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Emmanuel Macron, l’homme qui a enfanté un nouveau monde... dont il ne maîtrise pas les codes
©LUDOVIC MARIN / AFP

Révolution

Emmanuel Macron avait su créer une véritable magie autour de sa personne et de sa candidature et s’appuyer sur les réseaux sociaux pour court-circuiter tous les réseaux traditionnels. Exactement comme l'ont fait les Gilets jaunes.

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou

Jean-Sébastien Ferjou est l'un des fondateurs d'Atlantico dont il est aussi le directeur de la publication. Il a notamment travaillé à LCI, pour TF1 et fait de la production télévisuelle.

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Révolution, transformation, nouveau monde, rejet des corps intermédiaires traditionnels, mise en scène d’une forme de démocratie directe, appel au peuple (les marcheurs), croyance dans la force des outils technologiques venant au secours de la politique, rejet du clivage gauche /droite, messianisme (comment oublier ces meetings où il s’offrait, christique, à la France ?), etc. : Emmanuel Macron et En marche ont enfanté, ou peut-être plutôt accouché, le « monstre » jaune qui se dresse désormais en travers de leur route. 

Et pourtant ils n’en maîtrisent pas les codes alors même qu’Emmanuel Macron avait su créer une véritable magie autour de sa personne et de sa candidature -qui en gommaient les contours exacts et les aspérités- et s’appuyer sur les réseaux sociaux pour court-circuiter tous les réseaux traditionnels. 

C’est exactement ce que font ou ont fait les Gilets jaunes. 

Certains, au cœur de l’appareil macroniste, commencent à se rendre compte qu’à trop vouloir manager la France et séduire les investisseurs internationaux, le gouvernement a fini par ne tenir qu’un discours strictement rationnel et par oublier l’émotionnel et l’empathie. 

Il est, qui plus est, confronté à une crisepolitique historiquedes démocraties occidentales qui produit les images qui le desservent dans une noria devenue incontrôlable. Celles de l’interpellation de lycéens de Mantes-La-Jolie en sont le dernier exemple en date. A la lecture des articles sur la violence qui régnait avant cette interpellation musclée, on comprend mieux pourquoi la police en est arrivée là. A l’image, on ne voit qu’injustice.

Le problème, c’est que nulle censure ne peut plus dicter le contenu des JT, des Facebook live ou autres Périscope. Et le pouvoir ne l’a pas compris qui s’entête dans sa dénonciation des Fake News ou des manipulations. La seule solution est celle de la bataille de la crédibilité. Vraies ou fausses, les images n’acquièrent leur puissance maximale que lorsqu’elles entrent en résonance avec la perception qu’avaient leurs spectateurs au préalable. Aujourd’hui, le gouvernement a perdu le crédit de sa bonne foi. Celui aussi de sa compétence en matière de sécurité. 

Globalement, se retourne désormais contre lui le système médiatique sur la vague duquel il a su admirablement surfer, des plateaux télé à n’en plus finir sur les confidences de François Hollande à ceux sur l’affaire Pénélope Fillon. La caisse de résonance lui a échappé et ses conseillers en communication commencent tout juste à en tirer les conséquences. Si le président n’a pas pris la parole avant ce samedi de tous les dangers alors qu’il paraissait nécessaire de le faire, c’est aussi parce que l’Elysée a acquis la conviction que le président n’était plus audible et que toute prise de parole, quelle qu’en soit le contenu et l’intention, risquait de jeter encore plus d’huile sur le feu. 

Pourtant la démocratie EN direct dans laquelle nous évoluons maintenant impose une très grande maîtrise des nouveaux codes. L’info en continu et les réseaux sociaux ne sont pas des supports favorables à la raison. Non pas qu’ils soient des supports de la déraison mais ce sont des médias qui favorisent l’émotion. D’où l’erreur du gouvernement de s’enfermer dans le registre de la dénonciation des Fake news alors que la question qui se pose à lui est celle de sa crédibilité. Aucune interdiction de Fake News, aucun décodeur ni aucun Fact checker ne peuvent quoique ce soit pour empêcher les rumeurs si la crédibilité des émetteurs de discours que sont politiques et médias est nulle auprès de certaines catégories de population.

Il faut d’abord créer les conditions d’un retour de la confiance et du dialogue. Traiter les gens comme des gogos capables de gober n’importe quelle nouvelle est d’autant plus contre-productif qu’aucune attention n’est portée au meta-langage de la Fake news. Le fait peut être faux, son interprétation biaisée ou manipulée mais si la Fake news demeure efficace, c’est qu’elle entre en résonance avec une préoccupation sous-jacente non traitée par les discours politiques ou médiatiques mainstream(comme on a pu le voir sur les sujets ayant trait à l’immigration, à l’insécurité ou aux stratégies d’optimisation fiscale utilisées par les « riches » par exemple). En relayant des Fake news, y compris en étant plus ou moins conscient du caractère douteux d’une information, les utilisateurs des réseaux sociaux surfent sur le vide laissé par des discours officiels qui se concentrent sur le registre de la condamnation ou de l’intimidation morale plus que sur l’analyse objective des situations. La lecture des sites de factchecking et autres désintox est révélatrice de ce point de vue. Nombre d’articles y sont consacrés à assener une vision morale ou idéologique du monde -y compris en matière d’économie- autant qu’à rectifier ou valider des chiffres ou des faits. 

Par leurs formatscourts, par les zones du cerveau sollicitées par la télé ou les vidéos (pas les mêmes que celles consacrées à la lecture profonde et à la concentration qu’on déploie lorsqu’on lit un livre par exemple), par la durée et la qualité d’attention limitée que leurs utilisateurs leurs consacrent (et plus encore sur écran mobile), chaînes d’info en continu et réseaux sociaux se déploient sur le registre de l’émotion. D’autant que les biais cognitifs de confirmation jouent à plein. De nombreuses études scientifiques ont montré qu’en regardant un débat télé, nous avions tous des mécanismes de correction automatique qui nous amènent à la fois à corriger inconsciemment les défauts ou les failles d’argumentation de ceux avec lesquels nous étions a priori d’accord et à mésentendre les raisonnements de ceux avec lesquels nous nous sentons -à l’instinct- en opposition. 

Pour les Français -et sans que cela signifie qu’aucun intérêt ne serait porté au fond, loin de là- les images des Gilets jaunes diffusées en boucle sur les chaînes d’information sont devenues un spectacle hypnotisant. Combien d’entre nous étaient-ils capables de se détourner des images du 1er décembre tant elles étaient sidérantes ? 

L’émotion est donc reine et plus encore dans un contexte historique et politique où la colère, l’exaspération et l’angoisse sur l’avenir sont devenus les principaux moteurs électoraux. Paradoxalement, c’est en sachant remarquablement surfer sur ces éléments qu’Emmanuel Macron est parvenu à se faire élire.

Depuis, il s’est enfermé dans une double posture ravageuse.

Sur le terrain du discours politique, il a surjoué du rationnel tout en démontrant à l’envi à quel point aucun autre avis que le sien ou celui de son cercle le plus proche ne l’intéressait. Le double incendie politique Hulot- Collomb par lequel s’est ouverte la rentrée préfigurait le gigantesque feu de forêt auquel il est désormais confronté. Technocrate brillant mais pétri de certitudes et inlassable avocat de la mondialisation heureuse, il a montré aux corps intermédiaires -jusqu’au parti qu’il a lui-même enfanté- que sa méthode de concertation avant décision n’était que fiction puisque tout était déjà décidé avant et ailleurs. 

Sur le terrain de l’émotionnel, il s’est montré incapable d’empathie autrement qu’à contre temps (en nous demandant de comprendre les erreurs de jeunesse et la fougue d’Alexandre ou en s’affichant enlacé avec des délinquants antillais qu’il nous sommait de bien vouloir reconnaître comme des enfants de la République). Le reste, alimenté à grands coups de petites phrases, n’a été que piétinement du « sacré » de l’imaginaire politique français. Jamais il n’a su montrer qu’il acceptait l’idée quele peuple était aussi capable de porter un diagnostic juste sur sa situation économique et sociale. Dans la start-Up nation où chacun n’est plus que l’auto-entrepreneur de sa propre vie, le mot peuple est d’ailleurs devenu un gros mot. Sa présidence ne consiste plus à gouverner mais à manager. Les Français sont sommés d’être les acteurs principaux de leurs propres destins comme si tout le monde disposait du capital intellectuel, humain et social pour le faire. 

Emmanuel Macron avait su comprendre bien des hypocrisies politiques françaises, celles qui permettaient à une droite et une gauche de maintenir de faux-semblants d’unitémalgré les fractures créées par les thématiques de la mondialisation, de l’immigration, de l’Europe ou de l’atonie structurelle de la croissance. 

Mais il en est une qu’il a prise pour l’hypocrisie qu’elle a longtemps été alors qu’elle ne l’était plus. A force de crier au feu de la paupérisation, de se complaire dans le misérabilisme et dans d’obsessionnelles angoisses identitaires, les représentants traditionnels des catégories populaires ont fini par perdre l’attention des élites. Mais le rouleau compresseur de la mondialisation et des ruptures de concurrence ont produit la fameuse courbe de l’éléphant de BrankoMilanovic qui montre l’impact de l’intégration croissante de l’économie mondiale sur les classes moyennes et populaires occidentales. Tout à l’avénement de ce nouveau monde, à l’intégration de la France dans le start-up univers (souhaitable par ailleurs si elle n’amenait pas à oublier le reste) à ses rencontres avec Rihanna ou avec les patrons des géants du web reçus à Versailles, Emmanuel Macron ne s’est pas rendu compte que la vieille rengaine égalitariste française avait fini par retrouver une forme de réalité incontestable. 

La société de marché qui a accompagné la montée en puissance de l’économie de marché depuis la chute du mur de Berlin a dissous nombre de réseaux naturels de solidarité (familles, amis, syndicats, voisins..). Sous l’influence conjointe de ce modèle économique et d’un libéralisme culturel ayant dissous les identités traditionnelles, les Français sont devenus un peuple largement atomisé et les classes moyennes inférieures ou les catégories populaires se sont souvent retrouvées seules sur leur canapé face à leurs écrans plats ou leurs jeux vidéo payés par des crédits revolving. Avec les réseaux sociaux, un mot qui avait perdu beaucoup de son sens reprend de la vigueur, celui de fraternité. Sur Facebook ou ailleurs, les communautés évoquant leurs conditions de vie et leurs difficultés de fins de mois ont commencé à se constituer bien en amont du mouvement des Gilets jaunes. Mais les tentatives de participatif à la En marche, qui s’adressent si souvent à des gens déjà intégrés dans la société, n’y suffiront pas. 

Comme un ventriloque ou un devin antique, avant son élection comme après, Emmanuel Macron n’a cessé de prononcer les mots qui accouchaient de ce nouveau monde. Le recul nous montre qu’il ne les comprenait pas dans leur entièreté. 

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