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Pacte migration de Marrakech : pourquoi les bonnes âmes qui veulent enrayer la déferlante de Fake news sur les réseaux sociaux emploient les mauvaises armes pour y parvenir
©FADEL SENNA / AFP

"Non-contraignant"

La présentation du Pacte migration de Marrakech a provoqué une vive réaction sur les réseaux sociaux, avec de nombreuses Fake news. La réponse médiatique n'a pas toujours été à la hauteur.

Jacques Barou

Jacques Barou

Jacques Barou est docteur en anthropologie et chargé de recherche au CNRS. Il enseigne les politiques d’immigration et d’intégration en Europe à l'université de Grenoble. Son dernier ouvrage s'intitule La Planète des migrants : Circulations migratoires et constitution de diasporas à l’aube du XXIe siècle (éditions PUG).

 

 

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Arnaud Lachaize

Arnaud Lachaize

Arnaud Lachaize est universitaire, juriste et historien. 

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Atlantico : Des médias comme Le Monde, Libération, 20 Minutes ou l'AFP ont fait du fact-checking sur le sujet. Leur réponse appuie notamment sur le caractère "non-contraignant" du pacte. Face à la dramatisation extrême de certaines fake news, n'y a-t-il pas une forme d'angélisme de la part des médias traditionnels ?

Jacques Barou : Les médias "traditionnels" se positionnent par rapport à la déferlante de fausses nouvelles qui inondent certains réseaux sociaux et qui visent à créer un mouvement de panique en réactivant la théorie du complot, en inventant des chiffres alarmants de migrants qui viendraient dans le cadre du "grand-remplacement". De ce fait ils mettent en avant le caractère non contraignant du pacte. Celui-ci est réel comme tous les textes qui émanent d'une organisation internationale. Mais du coup ils oublient de s'intéresser aux raisons qui ont pu pousser l'ONU à proposer ce texte. L'ONU est directement concerné par la question des flux migratoires surtout à travers son antenne pour les réfugiés, le H.C.R et il est normal qu'il cherche à sensibiliser les états à ces questions. Le texte du PACTE est dans l'ensemble très prudent et il insiste sur la souveraineté des états par rapport à l'accueil des migrants mais il cherche cependant à faire avaliser par les signataires que l'immigration est en soi une chose positive pour les pays d'accueil comme pour les pays d'origine. S'il est vrai que les migrations ont souvent apporté et apportent encore des opportunités de développement aussi bien pour les sociétés d'accueil que pour les sociétés de départ on ne peut pas en faire un postulat systématique. Le signer signifierait-il que les signataires partagent tous ce postulat même s'ils n'en tirent aucune conclusion qui les obligeraient moralement à mettre en place des politiques d'accueil avec un optimisme de commande qui pourrait bien s'avérer illusoire ? 

Il y a des choses intéressantes dans le texte du PACTE qui visent à mettre en place une politique globale pour gérer les migrations en s'efforçant entre autre de les réguler et de prévenir les grands mouvements désordonnés qui sont très dangereux pour les migrants eux-mêmes et qui engendrent de la peur et de l'hostilité dans les pays potentiels d'accueil. Le problème principal avec ce texte est qu'il arrive dans un contexte qui est plutôt favorable aux déformations systématiques de ses objectifs et qu'il risque de creuser encore plus le fossé entre les pays qui partagent la plupart de ses intentions et ceux qui veulent y voir l'annonce de la submersion des pays occidentaux par les flux de migrants. Dans ce contexte là les états qui le signeront risquent de se voir stigmatisés comme angéliques et peu soucieux du respect de l'opinion de leurs citoyens pour beaucoup prompts à s'inquiéter de risques de nouvelles arrivées massives. 

Arnaud Lachaize : Il y a du vrai et du faux dans tout cela. Le pacte se présente comme une déclaration d'intention par l'Assemblée générale de l'ONU. Il ne semble pas que des procédures de signatures et de ratification par les Etats soient prévus. Donc il est clair qu'on ne peut pas parler d'un traité qui modifierait le droit des Etats et aurait une incidence sur leur politique migratoire à l'image de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme sur le "droit au respect de la vie privée et familiale" qui est à la source du regroupement familial. Ce pacte se présente comme visant à répondre à un objectif qui est celui d'organiser un peu mieux les migrations planétaires qu'elles ne le sont aujourd'hui dans un contexte profondément chaotique. D'ailleurs, curieusement, il affirme la souveraineté pleine et entière des Etats en matière de politique d'immigration. Dès lors, s'il avait une force juridique, cette disposition pourrait justement aller à l'encontre de traités qui limitent fortement les marges de décision des Etats. Certes, il ne faut cultiver l'angélisme, mais il ne faut pas non plus raconter des histoires.

Si cet accord est "non-contraignant" et qu'il n'a pas pour but de dicter à la France sa politique, quel est l'intérêt de le signer, n'est-il pas contraignant au niveau moral ? Pourquoi ne pas souligner l'importance d'un engagement, même juridiquement non contraignant ?

Jacques Barou : Signer ce pacte implique a minima un certain accord avec la plupart de ses propositions. Même s'il ne présente pas de contrainte juridique le fait de le signer implique de potentiels engagements dans les actions qu'il peut appeler. Dans le contexte actuel de raidissement nationaliste et avec certains pays qui ont tout de suite refusé de le signer, prétextant que cela serait un abandon de souveraineté,  les chefs d'état qui le signeront se mettront en danger d'apparaître comme des partisans d'une immigration dont la prise en charge ne pourrait se faire qu'au détriment des citoyens qui connaissent des difficultés, ce qui s'observe déjà dans le discours des gilets jaunes qui s'opposent à ce que le président de la république signe cet accord. 

Arnaud Lachaize : Alors là, c'est autre chose. Si ce pacte n'a pas la portée juridique d'un traité, il  peut prendre une portée morale et politique. Disons qu'il confirme une position constante des Nations-unies en faveur de l'accélération des migrations planétaires. En 2000, un rapport de la division des populations de l'ONU, en des termes volontairement provocateurs, affirmait que le continent européen, compte tenu de la baisse de sa fécondité, devrait accueillir 2,3 milliards d'immigrés avant 2050 pour "sauver les régimes de retraite". En 2004, devant le Parlement européen, le secrétaire général des Nations Unies, M. Kofi Annan, proclamait: « L’histoire nous enseigne que les migrations améliorent le sort de ceux qui s’exilent mais aussi font avancer l’humanité tout entière ». Le développement des migrations internationales est donc un aspect essentiel de l'idéologie des nations-Unis, un vecteur de la mondialisation des idées. Il est bien évident que l'impact de ce pacte, qui concrétise un mode de pensée dans les hautes sphères de la communauté internationale, peut être significatif à travers son influence sur l'air du temps, sur les idées. Tel est bien le but recherché. Peu importe à ce niveau qu'il soit juridiquement contraignant ou non. 

Un des points qui alertent est celui concernant les médias. Le pacte explique qu'il faut sensibiliser "les professionnels des médias aux questions de migration et à la terminologie afférente, en instituant des normes déontologiques pour le journalisme et la publicité". Comment peut se traduire cette directive au niveau du traitement des médias ?

Jacques Barou : Le pacte sur l'immigration souhaite de façon légitime que la question de l'immigration soit traitée avec objectivité par les médias des pays signataires et à partir d'informations vérifiées. Mais on ne peut pas imposer aux médias un mode de traitement unique de cette question. Il existe dans la législation de la plupart des pays des lois qui empêchent la diffusion de fausses nouvelles ou d'appels à la xénophobie. Cela doit suffire pour éviter la propagation de rumeurs infondées et d'insultes raciales ou d'appels à la haine. La volonté du pacte de vouloir influer sur la manière dont les médias des divers pays traiteront cette question risque d'être contre-productive en faisant apparaître une volonté d'ingérence dans la diffusion des informations, ce qui touche la liberté d'expression. C'est là le point le plus discutable de ce texte qui par ailleurs a le mérite de s'attaquer à un problème qui concerne tous les pays même ceux qui se pensent à l'abri de l'arrivée de flux imprévus. 

Arnaud Lachaize : Ce point illustre bien mon propos. L'idée est d'influencer les décideurs nationaux, politiques, magistrats, et les relais d'influence comme la presse et les médias. Oui, il est étrange de voir une institution comme l'ONU préconiser ainsi à une action qui a toute les apparences de la propagande. De fait, la migration est érigée dès lors en idéologie. Elle se présente comme un vecteur du bien de l'humanité, de sa marche vers le progrès, un peu comme jadis, le "socialisme scientifique". Elle fait office de vérité incontestable, qui n'appelle pas de débat mais une propagande. L'objectif ultime est d'éclairer, de convertir les peuples qui demeurent sceptiques face à l'impératif d'encourager les mouvements de populations par delà les frontières nationales et de promouvoir des sociétés multiculturelles. L'ONU n'est pas dans l'objectif de nourrir un débat d'idée sur le sujet mais de lutte contre ce qui est à ses yeux un obscurantisme. Comment peut-il se traduire dans les faits? En France, cela ne changera pas grand chose. Les médias, la télévision et la radio, la presse dans son ensemble, professent d'ores et déjà un enseignement de ce type. L'immense majorité des journalistes à l'image des élites nationales, sont d'ores et déjà les chantres convaincus des bienfaits inconditionnels de l'immigration, sans pour autant avoir trouvé les bonnes formules pour en persuader l'opinion. Dans d'autres pays, où la presse est beaucoup plus partagée et pluraliste sur la question, comme la Grande-Bretagne, l'idée est bel et bien d'amener les journaux qualifiés de "populiste" à évoluer dans le sens du message de l'ONU. 

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