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Y-aurait-il un lien entre la volonté d’aider les Français à changer de voiture et le méchant coup de mou traversé par l’industrie automobile européenne ?
©PASCAL ROSSIGNOL / POOL / AFP

Mauvais esprit

Vendredi, Edouard Philippe a a annoncé le lancement prochain une super-prime pour aider les foyers les plus modestes à changer de véhicule.

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou est directeur général adjoint du cabinet de conseil Sia Partners. Il est l'auteur de "Liberté, égalité, mobilié" aux éditions Marie B et "1,2 milliards d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ?" (2012).

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Atlantico : Lors d'une interview accordée à la radio RTL, Edouard Philippe a annoncé une "super prime" de 2000 à 4000 euros pour les foyers les plus modestes pour changer de véhicule. Mais quelles sont les chances pour que cette prime soit plus le fruit d'une volonté d'aider l'industrie automobile  face au coup de mou qui touche le secteur depuis quelques mois qu'une volonté d'aider les Français ?

Jean-Pierre Corniou : Les motivations pour inciter les Français à changer de véhicule en cette fin d’année 2018 sont nombreuses. La controverse sur la fiscalité écologique a pris en effet un tour assez violent et incontrôlable avec le mouvement dits des gilets jaunes qui appelle des mesures d’apaisement. Dans l’attente des déclarations du Président de la république prévues mardi 27 novembre sur les mesures d’atténuation de la fiscalité écologique, on peut penser qu’il s’agit d’abord vraiment d’aider les ménages les plus modestes à changer leur véhicule pour un véhicule récent dont les performances environnementales  de rejet de C02, gaz à effet de serre, ou de polluants - particules, NOx, hydrocarbures - sont bien supérieures aux véhicules anciens. Ce sont des mesures inédites par leur niveau. Il s’agit de doubler la prime actuelle de 2000 € pour mettre au rebut un véhicule diesel antérieur à 2001 ou un véhicule essence antérieur à 1997. Cette prime s’appliquant désormais  aux véhicules d’occasion permettra à des particuliers touchant moins de 12500 € par an de bénéficier d’une mise de fonds de 4000 € pour accéder à un véhicule plus récent sans effort financier considérable, bien que cette notion soit toujours relative. Mais un véhicule récent consommant moins, et étant en meilleur état général, le gain se situe aussi dans les dépenses de carburant et d’entretien. Par ailleurs, en 2019 la prime de 2500 € pour l’achat d’un véhicule électrique sera maintenue sans condition de ressource. Il sera également possible d’acquérir un deux ou trois roues électrique ou un quadricycle électrique avec une prime de 100 €, portée à 1100 € pour le ménages non imposables.  

Il faut noter que le gouvernement escompte que cette prime bénéficie à un million de particuliers en 2019, ce qui représente un impact majeur sur le marché automobile. L’objectif de 2018, soit 100 000 primes à la casse distribuées, a été dépassé fin octobre avec plus de 170 000 dossiers, et une perspective de 250 000 fin 2018. Ces mesures sont donc populaires et atteignent leur cible. Le marché des véhicules neufs se situe annuellement autour de deux millions de véhicules, mais celui de l’occasion, qui touche directement les particuliers, représente 5,6 millions de véhicules. Toutefois le parc diesel français s’élève à près de vingt millions de véhicules fin 2017, en reflux notable puisque les ventes de diesel sur l’année 2017 ne représentaient  que 47,3% des ventes totales après avoir atteint un pic de 70,8% en 2010, soit 1,6 millions de voitures diesel vendues en 2010  contre 1 million en 2017. Or ces véhicules sont encore en circulation.  

Est-ce que cela pourrait potentiellement insuffler une nouvelle dynamique au secteur auto et inciter les constructeurs à amorcer plus franchement une transition vers les véhicules propres ?

Des progrès considérables ont été affichés par les constructeurs, pour  améliorer leurs véhicules et se conformer aux normes Euro 6. Mais le dieselgate a entaché ce travail en en minimisant considérablement la portée réelle. Aussi la grande inquiétude des constructeurs est de ne pas être en  mesure de respecter la contrainte fixée pour 2020 de 95 g  de CO2 par kilomètre pour la moyenne de leurs véhicules qui représente un pas considérable. De plus le non-respect de cet objectif entrainerait le paiement de lourdes amendes. Cette crainte a été amplifiée par le changement de norme au 1er septembre 2018, la norme NEDC ayant démontré qu’elle ne reflétait pas la réalité de la consommation dans les conditions réelles de conduite. Les normes de consommation ont subi une révision majeure en novembre 2017 qui vise à se rapprocher de la consommation en cycle de conduite réelle. NEDC (New European Driving Cycle) datait de 1973. WLTP signifie Worlwide Harmonized Light-Duty Vehicle Test Procedure. Elle est obligatoire en Europe à partir du 1er septembre 2018. Toutefois les chiffres flatteurs publiés par les constructeurs sur la base de leurs calculs NEDC sont démentis par des études en conditions réelles de circulation comme celle publiée par l’organisme indépendant ICCT en novembre 2017. Elle démontre que l’écart entre le théorique est le réel était de 9% en 2001 mais de 42% en 2016 ! Les gains affichés ne seraient donc que largement théoriques, constat qui est d’ailleurs à la source du dieselgate. Les nouvelles  procédures WLTP vont être beaucoup plus rigoureuses et mettent en évidence des émissions de CO2 supérieures à celle des normes NEDC, en moyenne de 10 g. Ceci éloigne d’autant l’objectif 95 g même si des mesures transitoires sont prévues. La chute des ventes de véhicules diesel et l’engouement pour les SUV, qui représentent un tiers des ventes en Europe en 2017,  compliquent encore l’atteinte de l’objectif.  Seule une inflexion majeure en  faveur des véhicules électriques permettrait d’atteindre l’objectif 95 g. les constructeurs doivent donc travailler très fort pour se conformer à cet objectif et il est peu probable qu’ils y parviennent  avec la structure actuelle de leurs offres comme avec les comportements des clients. 

D'un point de vue purement économique, quelles sont les chances pour que cette aide de l'Etat donne un coup de fouet au secteur ?

ll est certain que le marché automobile neuf va entrer dans un cycle de ralentissement, situation classique après une forte embellie qui dure depuis plusieurs années. Plus de six millions de voitures neuves ont été vendues en France entre 2015 et 2017. Les flottes comme les particuliers ont reconstitué leur parc, rajeuni avec des véhicules plus attrayants et mieux équipés, notamment avec les aides électroniques à la conduite les plus récentes qui se diffusent désormais sur toute la gamme. Mais ces véhicules sont en même temps plus fiables et les perspectives de renouvellement ne sont pas immédiates. Comme le marché est désormais saturé, la demande de véhicules neuf, hors flottes, n’est plus qu’une demande de remplacement marginale. Il faut souligner que le marché de l’occasion est beaucoup plus dynamique que le marché du neuf, pour des raisons économiques évidentes. Il s’échange 2,7 voitures d’occasion pour une voiture neuve vendue. Or en 2017, la part des immatriculations de véhicules ayant plus de dix ans s’est élevée à 44% contre 37% en 2010, et 67% pour des voitures de plus de cinq ans. Le kilométrage moyen des véhicules d’occasion échangés en 2017 était de 68000 km, un quart des véhicules ayant plus de 100 000 kilomètres. L’âge moyen du parc en 2017 est  de 9,1 ans contre 5,8 ans en 1990 et 7,3 ans en 2000. Ces caractéristiques du marché ne sont pas très bonnes pour l’environnement, ces véhicules anciens ayant des performance bien moins bonnes que les véhicules neufs. 

Relancer la vente de voitures neuves n’a de sens que pour accélérer la mutation du parc vers des voitures aux motorisations différentes, sur le modèle de la Chine, ou de la Norvège, qui poussent avec force le marché vers l’électrique ou pour accélérer  la vente de véhicules plus petits et plus économes en carburant. Mais le parc français est déjà un des plus vertueux d’Europe. Les émissions moyennes des voitures neuves vendues en France en 2017 sont de 111 g de CO2 par km, contre 119 pour la moyenne européenne, dont 127 pour l’Allemagne. 

De plus l’offre en France de véhicules électriques ou hybrides abordables est encore très faible. Les promesses des constructeurs de lancer de nouveaux véhicules sont certes nourries pour 2019 et 2020, mais les particuliers hésitent encore beaucoup à acheter un véhicule électrique tant que la confiance envers ce type de véhicule ne sera pas totale avec un marché du neuf diversifié et un marché de l’occasion prédictible. Le niveau d’information sur l’électrique, et dans une moindre mesure sur l’hybride, reste très faible.   Il ne s’est vendu que 23173 voitures électriques en France de janvier à octobre 2018, dont 55% pour la seule Renault Zoe, contre 24904 pour l’année 2017. Les gains restent faibles. 

Telles qu’elles sont conçues, les aides visent surtout les ménages modestes qui ne peuvent sauter le pas vers les véhicules les plus récents trop coûteux mais progresseront par glissements progressifs  vers de nouvelles  générations de véhicules grâce au marché de l’occasion. 

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