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Comment le pape est devenu le porte-parole des élites néo-libérales sans s’en rendre compte
©Reuters

Disraeli Scanner

Ce que nous révèle le très mauvais film de Wim Wenders sur le pape François

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Benjamin Disraeli (1804-1881), fondateur du parti conservateur britannique moderne, a été Premier Ministre de Sa Majesté en 1868 puis entre 1874 et 1880.  Aussi avons-nous été quelque peu surpris de recevoir, depuis quelques semaines, des "lettres de Londres" signées par un homonyme du grand homme d'Etat.  L'intérêt des informations et des analyses a néanmoins convaincus  l'historien Edouard Husson de publier les textes reçus au moment où se dessine, en France et dans le monde, un nouveau clivage politique, entre "conservateurs" et "libéraux". Peut être suivi aussi sur @Disraeli1874

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Hughenden, 

Le 23 décembre 2018

Mon cher ami, 

Je viens de regarder le film de Wim Wenders sur le pape François: A Man of His Word. A vrai dire, le titre en dit déjà beaucoup. C’est ne rien comprendre au christianisme qu’inventer un titre pareil. On ne devrait jamais imaginer que le pape puisse avoir une autre parole que celle du Christ. La question de savoir si le Pape tient parole est absurde: ce devrait être une évidence dans la mesure où il est fidèle à celui qui a dit: « Que votre oui soit oui, que votre non soit non! » (Evangile selon Matthieu, V, 37). Mais le titre choisi par Wenders est très significatif de la perception qu’ont la plupart des libéraux dans un Occident en grande partie déchristianisé: ils ne voient dans le christianisme qu’une pensée humanitaire parmi d’autres. Et le film de Wenders dégouline de bon sentiments sur l’environnement, sur la pauvreté, sur l’immigration sans que rarement, à part les moments d’entretien avec le Pape, on entende beaucoup citer l’Evangile. Les passages les plus grotesques du film sont, en noir et blanc, la mise en scène d’un François d’Assise transformé en hippie en route vers Katmandou (les cheveux en moins). Evangile selon Wenders: on comprend qu’en fait saint François d’Assise est l’auteur d’un nouvel Evangile, compatible avec le New Age, l’islam modéré, la Cop 21 et la politique d’Evo Morales. 

Il y a bien quelques moments à part dans le film. ce sont ceux où, interrogé par le réalisateur, le pape François est dans son rôle de prêtre et ancre ce qu’il dit et ce qu’il fait dans l’Evangile. Cet homme a en commun avec Jean-Paul II de savoir établir le contact avec un auditoire, d’être authentique quand il rencontre une foule, des malades, des prisonniers. Le meilleur passage est celui où, parlant dans une prison, il rappelle devant ses auditeurs détenus que « le premier saint canonisé fut un prisonnier », le Bon Larron, à qui le Christ en croix dit: « Aujourd’hui même, tu seras avec moi au paradis ». C’est le Pape lui-même qui explique à Wenders qu’il ne faut pas que l’Eglise se réduise à une ONG. 

Quand on ne comprend rien à l’économie mieux vaut ne pas en parler

Pourtant, écoutons bien la construction intellectuelle de François. Quand l’Eglise coure-t-elle le risque de se réduire à une simple ONG? Lorsqu’elle abandonne l’exigence de pauvreté radicale du Christ! Certes. Mais rapidement on a l’impression que la pauvreté que prêche le Pape se limite à la pauvreté matérielle. La pauvreté, comme l’humilité ou la chasteté, est une porte d’entrée dans l’Evangile tout entier, à condition de lenvisager dans toutes ses dimensions: non seulement matérielle mais aussi psychologique et spirituelle. Je comprendrais un pape qui mette la première des béatitudes prononcée par Jésus (« Heureux les pauvres (qui habitent) dans l’Esprit ») au coeur de son enseignement; mais ce n’est pas ce que fait François. Il se contente de parler de la pauvreté matérielle; il reste largement dans le domaine temporel. 

Le Pape développe un discours économique complètement statique, sur le partage des richesses à l’échelle mondiale; comme si la richesse générée par l’économie mondiale n’était pas en croissance permanente, ce qui n’empêche pas, au contraire, de poser la question du nombre de ses bénéficiaires. Par une formule qui n’est brillante qu’en apparence, François explique que la première des pauvres, c’est « la Terre », notre planète, qui a été dépouillée de ses ressources. L’image est intéressante par ce qu’elle révèle de la vision qu’a l’évêque de Rome du capitalisme, qui ne serait au fond qu’un système de prédation, de pillage institutionnalisé. On comprend bien comme toute la pensée de François découle d’une lecture de l’exigence évangélique de pauvreté qui réduise cette dernière à la misère matérielle. Effectivement, si ce qui se joue, c’est uniquement le pillage des uns par les autres; à partir du moment où l’on ne fait pas la distinction entre la prédation, la thésaurisation et l’usure de l’ancien monde, d’une part, et l’échange protégé par l’Etat de droit, l’épargne source d’investissement et le taux d’intérêt modéré qui rendent possible le capitalisme d’autre part, , on se condamne à une lecture simpliste du monde contemporain. Elle conduit à ne pas voir que le seul système capable de se réformer, d’apprendre de ses erreurs et d’enrichir le plus grand nombre est le capitalisme; elle amène à prôner un impératif d’accueil inconditionnel et pérenne de l’étranger qui franchit la frontière, même illégalement, sans se préoccuper des capacités de la société d’accueil ni de savoir si les immigrants sont porteurs de valeurs compatibles avec la vie en démocratie. Elle conduit, au nom de la préservation de l’environnement, à accepter, sans l’avouer ouvertement, le planning familial et, plus globalement, la séparation entre sexualité et procréation, que l’Eglise catholique avait pourtant toujours refusée depuis les premières tentations eugénistes de la fin du XIXè siècle. 

Un pontificat prisonnier de l’intelligentsia néolibérale

J’aurais aimé un film qui montrât les contradictions d’un pape qui révèle, sans doute à son corps défendant, les contradictions du progressisme. François a ostensiblement décidé de ne pas habiter les appartements pontificaux, sous prétexte qu’ils seraient luxueux - comme si la beauté du Vatican n’était pas d’abord un bien immatériel à entretenir soigneusement car il appartient à tous les catholiques et oriente les yeux de l’humanité vers la beauté. On le voit, dans le film, repartir du Congrès américain dans une toute petite voiture entourée de limousines; mais cela n’empêche pas le pape François de soutenir les sommets environnementaux mondiaux dont le planisme est digne de l’ancienne Union Soviétique et pour lesquels on brûle inutilement des millions de litres de kérosène - au lieu de faire confiance à la capacité de la science, de l’innovation et de l’entrepreneuriat à inventer les systèmes propres de distribution d’énergie. L’une des contradictions les plus évidentes de François, et qu’un Allemand comme Wenders aurait dû relever, est le fait de s’appuyer d’abord et avant tout sur l’Eglise d’Allemagne, la plus riche de la planète, pour réformer l’Eglise. Or s’il y a bien un endroit où l’on comprend le danger d’un christianisme vidé de sa substance spirituelle à force de se confondre avec le progressisme, c’est bien l’Allemagne. 

Nous sommes finalement devant le paradoxe d’un pape parti de l’exigence de pauvreté radicale formulée par le Christ et qui finit prisonnier de l’intelligentsia néolibérale. Le pape s’est mis entre les mains de la partie de l’épiscopat catholique la plus contestable: non seulement parce que l’Evangile n’est pas une pensée du monde ni un programme humanitaire; mais aussi parce que cet épiscopat a fait preuve de bien peu de discernement sur la crise de l’Eglise: aussi bien sur les symptômes (le scandale de la pédophilie) que sur les causes (le déclin théologique, philosophique et liturgique). Vous avez suivi comme moi les rebondissements des derniers mois. A force de s’appuyer sur des prélats progressistes, François a remis en selle des individus douteux, comme le Cardinal McCarrick, qui avait été écarté par Benoît XVI. Ce n’est pas faire un procès d’intention aux progressistes que de constater qu’ils ont été bien moins vigilants que les conservateurs dans le recrutement des séminaristes des années 1960 aux années 1980 et que l’Eglise l’a payé par un certain nombre de prêtres pédophiles et un manque de sévérité de plusieurs évêques devant des scandales à répétition. Ce n’est pas faire injure à François que de constater qu’il a été, derrière la fermeté de ses propos sur le sujet, dans les faits plus laxiste que Jean-Paul II et Benoît XVI pour combattre les scandales de moeurs dans le clergé. 

Il ne s’agit pas de personnaliser à outrance. François n’aurait jamais dû devenir pape: c’est la faiblesse de caractère de Benoît XVI, certainement magnifique théologien mais incapable de supporter la pression politique liée à la fonction qui est à l’origine de l’élection du pape argentin. Et lorsque j’entends des catholiques de la génération Jean-Paul II citer les formules empruntées à la théologie de la libération de l’encyclique sur l’environnement Laudato si, je me dis que l’Eglise est loin d’être composée de disciples du Christ adultes, qui sachent la différence entre la papolâtrie et le respect d’un pape garant de l’orthodoxie et de la continuité de la Tradition. 

L’Eglise  de 2018 a-t-elle un ou deux papes - et donc aucun? 

Il m’arrive de me demander si l’Eglise aujourd’hui a un pape ou deux - et donc aucun. Pourquoi Benoît XVI a-t-il gardé la soutane blanche? Qu’est-ce que la théorie absurde développée par celui qu’on décrit comme un grand théologien, lorsqu’il a expliqué, en 2013, qu’il n’était plus pape en exercice mais restait pape par élection? Le souverain pontificat n’est pas un ordre: il s’agit d’une fonction, d’un service envers les cardinaux et toute l’Eglise. Benoît XVI aurait dû, quittant ce service, remettre la soutane noire, épiscopale. L’image que les chrétiens du monde entier ont régulièrement sous les yeux est celle de deux papes ! Au Moyen-Age, l’Eglise se serait ouvertement divisée entre les partisans des deux. Et il aurait fallu, à la fin, les déposer tous les deux. 

Je m’arrrêterai là parce que je suis ni catholique ni théologien. Mais je constate simplement que les promesses du pontificat de François n’ont pas été tenues. Cet homme qui commença adulé par les médias et les progressistes du monde entier a été incapable de réformer l’Eglise comme il l’avait annoncé; et il semble de plus en plus empêtré dans la gestion désastreuse des scandales de pédophilie. Il garde une popularité réelle parmi les catholiques d’Asie et d’Afrique mais il est de plus en plus mal perçu en Europe et en Amérique. Je ne sais pas comment tout cela finira. Mais j’aurais aimé qu’un grand cinéaste contemporain nous offre un film critique au lieu d’une hagiographie progressiste. 

Je vous souhaite un joyeux Noël

Bien fidèlement 

Benjamin Disraëli

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