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Gilets jaunes : l’heure de traiter les Français en adultes est venue
©IROZ GAIZKA / AFP

Colère froide

Il y a plus de trente ans, un journaliste, dans une formule restée célèbre, nous disait : « la France a peur ». Aujourd’hui, en fait de peur, le sentiment dominant chez les français est l’exaspération.

Les Arvernes

Les Arvernes

Les Arvernes sont un groupe de hauts fonctionnaires, de professeurs, d’essayistes et d’entrepreneurs. Ils ont vocation à intervenir régulièrement, désormais, dans le débat public.

Composé de personnalités préférant rester anonymes, ce groupe se veut l'équivalent de droite aux Gracques qui s'étaient lancés lors de la campagne présidentielle de 2007 en signant un appel à une alliance PS-UDF. Les Arvernes, eux, souhaitent agir contre le déni de réalité dans lequel s'enferment trop souvent les élites françaises.

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L’épisode des gilets jaunes, spontané, effectué sans les corps intermédiaires est un signe de plus d’une profonde colère, que l’on aurait tort de sous-estimer.

Disons-le tout net : ce qu’il faut bien qualifier d’un sentiment de « ras-le-bol », en l’occurrence nourri par une pression fiscale excessive, n’a rien de nouveau. En 1999, Laurent Fabius, alors que le gouvernement Jospin était au sommet d’une véritable bulle destinée à éclater brutalement le 21 avril 2002, prévenait que les impôts pourraient faire perdre la gauche. Dans les années 1970, le Président Pompidou, écrasé par des parapheurs charriant une multitude de décrets à signer, s’était exclamé « arrêtez donc d’emmerder les français ! ». Plus loin encore, dans un genre plus littéraire, Alexis de Tocqueville décrivait les français comme un peuple dont ses maîtres se méfient soit trop, soit pas assez…

Dire que le pire est à venir en matière de fiscalité est sans doute juste mais insuffisant. Juste, parce qu’avec près de 100% de dette publique, une remontée inéluctable des taux d’intérêt, et surtout un gouvernement qui comme ses prédécesseurs a méthodiquement évité de traiter le principal problème économique de notre pays, à savoir l’excès de dépense publique, tout indique que les français payeront plus d’impôts encore, et que ce qui sera éventuellement donné d’une main (taxe d’habitation), sera plus que repris d’une autre. Eurostat vient d’ailleurs de confirmer que la France est le pays d’Europe où les impôts sont les plus élevés. Insuffisant, car ce serait faire l’impasse sur la manière dont la France est dirigée depuis 2017 : de manière désastreuse.

Désastreuse, car la politique menée est fondamentalement une politique « à la petite semaine ». Les thuriféraires de Jupiter auraient dû s’en rendre compte très tôt, puisque dès juillet 2017, le ton était donné avec la réduction de 5 euros des APL. Depuis, pas une semaine ou presque sans que les Pouvoirs publics n’ajoutent, deçà-delà, telle ou telle mesure vexatoire. Parmi celles qui s’annoncent, une nouvelle hausse des prix du tabac de 1 euro à compter mars 2019, pour atteindre 10 euros le paquet en 2020, dont chacun comprend que, derrière des objectifs affichés de santé publique, se cache la réalité plus prosaïque d’un Etat impécunieux trop heureux de taxer les fumeurs.

Désastreuse, car si certains se sont félicités d’avoir un « pro » à la tête de l’Etat, oubliant qu’Emmanuel Macron est de ceux qui ont utilisé l’ENA comme une business school et n’a en réalité pas grand-chose de l’éthique qui est encore celle de beaucoup de  hauts fonctionnaires – qu’il s’apprête d’ailleurs à morigéner le 12 décembre - il faut bien constater que les couacs succèdent aux couacs, et qu’en fait de professionnalisme, ni l’exécutif ni le législatif ne sont au niveau des ambitions annoncées et des espérances initiales. Exemple parmi tant d’autres, le traitement ubuesque du sujet huile de palme, véritable marronnier des taxes dont le dernier épisode s’est déroulé au Sénat. Avec là encore pour objectif inavoué car inavouable : combler tant bien que mal le vide des comptes publics.

Ce sujet a d’ailleurs viré à la farce gouvernementale, en octobre dernier lorsqu’Emmanuelle Wargon était nommé Secrétaire d'État en charge de la Transition écologique et solidaire, soulevant ainsi la colère des ONG écologistes, pour avoir osé évoquer l’utilité de l'huile de palme dans la composition des aliments pour nourrissons. Dans la foulée, le Gouvernement présentait sa stratégie visant à lutter contre la déforestation importée, visant principalement le soja et l'huile de palme, toujours elle. Or, l’Assemblée Nationale, en plein débat sur le Projet de Loi de Finances, adoptait deux jours plus tard un amendement visant à bannir l’huile palme comme source des biocarburants…contre l’avis du Gouvernement 

Désastreuse, car au fond, elle est une politique de stigmatisation. Comme dans les contes, les gentils Pouvoirs publics défendent les bons citoyens contre les méchants citoyens. Par bons citoyens, il faut entendre ceux qui habitent les métropoles hyper connectées, mangent bio, ont troqué le vélib – devenu ringard avant de disparaître – par la trottinette, roulent en Tesla etc. Les mauvais citoyens, eux, pour reprendre l’expression de Monsieur Castaner – bien incapable d’empêcher les gilets jaunes d’arriver rue du Faubourg st Honoré – sont ceux qui fument des cigarettes, ont le malheur d’avoir écouté les Pouvoirs publics quand ceux-ci leur conseillaient de rouler en diesel. Ce sont ceux qui ont l’outrecuidance, ne prenant pas le périphérique, d’estimer qu’on pourrait à bon droit rouler à 90 km/ heure sur les routes de campagne pour se rendre à son travail. Ceux qui consomment de la pâte à tartiner ou des produits contenant de l’huile de palme. Ceux, obscurantistes parmi les obscurantistes, qui ne comprennent pas que l’Union européenne est le phare du monde et qu’en attendre des résultats, la critiquer pour ses faiblesses, c’est préparer l’avènement d’un nouveau Moyen-âge.

Désastreuse, enfin, car elle blesse ce qui fait le sel des politiques publiques : la conciliation difficile et nécessaire d’objectifs qui sont parfois contradictoires. L’on aurait attendu que la « pensée complexe » de Jupiter se trouvât à l’aise face à ces contradictions. C’est plutôt le contraire auquel on assiste. En ce qui concerne l’huile de palme évoquée supra, exemple parmi d’autres, il aurait été souhaitable d’avoir un débat qui ne fasse pas l’impasse sur la complexité du sujet et sur le fait que beaucoup d’alternatives, comme le colza, sont moins efficaces et ont des effets plus destructeurs sur l’environnement. A ce titre, des organismes tels le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) ont confirmé que l'huile de palme utilise moins de terre, moins de pesticides et moins d'engrais que toute autre culture.

Un tel débat aurait montré que tous les pays ne la produisent pas de la même manière et que certains font preuve de responsabilité, comme c'est le cas de la Malaisie, dont le produit est certifié par des organismes internationaux et nationaux. Il aurait rappelé que l’importance de ce sujet pour certains partenaires de la France est telle que son traitement à l’emporte-pièce risque d’avoir des répercussions sur d’autres aspects de nos relations économiques et les futurs échanges, avec des pays tels que l’Indonésie ou la Malaisie. Enfin, si la protection de la forêt – objectif affiché par le gouvernement – s’entend, elle répond à une approche globale qui doit associer plutôt qu’opposer stérilement tous les acteurs, depuis les producteurs, jusqu’aux consommateurs, Etats, et organisations internationales concernées.

De tout ceci une conclusion s’impose : il est urgent de cesser de prendre les français pour des niais ou des enfants, et de mener des politiques conçues par le petit bout de la lorgnette. Et ce n’est certainement pas la création d’un énième comité Théodule ou de rencontres citoyennes qui viendra apaiser les français qui « roulent en diesel et fument des clopes » : si l’on ajoute l’augmentation du prix du tabac et celle du diesel, il s’agit rien moins que de l’ordre de 1500 euros de plus prélevés dans leur porte-monnaie chaque année, à l’issue de ce quinquennat…

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