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Fascisme, dérive, anti-républicanisme etc… : ce que révèlent les mots choisis pour parler des Gilets jaunes de l’état réel de la démocratie française
©ERIC FEFERBERG / AFP

Le choix des mots

S'il est nécessaire de condamner les excès et violences des gilets jaunes, les mots instinctivement choisis par leurs adversaires montrent une sincère défiance vis-à-vis de la démocratie voire un certain fantasme d'une démocratie censitaire.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Atlantico : Cette semaine un petit groupe de gilets jaunes a bloqué la diffusion de journaux appartenant au groupe Ouest France, dès lors le mouvement s'est vu taxé de "fasciste" par des très proches soutiens du gouvernements et des membres LREM. De même, depuis quelques jours une image d'antisémites - très déplorable mais non représentative du mouvement- leur colle à la peau.  Alors que l'usage de ces termes apparaît déplacé, que révèle leur utilisation ?


Christophe de Voogd : Il existe une belle phrase d’un proche de Henri IV, Aubéry du Maurier, qui définit à merveille le genre de contexte très particulier où nous sommes : « il règne », disait-il « une confusion des esprits si grande ». Cette confusion des esprits rend quasi-impossible une approche, je ne dirai pas objective, mais un minimum honnête de ce qui se passe aujourd’hui en France. Le moindre mot en faveur des gilets jaunes est désormais qualifié de « fasciste » par les uns ; le moindre mot contre eux, de « mépris de classe » par les autres. Le brouhaha est tel que tout sens de la mesure et des faits a disparu. BFM TV est ainsi accusée de faire le lit de la révolte alors que lesdits révoltés hurlent contre elle ; idem pour la presse nationale et régionale…

Le départ du mouvement est clairement oublié, du fait des manoeuvres de toutes parts : les gilets jaunes voulaient moins d’impôts et plus de pouvoir. Il est clair qu’ils n’auront ni l’un ni l’autre, car le fond des revendications est désormais occulté : par la classe dirigeante qui ne veut rien céder de ses prérogatives (d’où le blocage sur le R.I.C) ;  et par les « leaders » actuels des gilets jaunes qui retombent dans la grande illusion de l’Etat providence et de l’égalitarisme français : la revendication obsessionnelle sur l’ISF, absente au départ, dit tout de cette évolution. On est retombé dans un schéma rhétorique très classique en France : la reductio ad-Hitlerum d’un côté, la haine des « riches » de l’autre. 

Depuis l'origine du mouvement, le gouvernement semble considérer les gilets jaunes avec beaucoup de mépris. Ainsi, ils s'attachent plus à pointer du doigt les actes de vandalismes  que les réelles revendications du mouvement. Accuser les gilets jaunes d'adopter un comportement anti-républicain, est-ce pour le gouvernement une façon de les décrédibiliser ? Pourquoi ne pas échanger avec eux comme il le ferait à n'importe quel autre type d'opposition ? 

La rhétorique du gouvernement me semble non pas plus subtile mais plus confuse et plus embrouillée que ce que vous dites. Ce qui montre bien que le pouvoir est en fait dépassé par les événements. Au début certes, l’attitude était simple et claire : mépris et caricature (« peste brune » etc.). Puis changement de cap, les choses étant ce qu’elles étaient, c’est-à-dire très sérieuses : le Président comme le Premier ministre sont allés à Canossa, changeant radicalement de discours et d’attitude. Aujourd’hui, nouveau raidissement, à la faveur des fêtes et de la démobilisation (très temporaire selon moi). Mais ce schéma temporel se complique avec, parallèlement, une tentative de répartition des rôles entre « good cops » et « bad cops », le Président et le Premier ministre jouant encore l’ouverture, le Ministre de l’Intérieur se posant en gardien de la république menacée, et les seconds couteaux hurlant carrément au « fascisme ». A quoi s’ajoute la confusion croissante dans les rangs d’EN Marche, notamment chez les députés, où les éléments de langage commencent à s’enrayer et où on sent le doute monter sur la maîtrise des événements par le gouvernement. A la décharge du gouvernement, le refus répété des gilets jaunes de lui envoyer une délégation sans la déjuger dans l’instant et un catalogue de revendications à la Prévert qui a noyé le message initial. A la décharge des gilets jaunes, l’impression que l’on cherche à les « balader ». La mise en musique des mesures annoncées par Emmanuel Macron n’est pas faite pour les rassurer : délais, exceptions, « usines à gaz », etc.. Et de toutes façons « le grand débat » ne changera pas le cap des réformes, nous dit-on…Tout est donc en place pour un dialogue de sourds et une poursuite de la confrontation.  

Tout en les accablant de tous les maux, le gouvernement invitent les gilets jaunes à un grand débat. Que révèle cette attitude schizophrène mêlée au vocabulaire choisi pour les qualifier de l'état actuel de la démocratie en France ? 

Le grand débat concerne tous les Français et pas seulement les gilets jaunes. C’est sans doute d’ailleurs l’espoir du gouvernement que de dépasser ainsi le face à face avec les plus radicaux. Mais ce calcul va se heurter à deux phénomènes : la boite de Pandore des revendications est désormais ouverte et toutes les catégories vont demander « leur droit », à commencer par les fonctionnaires. La France est hors d’état de les satisfaire, car cela fait près de 40 ans qu’elle distribue davantage qu’elle ne produit. D’autant que l’horizon économique international s’assombrit. Le second phénomène est la fin du « surmoi » collectif qui bloquait la contestation des classes moyennes de la France périphérique, culpabilisées et négligées par les grands partis de gouvernement. Face à cela la réaction du pouvoir et de ses soutiens (mais cela va bien au-delà et concerne toutes les élites du système, des médias aux syndicats) témoigne d’une nouvelle « grande peur des bien-pensants » ; l’évolution des gilets jaunes traduit, elle, le retour de « la grande illusion » de l’Etat tout puissant. Le tout sur un fond de défiance qui est « le mal français » diagnostiqué par Alain Peyrefitte il y a déjà 40 ans et qui a désormais atteint un point de non-retour. 

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