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Tous aux abris ? Quand le vice-chancelier allemand saisit la balle du partage du siège de la France à l’ONU au bond
©JOHN MOORE / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Tout ce qui est à toi est à moi... pour l’inverse on ne sait pas

Mercredi 28 novembre, à l'occasion d'un discours sur l'avenir de l'Europe tenu à Berlin, le ministre des finances et vice-chancelier allemand Olaf Scholz a exprimé son souhait que le siège permanent de la France au Conseil de sécurité de l'ONU devienne un siège européen.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico: Le ministre des finances et vice-chancelier allemand Olaf Scholz a déclaré "Si nous prenons l'Union européenne au sérieux, l'UE devrait également parler d'une seule voix au sein du Conseil de sécurité des Nations unies (...) À moyen terme, le siège de la France pourrait être transformé en siège de l'UE". Comment expliquer ce positionnement allemand et que révèle-t-il des ambitions du pays ? 

Edouard Husson: Il y a quelques semaines, c’était l’ambassadeur allemand à l’ONU qui réclamait la mise à disposition par la France de son son siège au Conseil de Sécurité. A présent c’est le vice-chancelier du gouvernement allemand. L’Allemagne fait monter la pression pour obtenir quelque chose qu’elle n’obtiendra plus jamais si elle ne l’obtient pas maintenant. A vrai dire, il y a très peu de chances qu’elle l’obtienne car la Charte des Nations-Unies ne reconnaît que les Etats; or l’UE n’est pas un Etat au sens plein du terme; il faudrait réécrire les textes onusiens.  Il est d’autant plus intéressant de se demander pourquoi Berlin essaie de forcer le destin de la sorte.

Héritière du pays qui a plongé le monde dans la plus atroce guerre de l’histoire, l’Allemagne Fédérale a d’abord dû rendre son honneur au nom allemand: elle s’est affirmée comme l’élève modèle de la classe transatlantique; elle a vu dans la réconciliation allemande le chemin d’un retour à l’égalité parmi les nations. L’Allemagne Fédérale (Allemagne de l’Ouest jusqu’en 1989) a eu l’attitude inverse de la République de Weimar: elle a reconnu sa défaite et fait des efforts pour être réintégrée parmi les nations. Néanmoins, le pays n’est jamais, dans les domaines de la défense et de la diplomatie, entré dans ce club par définition fermé qu’est le groupe des puissances victorieuses des deux guerres mondiales, les pays qui ont un siège permanent au Conseil de Sécurité. L’Allemagne n’est pas non plus, à l’issue du traité de réunification de 1990, autorisée à posséder l’arme nucléaire. Comme les dirigeants allemands ne sont pas menacés par le complexe de Poulidor (se contenter de la deuxième place), ils essaient d’obtenir autrement ce qui leur est jusqu’ici inaccessible: la capacité à parler d’égal à égal avec les Etats-Unis.

D’où cette offensive soudaine: jamais depuis longtemps un président français n’avait à ce point réaffirmé l’importance du partenariat franco-allemand et de l’Europe; or on ne veut pas lui donner ce qu’il demande, un budget et un gouvernement économique de la zone euro; donc on lui propose d’aller sur le terrain de la diplomatie et de la défense. Et on retourne la position française de façon magistrale. Au fond, il y a une perception aiguë de la vulnérabilité d’un président français largement inexpérimenté en matière de politique étrangère et dont l’engagement européen est de l’ordre de la croyance, sans aucune prudence politique. Le grand tort des Français c’est de sous-estimer les capacités manoeuvrières des Allemands sous prétexte qu’ils sont directs. Pourtant, depuis Bismarck, nous devrions être vaccinés. 


Que révèle-t-il de la perception allemande de la position politique actuelle de la France ? En quoi une telle demande pourrait révéler une perception de faiblesse de la part de Paris ?

Il y a toujours eu chez les dirigeants allemands, depuis 1945/49, l’idée d’inverser, cette fois-ci par la diplomatie et non plus par la guerre, le désastre causé par l’emballement mimétique à la suite d’Hitler. Cela s’accompagne d’une grande persévérance. Rappelons-nous comme Helmut Kohl, aussi européen fût-il, a imposé en quelques mois la réunification; rappelons-nous comment ce Rhénan en apparence débonnaire a couvert la destruction de la Yougoslavie et l’humiliation de la Serbie, ce petit pays qui avait eu l’impudence de tenir tête par deux fois aux empires allemands. Regardez comme la Russie est tenue à l’écart de l’Europe par la politique d’Angela Merkel; avec quelle persévérance on a fait en sorte de maintenir la Grande-Bretagne dans le marché unique. J’admire ce patriotisme allemand, tourné vers l’action et les résultats - bien loin des envolées lyriques de nos gouvernants successifs! Il n’y a que les dirigeants français, Emmanuel Macron en tête, pour croire que le plaidoyer en faveur d’une Europe postnationale, fréquent en Allemagne, signifie, pour l’Allemagne l’opposition de la souveraineté allemande à la souveraineté européenne et l’abandon de la première au profit de la seconde.  Le “postnational” n’a jamais été autre chose pour les dirigeants de la RFA qu’un moyen de continuer la politique nationale par d’autres chemins. Comme disait Bismarck, que nos politiques ne lisent pas assez: “Je n’ai jamais entendu le mot Europe que dans la bouche des dirigeants qui n’osent pas avancer leurs intérêts nationaux directement”; précisément, la RFA, héritière du désastreux Reich hitlérien a toujours fait attention à ne pas faire peur à ses voisins. 

Mettons-nous à la place de nos amis allemands: Emmanuel Macron demande la transformation de la zone euro; il ne l’obtient pas; mais, pour autant, il continue à demander; au lieu de battre froid la Chancelière et son gouvernement. Imaginons que nos dirigeants aient le même sens aigu des intérêts du pays que les Allemands; n’auraient-ils pas envie d’exploiter un sentimentalisme du partenaire qui confine à la naïveté? A vrai dire, la proposition de Scholz sonne comme une forme d’indiscrétion sur des discussions franco-allemandes déjà en cours; et où ce sont les Français qui font des propositions aussi absurdes que de réserver à notre pays le poste de représentant de l’UE auprès de l’ONU. Ce serait évidemment oublié dès la deuxième nomination puisque les autres membres de l’Union refuseraient que la France ait un tel monopole! 

Je ne demande pas que l’on saute comme un cabri sur sa chaise en répétant “De Gaulle! De Gaulle!”. Mais qu’on négocie, tout simplement. En quoi Emmanuel Macron a-t-il fait sentir à ses interlocuteurs allemands qu’ils perdaient beaucoup en n’acceptant pas son plan pour la réforme de la zone euro? A-t-il constitué une nouvelle coalition des forces, favorable à la politique française, parmi les membres de l’UE? A-t-il tendu la main à la Grande-Bretagne pour montrer aux Allemands qu’il y avait un partenariat économique et diplomatique alternatif si Berlin (et Francfort) s’obstinent dans une absence de politique active de taux de change? A-t-il demandé au gouvernement allemand de rendre des comptes pour le non-contrôle des terroristes arrivés par l’Allemagne en septembre/octobre 2015 pour ensuite frapper le territoire français? S’est-il rapproché des Etats-Unis et de la Russie? A-t-il bloqué des nominations d’Allemands à des postes de responsabilité au sein des institutions de l’UE?  Ce sont quelques exemples dans un éventail de mesures possibles qui auraient permis de se faire respecter. Et d’obtenir une réforme de l’Europe. Au lieu de cela on laisse les Allemands refuser tout compromis et même faire monter les enchères (siège permanent à l’ONU; accès allemand à l’arme atomique française) 

Ne peut-on pas également y voir une demande paradoxale dans le sens où Angela Merkel est politiquement affaiblie dans son pays ?

Cela va plus loin que le simple affaiblissement de la Chancelière. C’est tout le système de pouvoir allemand qui est en train de se morceler. Comme aime à la dire Christian Lindner, président du FDP, le prochain chancelier n’aura pas d’autre choix que d’être un chef de gouvernement respectant les règles de la collégialité. Angela Merkel aura été la dernière à pouvoir bénéficier d’un tel pouvoir à la tête d’une Allemagne à ce point unifiée. Mais sa politique (sortie du nucléaire civil, encouragement d’une immigration massive) a profondément divisé le pays: est contre ouest; nord contre sud. Jamais les partis politiques n’ont été à ce point nombreux (Gauche, elle-même en train de se scinder avec l’apparition d’Aufstehen; Verts qui font jeu égal avec le SPD; CDU-CSU, Libéraux, AfD pour occuper le champ à droite). Il y aurait un paradoxe à partager avec l’Allemagne ou l’UE notre siège au Conseil de sécurité au moment où jamais l’Allemagne n’a été au fond, plus dénuée de vision diplomatique globale. Mais il est vrai que cette politique allemande protéiforme compense par le placement de ses ressortissants dans les institutions européennes ce qu’elle perd en morcellement interne. Et l’on peut bien imaginer des voix multiples réclamant, qui depuis la Commission, qui depuis le Parlement Européen, qui depuis le Conseil, une mutualisation du siège permanent de la France au Conseil de sécurité.

Cependant, vous mesurez l’absence de vision allemande véritable - et donc l’impardonnable dilettantisme français - au fait que nos partenaires n’osent pas demander au reste du monde la création pour eux ou pour l’UE d’un siège permanent supplémentaire; ils veulent priver la France de ce qu’elle a déjà et non obtenir plus du reste du monde. L’Allemagne est, globalement, une grande puissance européenne, non une puissance d’envergure mondiale comme la France et la Grande-Bretagne le sont encore militairement, politiquement, économiquement, géographiquement - à condition de le vouloir. Olaf Scholz essaie d’obtenir pour son pays un strapontin permanent au Conseil de sécurité. C’est malin; mais cela va contre les intérêts de la France et, profondément, de l’Europe.  La France devrait ne pas vouloir plus brader son siège permanent que l’Allemagne ne veut abandonner son modèle monétaire. 

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