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Fraudes à la fertilité : les personnes conçues par erreur lors de procédures de fécondation in vitro attaquent en justice
©JOSEPH EID / AFP

Fraude In Vitro

Aux Etats-Unis, de nombreuses personnes considérées comme conçues par erreur lors de fécondations in vitro s'en prennent aux docteurs et autres responsables.

Ludovine  de La Rochère

Ludovine de La Rochère

Ludovine de la Rochère est présidente du Syndicat de la famille (anciennement «la Manif pour tous»).

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Aude Mirkovic

Aude Mirkovic

Aude Mirkovic est maître de conférences en droit privé, porte-parole de l'association Juristes pour l'enfance et auteur de PMA, GPA, quel respect pour les droits de l’enfant ?, ed. Téqui, 2016. Son dernier livre "En rouge et noir" est paru aux éditions Scholæ en 2017.

"En rouge et noir" de Aude Mirkovic

 
 
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Atlantico : Aux Etats-Unis, de nombreuses personnes considérées comme conçues par erreur s'en prennent aux docteurs et autres responsables. En quoi ces situations sont des casses-tête d'un point de vue judiciaire ?

Précision : Ce qui est appelée ici "erreur" relève soit de la fraude, lorsque la FIV est opérée volontairement avec le sperme de la mauvaise personne (celui du Dr Cline dans le procès en question aux USA, qui a inséminé une cinquantaine de femmes avec son propre sperme), soit de l'erreur industrielle. Source (Washington Post)

Aude Mirkovic : Il s’agit de personnes nées par PMA et qui découvrent un beau jour qu’elles sont issues d’une erreur commise au cours du processus de PMA : soit une erreur « volontaire », lorsque le médecin a utilisé son propre sperme, soit une erreur involontaire lorsque les éprouvettes de sperme ont été confondues et que la femme a été inséminée par un autre homme que son conjoint ou concubin. 

Il faudrait pouvoir préciser la législation de chacun des Etats américains concernés pour évaluer chaque cas. Au regard de la loi française, de telles situations sont sans doute de véritables drames humains mais, d’un point de vue juridique, il y a une réponse. S’agissant d’une PMA voulue à l’origine sans donneur, la filiation des enfants est établie selon le droit commun : présomption de paternité dans le mariage, reconnaissance de paternité hors mariage ou même action en recherche de paternité si le père néglige de reconnaitre l’enfant. La filiation peut alors être contestée également selon le droit commun si elle est mensongère, c’est-à-dire si elle ne correspond pas à la réalité biologique. La seule condition pour exercer une telle action en contestation est la prescription. Ensuite, un test de paternité suffira à prouver que la paternité du mari ou du concubin de la mère ne correspond pas à la réalité. Notons qu’une telle contestation n’est pas une obligation : si les intéressés se satisfont de la situation et que nul ne conteste la filiation établie, elle demeurera. 
Se pose ensuite la question d’une éventuelle paternité du médecin lorsqu’il a utilisé son propre sperme, ou de l’homme dont proviennent les gamètes en cas d’erreur d’éprouvette. En principe, la loi prévoit qu’aucun lien de filiation ne peut être établi entre l’enfant et le donneur. Mais il ne s’agit pas à proprement parler ici d’un donneur, puisque le médecin comme l’homme dont viennent les gamètes n’ont pas fourni leur semence dans le cadre de la procédure du don. Il s’agit d’un apport artisanal, illégal, du médecin, ou d’un don involontaire et lui aussi illégal d’un homme donneur malgré lui : il est fort douteux que de tels apports soient concernés par l’anonymat et l’interdiction de filiation entre l’enfant et le géniteur qui découlent du don proprement dit, encadré par la loi. 

En France, lorsque se sont produites des erreurs d’utilisation des gamètes ou même d’attribution des embryons, il y a eu des procès : les couples concernés ont engagé la responsabilité de l’hôpital et demandé réparation en justice pour leur préjudice. Mais aucun litige n’a concerné à ma connaissance la filiation des enfants car il semble que, dans la totalité des cas, les couples préfèrent avorter. La question de la filiation ne s’est donc pas posée. 

Ludovine de la Rochère : Plusieurs affaires ont en effet éclaté aux Etats-Unis, des personnes nées de fécondation in vitro (FIV) ayant découvert, souvent par hasard, qu’ils n’étaient pas l’enfant biologique de celui qu’ils avaient toujours considérés comme leur père. Cela peut être par exemple à l’occasion d’un problème de santé dont l’origine génétique est connue et dont la survenue conduit à faire des tests.

C’est très compliqué d’un point de vue judiciaire parce qu’il n’est pas toujours possible d’identifier l’origine de « l’erreur » - c’est-à-dire les circonstances et l’origine réelle des gamètes -, mais aussi parce que la loi, aux Etats-Unis, n’a pas prévu « l’erreur » volontaire en la matière, c’est-à-dire le cas d’un médecin qui, sciemment, utilise ses propres gamètes, ou d’autres, à la place de ceux de l’homme du couple poursuivant un processus de FIV. Ce type de drame est pourtant récurrent depuis les débuts de la FIV, que ce soit aux Etats-Unis ou ailleurs.

En France, la première loi de bioéthique, qui date de 1994, a été votée plusieurs années après les débuts de la pratique de la FIV et l’ouverture des premiers Centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme humain (CECOS) en 1973. Du coup, pendant plusieurs années, les règles en la matière dépendaient un peu de chaque centre d’assistance médicale à la procréation : modalités de recrutement de donneurs, conditions requises pour donner, nombre de naissances possibles à partir des gamètes d’un même donneur, etc. Il semblerait, en conséquence, que des hommes aient largement fourni leur sperme pendant des années. Cependant, ce n’était sans doute pas avec l’idée de s’imposer dans les filiations sans le consentement des couples comme c’est le cas dans les affaires américaines que nous évoquions.

D’un point de vue anthropologique, de telles affaires sont éminemment délicates puisque, évidemment, on ne peut pas « regretter » la naissance des enfants concernés. Néanmoins, eux-mêmes comme leurs parents considèrent qu’ils ont été trompés et lésés et ils veulent que la justice le reconnaisse. 

En outre, la crainte d’une remise en cause de l’insémination avec donneur – qui d’ailleurs n’est pas autorisée dans tous les pays, même en Europe - suscite beaucoup d’inquiétude autour de telles affaires, d’où une tendance à éviter au maximum le « buzz » autour de ces cas. Ce sont par conséquent de longues batailles judiciaires pour les victimes de tels actes. 

Les questions prennent aussi un tournant éthique important. Quelles garanties donne aujourd'hui l'Etat sur ces questions ? Sont-elles suffisantes ?

Aude Mirkovic : La loi française évince la question de la place du donneur, de son statut, de façon péremptoire : déjà, l’anonymat du don camoufle le donneur et, de toute façon, aucun lien de filiation ne peut être établi entre lui et l’enfant, quand bien même l’enfant le retrouverait (ce qui s’est déjà produit et devrait se généraliser dans l’avenir).  
Pour autant, ces « garanties » sont tout à fait insuffisantes. Le recours du don de gamètes prive délibérément et légalement l’enfant de la dimension biologique de sa filiation, ce qui est contraire à ses droits tels que garantis par les conventions internationales. 

De toute façon, l’injustice qui résulte du don de gamètes pour l’enfant est aisée à identifier : si, en cas d’erreur d’éprouvette dans le processus de PMA, le fait d’attendre un enfant qui n’est pas issu d’eux caractérise pour les couples un préjudice tel qu’ils demandent réparation en justice et préfèrent avorter s’ils le peuvent encore, n’est-il pas quelque peu léger de décréter de façon péremptoire que, pour les enfants, il serait indifférent d’avoir comme parent leurs géniteurs ou quelqu’un d’autre ? Le don de gamètes, comme les erreurs et fraudes dans l’utilisation des gamètes, posent une question très simple : est-il important, ou pas, d’être issu de quelqu’un ? Si c’est important (et juridiquement réparable) pour les uns, comment déclarer que cela devrait être sans intérêt pour les autres, les enfants ? La loi est la même pour tous, c’est donc l’égalité devant la loi qui est en jeu. 

Ludovine de la Rochère : La ministre des Solidarités et de la Santé ne donne aucune garantie en la matière : comme Emmanuel Macron, elle semble très ignorante des enjeux. Tout juste semble-t-elle avoir découvert, tout récemment, que la PMA pour les femmes seules et les couples de femmes impliquerait l’effacement de l’existence même du père.

Il faut rappeler que le CCNE s’est prononcé en faveur de l’extension de la PMA à la condition expresse et incontournable de ne pas ouvrir la marchandisation de l’humain. La ministre n’y a jamais fait allusion : elle ne sait manifestement pas – ou elle ne veut pas savoir – que cette condition n’est pas tenable. 

En France, est-ce que l'extension de la PMA qui engendrera mécaniquement une libéralisation du marché du sperme pourrait faire planer la même menace d'abus ? A-t-on déjà eu des cas similaires en France ?

Ludovine de la Rochère : Il y a déjà eu des affaires en France, en particulier d’échanges d’embryons, involontairement a priori, qui ont conduit à des poursuites judiciaires et à des dédommagements. Cela montre combien la filiation biologique – ou charnelle pour employer un terme plus parlant - est très importante, contrairement à ce que prétendent ceux qui pensent que la filiation doit être fondée sur la seule volonté des adultes et qui expliquent à longueur d’émissions radio et tv que la dimension biologique de la filiation n’est rien.

Le risque d’erreurs existe donc déjà, mais je pense que si on ouvre la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules, cela revient à un tel mépris de la réalité de la filiation que les risques seront d’autant plus grands. Cette pratique revient en effet à considérer qu’effacer la filiation paternelle serait anodin, qu’avoir deux mères serait une filiation possible, etc. 

En outre – et c’est un autre des problèmes posés par l’extension de la PMA – le manque de gamètes masculins conduira inéluctablement à leur commercialisation. De fait, tous les Etats qui ont ouvert la PMA aux femmes seules et aux couples de femmes se sont mis à rémunérer les hommes ou, quand ils ne l’ont pas fait, se sont mis à acheter les échantillons de sperme dont ils ont besoin aux pays qui rémunèrent les hommes.
On sait aussi qu’à côté des centres publics de conservation des gamètes prolifèrent des centres privés, comme la plateforme internet Cryos international, dont l’objectif est bien sûr le business. L’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques (OPECST), dans son avis rendu le 25 octobre dernier sur la future loi de bioéthique, se déclare d’ailleurs non opposé à l’idée d’autoriser la création de centres privés de conservation des gamètes en France !

Ouvrons les yeux : légaliser la marchandisation de l’humain, faciliter ce business, pratiquer le commerce international des gamètes serait un tel abandon éthique qu’il serait infiniment plus difficile de faire respecter un encadrement très strict, lequel est pourtant essentiel dans une matière aussi lourde d’implications humaines. 

Au fond, comment l’Etat pourrait-il prétendre faire respecter des règles éthiques si lui-même transgresse l’éthique la plus élémentaire ? 

Une des problématiques les plus importantes semble être "l'approvisionnement" en sperme, qui pousse à beaucoup de dérives. L'adoption de la PMA prévue par le gouvernement ne risque-t-elle pas d’aggraver ce problème ?

Aude Mirkovic : En effet, il est de notoriété publique que les dons actuels de sperme ne suffisent pas actuellement à réaliser les PMA demandées au sein des couples homme/femme infertiles. L’insémination de femmes célibataires ou en couple de femmes aggraverait cette "pénurie" car la PMA pour les femmes est toujours une PMA avec donneur. Le moyen d’augmenter le nombre des apports serait de les rémunérer, autrement dit de passer du don à la vente.

La rémunération n’est pas une option mais apparaît comme inévitable : tous les États qui ont ouvert la PMA en dehors des indications thérapeutiques n’ont eu d’autre choix que de rémunérer les apports de gamètes. La Belgique a certes ouvert la PMA sans rémunérer les donneurs, mais elle se retrouve contrainte à acheter 90% de ses apports de sperme au Danemark ! Il en va de même du Canada qui a maintenu la gratuité et achète 90% de ses apports aux États Unis.

Rémunérer les apports de gamète, c’est renoncer au principe cardinal de la gratuité des éléments et produits du corps humain. Le Conseil d’Etat, le Comité d’éthique sont formels : il ne faut surtout pas remettre en cause la gratuité ! En effet, rien ne justifierait alors de limiter la rémunération aux gamètes. Il est également de notoriété publique qu’il n’y a pas assez d’organes disponibles pour tous les patients en attente de greffe, et cette pénurie pourrait elle aussi justifier la vente des organes et la marchandisation généralisée du corps qui s’ensuivrait, d’autant plus que la vie des patients en attente d’organes est souvent engagée. 
Si l’on veut préserver la gratuité, le seul moyen est d’abandonner toute extension de la PMA : la PMA non thérapeutique conduit à la marchandisation du corps, devenu source de profit pour les uns, matériau utilisable par les autres. 

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