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Les « gilets jaunes » sont l’équivalent du vote Trump et du Brexit
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Disraeli Scanner

Lettre de Londres mise en forme par Edouard Husson. Nous recevons régulièrement des textes rédigés par un certain Benjamin Disraeli, homonyme du grand homme politique britannique du XIXè siècle.

Disraeli Scanner

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Benjamin Disraeli (1804-1881), fondateur du parti conservateur britannique moderne, a été Premier Ministre de Sa Majesté en 1868 puis entre 1874 et 1880.  Aussi avons-nous été quelque peu surpris de recevoir, depuis quelques semaines, des "lettres de Londres" signées par un homonyme du grand homme d'Etat.  L'intérêt des informations et des analyses a néanmoins convaincus  l'historien Edouard Husson de publier les textes reçus au moment où se dessine, en France et dans le monde, un nouveau clivage politique, entre "conservateurs" et "libéraux". Peut être suivi aussi sur @Disraeli1874

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Londres, 
Le 3 décembre 2018,

Mon cher ami, 

Rappelons-nous en 2005: une majorité de votants exprimaient, chez vous, leur refus du Traité Constitutionnel Européen. Qu’à cela ne tienne ! Nicolas Sarkozy, candidat à la présidence de la République, promit à la Chancelière allemande qu’il apporterait une solution une fois élu. Ce fut le Traité de Lisbonne, véritable déni de démocratie, dont on peut dire qu’il a tué le sarkozysme à peine celui-ci était-il installé au pouvoir. Au lieu d’avoir les mains libres pour lutter contre la crise, en 2008-2010, le président français fut contraint, d’un bout à l’autre, par les engagements européens de votre pays. 2008, la crise financière puis monétaire, la nécessité de voler au secours de la Grèce, tout cela  aurait dû amener la France à reprendre, sans brutalité, sa liberté. Mais à chaque fois que cette grande Libératrice qu’est l’Histoire passe avec sa clé pour défaire les chaînes du forçat français, celui-ci refuse, il demande à rester enchaîné à son banc de galérien. Récemment, le galérien a été pris de logorrhée, il a commencé à expliquer à la cantonnade qu’il aimait tellement sa captivité qu’il souhaitait un renforcement du régime de contrainte qu’on impose à lui et à ses camarades.......

Je me demande souvent, mon cher ami, d’où vient l’incapacité de vos dirigeants à jouer leur rôle. A quoi reconnaît-on un Français dans une réunion internationale? Ce n’est plus à son mauvais anglais, cette époque est passée. C’est le seul qui dit du mal de son propre pays. Il n’y a qu’Emmanuel Macron pour parler des « Gaulois réfractaires » depuis le Danemark ou pour inventer un prétendu rapport difficile aux règles des Français quand il parle devant le Bundestag ! Si votre président avait fait cette expérience très simple - à vrai dire très dangereuse - de rester sur la file de gauche d’une autoroute allemande, où la vitesse n’est pas limitée, il aurait vu que le respect allemand des règles est bien fragile: le conducteur du bolide auquel vous ne cédez pas le passage vous doublera par la droite plutôt que d’attendre. Il n’y a que vos dirigeants pour étaler les problèmes de votre pays à l’étranger. Emmanuel Macron a poussé cette tendance à son paroxysme, encouragé perfidement par tous ceux qui se disent qu’il y a toujours à profiter d’une classe dirigeante qui est prête à soumettre son peuple à des intérêts qui ne sont pas les siens. Et voilà que le peuple concerné se rappelle au bon souvenir des gouvernants méprisants ! 

Fascinant pays que le vôtre! A vrai dire le rapport de vos dirigeants au réel est plus complexe encore. Ils ont tous la tête bien faite: et il arrive qu’ils appliquent leur belle mécanique cérébrale au réel. C’est Giscard anticipant sur le monde libéral qui arrivait; c’est Sarkozy posant les jalons d’un conservatisme à la française. Et puis, le goût pour le réel retombe. Le parti de ceux qui pensent a priori finit par imposer le maintien des mauvaises habitudes. C’est Mitterrand arrivant au pouvoir avec toutes les vieilles lunes socialistes. C’est Macron qui se fait le chantre d’un néolibéralisme moribond. Au fond, on comprend bien ce qui se passe: votre système de formation insuffle aux plus brillants de vos diplômés un coupable orgueil de l’intelligence. Pendant longtemps, le catholicisme compensait cet orgueil de l’esprit par une véritable humilité devant le réel. Aujourd’hui, ce frein n’existe pratiquement plus. Plus rien ne s’oppose aux emballements d’une intelligence qui s’extasie devant elle-même, stimulée par cette grande société d’encensement mutuel que sont les cénacles internationaux. Ah! La fiscalité au service de l’environnement ! Quelle belle cause ! Jusqu’à ce que des familles étouffées par le carcan monétaire et fiscal, une France qui ne roule pas en trotinette dans des espaces métropolitains confinés, se rappellent au bon souvenir de Paris. 

« Tous les chemins mènent à Rome! » disait-on dans l’Antiquité. Chez vous, toutes les crises se nouent et se dénouent à Paris. Il est particulièrement impressionnant d’observer, depuis l’autre côté de la Manche, la convergence des révoltes: depuis deux samedis, on a vu converger à Paris les hérauts de la France périphérique, les jeunes révoltés des banlieues et les professionnels de l’anarchisme. C’est leur rassemblement en un seul lieu qui rend votre gouvernement, tout d’un coup, si fragile. L’hyperrationalité  des diplômés de l’ENA se retrouve face à la conjonction des irrationalités. Le réel trop longtemps bafoué vient s’imposer violemment sous les fenêtres de ceux qui vivent depuis des décennies dans le déni de réalité. Au fond, vos « gilets jaunes », c’est l’équivalent du vote en faveur de Trump et du référendum sur le Brexit. Et l’on voit bien comment, ailleurs qu’en France, les dirigeants de l’ère néolibérale essaient aussi de refuser le réel, de toutes leurs forces. Mais il est une grande différence: un populiste a su se faire élire par le grand parti de droite américain; le Parlement britannique digère, non sans crampes d’estomac, le Brexit. Alors que chez vous Jean Lassalle est soumis à une amende pour avoir porté un gilet jaune à l’assemblée ! Vos élites ont si peu d’instinct politique profond que même au bord du gouffre elles ont du mal à accepter le réel. 

Ce sera long et douloureux. Votre pays va connaître bien des soubresauts. Ne croyez pas que je m’en réjouisse. Le monde a besoin d’une France stable et qui rayonne. Je souhaite à votre pays de retrouver sans trop attendre une forme d’équilibre. 

Bien fidèlement à vous

Benjamin Disraëli

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