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Comment Emmanuel Macron a quasiment achevé le “cercle de la raison” dont il était censé être le sauveur
©PASCAL ROSSIGNOL / POOL / AFP

Le dernier empereur

Lors d’une interview donnée à France Info, Philippe Martinez a déclaré « La concertation sauce Macron, c'est cause toujours tu m’intéresses ».

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico: En quoi cet exemple d’opposition entre le Secrétaire général de la CGT et Emmanuel Macron illustre-t-il le mal français entre un camp de la raison qui s’enferme dans ses raisonnements (« exit l'exit tax » qui a pu sonner comme une provocation) et des oppositions souvent caractérisées par le radicalisme et le manque de crédibilité de leur offre politique alternative ?

Michel Ruimy : La réussite d’Emmanuel Macron, c’est celle d’avoir su capter l’énergie d'un pays, une énergie qui ne trouvait pas à s’investir dans les partis traditionnels. Il a senti que les partis de gouvernement étaient à bout de souffle, que les Français n’en pouvaient plus du clivage souvent artificiel entre le Parti socialiste et Les Républicains. Pour y arriver, son chemin en a été grandement facilité : échec d’Alain Juppé, renoncement de François Hollande, qualification de Benoît Hamon, « affaires » de François Fillon… C’est comme si ses adversaires s’étaient donné le mot pour lui libérer l’espace et l’aider sans sa tâche, dans un gigantesque suicide collectif. Il n’y a pas que dans la Bible que la mer Rouge se retire… 

Depuis son élection, il s’est contenté de gérer tactiquement son projet (une dose de gauche, une dose de droite, une dose de disruption) et un constat s’impose après 18 mois de mandature : aujourd’hui, l’opposition est majoritaire en France mais elle est tellement fragmentée qu’elle ne peut pas se rassembler. Autrement dit, elle est majoritaire mais impuissante !

Dès lors, tout revient à savoir, qui incarne réellement l’opposition politique à Emmanuel Macron ? Parmi l’« opposition traditionnelle », seul, Jean-Luc Mélenchon semble avoir le mieux tiré son épingle du jeu mais c’est une apparence. Il croit être le leader de l’opposition, il le dit et le répète mais, dans les faits, c’est Philippe Martinez ! En effet, si l’on définit l’opposition comme une organisation qui arrive à contrer l’action gouvernementale, seul, M. Martinez arrive à se mettre en travers de la volonté du gouvernement d’autant qu’il essaie, en plus, de fédérer les syndicats, les partis politiques et les associations autour de lui. Il veut être le patron des oppositions françaises… tout en étant dirigeant d’un syndicat assurant la défense collective et individuelle des salariés ! 

Ce n’est pas la première fois que le dirigeant de la CGT a des propos peu amènes envers le président de la République, à qui il reproche régulièrement de vouloir se passer des organisations syndicales. Devant l’inexistence des partis politiques traditionnels, M. Macron a donc le terrain libre pour avancer, seul, quoi qu’il puisse se passer dans le pays. Mais, dans sa quête à vouloir transformer le pays, il lui faut ne pas oublier que, même dans la Bible, il y a toujours un moment où la mer Rouge reprend son lit.

En quoi l’incapacité de ces oppositions, dont la CGT de proposer une alternative crédible a pu finalement laisser le champ libre aux excès du « camp de la raison » ? 

Une chose est certaine avec l’élection d’Emmanuel Macron : elle redessine notre paysage politique. Depuis des décennies, nous vivions sous le règne du bipartisme. Deux partis structuraient notre vie publique. Depuis la première élection présidentielle, en 1965, le tempo était toujours le même : une succession au sein de la Droite (Pompidou après de Gaulle, Giscard d’Estaing remplace Pompidou, Chirac qui se succède à lui-même, Sarkozy qui suit Chirac…) ou un coup de balancier droite-gauche / gauche-droite (Chirac après Mitterrand, Hollande après Sarkozy). Un début de tripartisme s’est mis en place avec la poussée électorale du Front National dans les années 2010. 

Son accession au pouvoir n’a donc pas été une simple alternance. C’est un véritable événement historique et il est encore difficile d’en mesurer toute l’ampleur et la profondeur. Elle inaugure - peut-être - une recomposition ou une décomposition voire une déstructuration de la légitimité des partis politiques de gouvernement sur un fond de crise sociale et économique durable. L’augmentation du taux d’abstention aux différentes élections traduit peut-être cette réalité : une certaine désillusion des citoyens envers les partis et syndicats, qu’ils ne considèrent plus forcément comme leurs meilleurs représentants et intermédiaires. 
Or, les partis de l’opposition se doivent de proposer des solutions alternatives à la politique de la majorité en place et ainsi remplir une fonction « tribunitienne », selon l’expression de Georges Lavau qui renvoie aux « tribuns de la plèbe » sous l’Antiquité romaine, c’est à dire traduire le mécontentement d’un certain électorat populaire.

Devant le chaos de l’opposition, M. Macron a les mains libres pour « dire la raison ». Mais son grand défi aujourd’hui, est d’amener une nouvelle génération politique en renouvelant les usages et les visages. Pour y parvenir le chef de l’État doit aller bien au-delà d’un simple « recyclage » et quelques transfuges d’hommes politiques. Il doit générer une nouvelle génération politique. Cet enjeu est immense et la mission, quasiment impossible car il n’existe pas de génération spontanée. Mais il n’a pas le choix. Il ne peut pas se contenter d’un mixte mélangeant des anciennes « étoiles » de la Droite ou du PS. 

Quels sont les exemples de notre société qui peuvent illustrer dans quelle mesure le cercle de la raison a pu être déraisonnable, notamment dans un traitement économique inégalitaire de la majorité de la population ?

Je ne vais en citer qu’un seul pour bien illustrer votre propos. Prenons la mesure emblématique du quinquennat de Nicolas Sarkozy : la défiscalisation des heures supplémentaires (« travailler plus pour gagner plus »), dispositif qui a été supprimé, en 2012, par la Gauche après l’élection de François Hollande. 

En défiscalisant les heures supplémentaires, Nicolas Sarkozy voulait redonner du pouvoir d’achat aux Français. Cette mesure se traduisait par des exonérations d’impôt sur le revenu et de cotisations sociales pour les salariés, un abattement de charges sociales pour les entreprises et une majoration de la rémunération dans les petites entreprises. Le dispositif permettait de doper le pouvoir d’achat des salariés via une hausse du salaire net (obtenue par l’exonération des cotisations salariales) et une non-taxation. En moyenne, le gain a été d’environ 500 euros par an par bénéficiaire.

Entre 2007 et 2012, plus de 9 millions de salariés - près de 40% des effectifs du secteur privé - ont profité de ce dispositif. Les ouvriers en ont été les grands bénéficiaires avec 20% des fonctionnaires d'État (catégorie C) et 10% de ceux des collectivités locales. Ce sont donc les salariés les moins aisés qui en ont essentiellement profité.

La Gauche arrivant au pouvoir a jugé que ce dispositif était trop coûteux - La Cour des comptes avait elle-même prôné la remise en cause de ce dispositif, estimant que son coût pour les finances publiques, évalué à 5 milliards par an, était trop pesant compte tenu d’une « efficience pas encore établie » - et qu’il freinait l’embauche. Sa suppression, qui figurait dans les promesses de campagne du candidat François Hollande, était réclamée depuis 2009 par la totalité les syndicats, qui y voyaient « une arme de destruction massive de l’emploi » alors que le taux de chômage était élevé. En arrivant au pouvoir en 2012, la Gauche a donc abrogé cette mesure.

Quel a été le résultat ? Un an après la suppression de ce dispositif, un peu moins de 5% seulement des chefs d’entreprise avaient embauché de nouveaux salariés. Les autres se sont adaptés : près de 20% avaient supprimé les heures supplémentaires et moins de 50% les ont maintenues, malgré le surcoût lié à cette décision. Selon certaines estimations, combinée à d’autres hausses d’impôts sous la Droite puis la Gauche en 2011 et 2012, la refiscalisation des heures supplémentaires avait contribué à l’alourdissement de la pression fiscale et privé des millions de salariés modestes d’un peu de pouvoir d'achat qui leur serait bien utile en période de crise.

L’initiative de M. Sarkozy va être remise au goût du jour par Emmanuel Macron à partir de septembre 2019, via la mise en place d’une baisse de charges salariales sur les heures supplémentaires. Mais ce geste sera toutefois bien moins intéressant que celui décidé en 2007. En témoigne l’estimation du gain annuel par salarié : 200 euros par an en rythme de croisière pour le dispositif envisagé l’an prochain contre 500 euros pour la version de M. Sarkozy.

En outre, les heures supplémentaires ne seront, cette fois, pas défiscalisées, c’est-à-dire qu’elles seront toujours soumises à l’impôt sur le revenu. Or, le gain retiré de l’exonération de cotisations sociales viendra gonfler le revenu imposable, et donc le montant de la note due au fisc, ce qui réduira d’autant le bénéfice en pouvoir d’achat pour les salariés…
Les employeurs peuvent eux aussi être déçus. Car aucune exonération de cotisations patronales n’est prévue sur ces heures supplémentaires au motif que ne pas exonérer les heures supplémentaires de cotisations patronales permet d’éviter que les heures supplémentaires ne viennent au détriment de la création d’emplois. On oublie que ceci permet aussi de limiter le coût de la mesure...

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