganisant et renforçant les services de renseignements qui, en conséquence, ont réussi à tuer dans l’œuf de nombreuses tentatives d’attentats en amont.

Les citoyens se sont aussi réveillés et, contrairement à ce que craignaient certains politiques, ils sont restés calmes et n’ont pas versé dans le piège de l’amalgame qui n’aurait fait que réjouir les idéologues salafistes-djihadistes qui parient sur une guerre de civilisations. La capacité de résilience dont les Européens ont fait preuve est à souligner.

Enfin et peut-être surtout, l’état d’esprit des révoltés qui trouvaient dans le djihad guerrier un moyen d’exprimer leurs ressentiments à l’égard de notre société ont été très marqués par la disparition du proto-État Islamique qui était un peu leur « terre promise » à eux (ce n’est qu’une image). À savoir qu’une nouvelle vie leur était offerte avec logement, solde, femmes, prestige, etc., tout ce qui est difficile pour eux à obtenir en Europe. Ils ont tellement cru que la victoire était à portée de main qu’ils se relèvent difficilement de cette désillusion. Certains retournent à leurs « affaires » qu’il jugent plus lucratives à court terme.

Cela dit, après avoir été profondément pessimiste, il ne faut pas tomber dans un optimisme béât. Daech existe toujours, même si le proto-État a disparu. Il est encore actif sur le territoire syro-irakien ainsi que sur d’autres théâtres de guerre comme le Sahel, l'Égypte, la zone Afpak, le Caucase, l’Extrême-Orient... L’idéologie salafiste-djihadiste attire toujours de nombreux adeptes qui constituent des viviers pour Daech et Al-Qaida « canal historique ». La disparition du proto-État Islamique a singulièrement accentué le retour sur le devant de la scène d’Al-Qaida. C'est l'occasion de rappeler que la guerre qui se déroule actuellement n'oppose pas des civilisations. Elle est d'abord interne à l'islam : les salafistes-djihadistes entre eux et globalement contre les chiites (et pour Daech contre tout ce qui est considéré comme un islam déviant); les Frères musulmans contre les wahhabites ; etc. 

Enfin, des convaincus de la « cause » qui haïssent l’Occident considéré comme un empire décadent et oppresseur peuvent toujours passer à l’action. Il convient donc de ne pas baisser la garde et de continuer le travail de renseignement pour faire barrage à ces velléités qui pourraient être très meurtrières.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !