Et la France se retrouva sur le feu de deux fronts en même temps : les Gilets Jaunes d’un côté et les extrémistes violents de l’autre<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
France
Et la France se retrouva sur le feu de deux fronts en même temps : les Gilets Jaunes d’un côté et les extrémistes violents de l’autre
©GUILLAUME SOUVANT / AFP

Manifestants et casseurs

Les Gilets jaunes menaient ce samedi 1er décembre une troisième journée de mobilisation. L'affluence fut moindre que lors des weekends précédents, mais la mobilisation reste forte en province. A Paris, la journée a été marquée par de violents affrontements.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

Voir la bio »

Atlantico : Samedi 1er décembre, les Gilets jaunes menaient leur troisième journée de mobilisation. Il semble qu’elle ait été moins suivie que les deux précédentes, que peut-on en dire ?

Christophe Boutin : C’était donc hier samedi 1er décembre la troisième journée de mobilisation spécifique pour les “Gilets Jaunes” – spécifique car ils restent mobilisés autour d’actions ponctuelles durant la semaine -, et la deuxième manifestation prévue pour se dérouler au moins partiellement à Paris après celle du 24 octobre.

À 13h, on comptait selon le ministère de l’Intérieur 5.500 manifestants à Paris et 75.000 personnes sur toute la France, quand, selon le même ministère, les “Gilets Jaunes” avaient rassemblé 282.000 personnes le 17 octobre et 106.000, dont 8.000 à Paris, le 24. Nous n’aurions donc le 1er décembre que le quart des manifestants de France du 17, et si la baisse semble limitée pour les manifestants présents à Paris, on peut se demander si ces chiffres n’agrègent pas de manière fautive les “Gilets Jaunes” et des casseurs qui n’ont rien à voir avec ce mouvement… et tout avec l’ultra-gauche.

De fait, les premiers chiffres donnés dans les médias samedi matin montraient la faiblesse du nombre de “Gilets Jaunes” présents pour tenter de passer de la place de l’Étoile à l’avenue des Champs-Élysées sur laquelle ils avaient manifesté le 24 : 200 personnes seulement, ce dont se désolaient d’ailleurs les militants présents, 200 personnes qui n’arriveront pas à passer les barrages filtrants mis en place en direction des Champs.

Trois éléments peuvent expliquer la faiblesse de ce chiffre. Le premier est la difficulté pour venir à paris de “Gilets Jaunes” dont les revenus sont très faibles, comme l’influence de leur détestation d’une capitale honnie. Le second est, y compris pour les “Gilets Jaunes” parisiens qui auraient eu envie de manifester, la crainte des heurts avec les forces de l’ordre, mais aussi avec des casseurs qui avaient été particulièrement mal maîtrisés le 24 et pouvaient donc s’être enhardis entretemps. Le troisième est que les “Gilets Jaunes” semblent avoir hésité à se concentrer en direction des Champs et que des groupes de quelques dizaines d’individus ont été vus dans divers autres points de Paris.

Essoufflement du mouvement ? Partiellement peut-être, mais en constatant aussi que le nombre d’actions locales reste important, et en n’oubliant pas que l’on en est à la troisième semaine d’actions, comme le fait qu’il y a un roulement dans les équipes présentes sur le terrain. Et l’on a certainement dans cette baisse lors des actions symboliques centralisées une conséquence de la faible coordination interne aux “Gilets Jaunes”, un mouvement qui fait justement fond au contraire sur sa structure éclatée et son fonctionnement en réseaux.

La journée du 1er décembre aura été la plus marqué par des actions violentes, qui avaient fait leur apparition lors de la première manifestation parisienne du 24 novembre. Quel rapport entre les “Gilets Jaunes” et ces violences ?

Les craintes des “Gilets Jaunes” de voir, comme le 24, des casseurs se mêler à leur mouvement étaient plus que fondées, car dès le début de la matinée arrivent à l’Étoile des groupes de casseurs nettement plus nombreux que leurs propres représentants : 1.500 selon le ministère de l’Intérieur à 11 heures, quand, à 14 heures Laurent Nunez, le secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Intérieur, parlera lui de 3.000 casseurs à l'Étoile.

Or il devait y avoir entre 4 et 5.000 hommes des forces de l’ordre spécialement mobilisés, trop peu donc, en tenant compte de leurs missions de sécurisation de certaines zones, pour faire face de manière efficace à 2 à 3.000 casseurs jeunes, rapides et visiblement entraînés. À partir de l’Étoile les groupes de casseurs s’attaquent donc aux rues et avenues adjacentes, se dispersant puis se regroupant sur un point précis, rendant plus difficile la tâche des policiers. Rue Washington, avenues Pierre 1er de Serbie, de la Grande Armée, Foch, Kléber ou Raymond Poincaré c’est le même scénario : des voitures sont incendiées, des magasins et agences bancaires pillés, on dresse de petites barricades, quand, un peu plus loin le Printemps Haussmann et les Galeries Lafayette sont évacués, et vers 18 h il y avait des feux sur la place de la Concorde et à côté du Jeu de Paume.

Les forces de l’ordre ont réagi et, à 20h, la préfecture de police faisait état de 270 arrestations (il y en avait eu 103 le 24 novembre) et de 110 blessés, dont 17 parmi les forces de l'ordre. Mais réagi contre qui ? « Ce sont des casseurs – déclarera à 14 h Laurent Nunez - et uniquement des casseurs, ce ne sont pas des “Gilets Jaunes”. » Il évoquera le soir « des individus casqués, armés, hostiles aux forces de l’ordre, mais aussi à nos Institutions, aux symboles de la République ». Et de fait, à la mi-journée, Christophe Castaner ne mentionnera ni les “Gilets Jaunes” ni cette trop fameuse « ultradroite » qu’il voyait partout à la manœuvre la semaine dernière, se servant de sa prétendue collusion avec les “Gilets Jaunes” pour tenter de discréditer le mouvement.

Les deux groupes, “Gilets Jaunes” et casseurs, se sont donc partiellement côtoyés et parfois même opposés, quand, par exemple, sous l’Arc de triomphe, des “Gilets Jaunes” entonnent La Marseillaise et protègent la flamme du Soldat inconnu des casseurs. « Les gilets jaunes triompheront » est certes tagué sur un pied de l’Arc, mais apparaîtront ensuite sur le même monument de nombreux tags anarchistes. « Au risque d’être vieux jeu, j’ai été choqué par les images portant atteinte aux symboles de la République » déclarera Édouard Philippe, dont on peut penser qu’il évoquait plus les casseurs que les “Gilets Jaunes”.

En fait, le seul à continuer à voir dans les casseurs des membres des “Gilets Jaunes” était samedi soir… Emmanuel Macron qui, de Buenos-Aires, déclarait : « Les coupables de ces violences ne veulent pas de changement, ils veulent le chaos. Ils trahissent les causes qu'ils prétendent servir. Ils seront identifiés et poursuivis ». Effet du décalage horaire sans doute.

Devant ces scènes de violence, qui fragilisent le pouvoir d’un Emmanuel Macron qui est au plus bas dans les sondages, quelles ont été les réactions des politiques qui s’opposent à lui ?

À droite, on commence par rappeler la distinction entre les “Gilets Jaunes” et les casseurs. Marine Le Pen, félicite ainsi des “Gilets Jaunes” d’avoir protégé la tombe su Soldat inconnu, les Républicains « condamnent avec la plus extrême fermeté les vandales qui revêtent un faux gilet jaune », et Nicolas Dupont-Aignan (DLF) déclare que « c'est le gouvernement qui laisse faire les casseurs systématiquement tous les samedis pour discréditer un mouvement populaire », réclamant la démission de Christophe Castaner.

Mais la seconde réaction des politiques, de droite et de gauche, est ensuite de surfer sur ce qu’ils estiment être une trop grande perte de légitimité politique du chef de l’État, en proposant des moyens pour redonner au peuple souverain une expression directe.

Marine Le Pen se contente de demander au président de la République de « recevoir les chefs de partis politiques d’opposition, au premier rang desquels le Rassemblement national, dès son retour d’Argentine ». Mais Laurent Wauquiez (LR) demande lui un référendum « sur l'ensemble des mesures qui ont été mises en place par le président de la République, dont les hausses de taxe », au motif, notamment, que « ce n'était pas dans son programme ».

À gauche, pour Jean-Luc Mélenchon (LFI), si « le pouvoir veut un grave incident pour jouer la peur » -, il ne dénonce pas clairement, et pour cause,  des casseurs dont un nombre non négligeable sont issus de l’extrême-gauche. Il se félicite de voir monter « une révolution populaire, citoyenne » et s’interroge sur la re-légitimation démocratique d’Emmanuel Macron, mais propose lui de dissoudre l’Assemblée nationale et de convoquer les électeurs, annonçant le dépôt d’une motion de censure.

Trois solutions donc de re-légitimation politique : la table ronde avec l’opposition, le référendum, la dissolution et ses conséquences électorales, avec, dans tous les cas le report des mesures concernant les carburants. À cela le gouvernement le gouvernement entend répondre par le maintien de ses choix budgétaires, la réaffirmation de sa légitimité, et en engageant le débat ni avec l’opposition, ni avec le peuple, mais avec les “Gilets Jaunes” eux-mêmes. Comme le déclarait en effet Benjamin Grivaux : « Il s'agit d'abord d'entendre les demandes qui sont très différentes, parfois d'un “Gilets Jaunes” à un autre (...) On a décidé de les traiter dans le cadre des conférences territoriales », cette période de concertation de trois mois annoncée par Emmanuel Macron.

En fonction de ces différents éléments, quels sont les choix possibles pour le gouvernement face au mouvement des Gilets jaunes ?

Depuis le début du mouvement de contestation, le gouvernement et son ministre de l’Intérieur, ont utilisé plusieurs armes : la peur, le discrédit, la culpabilisation et la division. La peur devait empêcher les “Gilets Jaunes” de mener leurs actions, avec des annonces régulières - et répétées localement par les préfets - des amendes qu’ils encouraient et des sanctions qui seraient systématiquement prises contre ceux d’entre eux qui bloqueraient la France. Cela n’a pas empêché l’ampleur de la manifestation du 17. Le discrédit ensuite : les “Gilets Jaunes” étaient soit des ploucs demeurés pour certains membres du gouvernement, soit des fascistes en chemises brunes pour d’autres, et parfois les deux. Las, cette tactique ne porta pas plus ses fruits puisqu’on en était arrivé à un soutien du mouvement par 85% des Français selon le dernier sondage avant le 1er décembre, un chiffre rarement atteint !

On avait déjà essayé une opération de culpabilisation portant sur deux éléments, la sécurité et l’économie, elle devrait se renforcer après l’échec de la peur et du discrédit. Sur le plan de la sécurité, on dira que les manifestations créent un climat qui favorise les actions des casseurs – mais sans plus faire de ces derniers des membres des “Gilets Jaunes” -, que les forces de l’ordre, employées dans leur quasi-totalité le 1er décembre selon Castaner, sont au bord du burn-out, et que la sécurité de tous les Français est donc menacée. Sur celui de l’économie, on choisira de montrer sur les écrans de petits commerçants – et non des représentants de la grande distribution – qui craignent, et à juste titre d’ailleurs, de voir leur chiffre d’affaire des fêtes de fin d’année, essentiel à leur survie, lourdement pénalisé. Mais si ce dernier point pourrait effectivement inciter les “Gilets Jaunes” à mieux sérier leurs actions, il n’est pas évident qu’il les conduise à les abandonner.

Division enfin. Le gouvernement tente d’abord de nouer le contact avec le mouvement, ce qui est délicat puisque celui-ci se veut auto-organisé, en réseau et sans verticalités, et si l’on réussit à trouver deux porte-paroles c’est bien tout, ces derniers ayant clairement annoncé qu’ils n’étaient en rien autorisés à négocier au nom du mouvement. Pas question donc de couper de leur base des leaders qui n’existent pas – on est loin du dialogue syndical. La solution serait alors de fractionner les “Gilets Jaunes” en sous-groupes régionaux et de négocier séparément avec ces divers sous-groupes – le fameux plan de concertation de trois semaines. À l’issue le gouvernement espère certainement montrer l’incohérence de certaines revendications, ce qui serait une nouvelle manière de discréditer le mouvement, et, selon la formule bien connue, « diviser pour régner ». Mais il n’est pas dit que cela fonctionne… Attendons-nous à d’autres surprises !

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !