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Gilets jaunes : l’étrange mise en scène de Christophe Castaner
©LUCAS BARIOULET / AFP

Ultradroite, vraiment ?

Le rassemblement parisien a été émaillé d'accidents, sur les Champs-Elysées, où des casseurs s'en sont pris aux forces de l'ordre et au mobilier urbain. Le ministre de l'intérieur a voulu monter en épingle ces agissements et pointe la responsabilité de l’extrême droite, mais les images peinent à lui donner raison.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : La deuxième journée de mobilisation des Gilets jaunes a réuni des manifestants dans toute la France. Le rassemblement parisien a été émaillé d'accidents, sur les Champs-Elysées, où des casseurs s'en sont pris aux forces de l'ordre et au mobilier urbain. Comment le Gouvernement s’était-il préparé à cette manifestation du 24 novembre ?

Christophe Boutin : Cette manifestation, comme d’ailleurs l’ensemble de ce mouvement des « Gilets jaunes »,  inquiéta toute la semaine le gouvernement,et au premier plan le nouveau ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner. Sans doute pour complaire à ce dernier, la communication des services de l’État fut donc simple, sinon simpliste : toute la semaine on continua de tenter, comme on l’avait fait dès samedi soir, de déligitimer le mouvement. Les chiffres de la participation furent ainsi sous-estimés à un point ridicule, le moindre accident ou incident fut monté en épingle, et Christophe Castaner assura sans rire aux Français, quand sont quotidiennes les agressions à l’arme blanche et les violences gratuites, que les « Gilets jaunes » étaient un facteur majeur d’insécurité dans le pays, allant jusqu’à expliquer qu’ils l’« affaiblissaient » face au terrorisme ». Les manifestations du premier samedi comme celles qui se déroulèrent toute la semaine furent pourtant bon enfant et ne conduisirent que très indirectement à quelques actes de violence, venant d’ailleurs plus d’automobilistes irascibles que des manifestants. Mais cela n’allait pas durer car le mouvement était « en pleine dérive » selon le ministre de l’Intérieur.

En pleine dérive vers, bien sûr, et pouvait-il en être autrement puisqu’il osait s’opposer au « progressisme » jupitérien, les « heures les plus sombres de notre histoire » : derrière les « Gilets jaunes » se profilait en effet le spectre hideux de l’extrême droite ou, comme on dit maintenant dans les milieux autorisés, de « l’ultra-droite ». Homophobie, islamophobie, racisme, machisme, le moindre « Gilet jaune » était suspecté des plus sinistres desseins : pour le député Florian Bachelier, « des chemises brunes se cachent sous les gilets jaunes », et BHL voyait réapparaître les ligues du 6 février 34 … Là encore pourtant, les sondages montraient dans la composition des manifestations une très grande part de personnes pas ou peu politisées, n’ayant auparavant jamais manifesté, et étant moins encore des militants politiques.

Quant aux tentatives faites pour calmer le jeu et montrer que l’oligarchie prenait toute sa mesure de l’événement, elles traduisaient de manière criante par leurs gaffes et loupés la distance qui sépare le « peuple réel » du « peuple légal » pour parler comme Benjamin Griveaux… Pour prendre ce seul exemple, quand Gérard Darmanin déclarait de manière assez maladroite : « Nous devons comprendre ce que c'est de vivre avec 950 euros par mois quand les additions dans les restaurants parisiens tournent autour de 200 euros », il jetait plus de l’huile sur le feu qu’il n’apaisait les esprits.

Le résultat de cette campagne de dénigrement forcené et d’apaisement raté fut naturellement un échec complet. Le dernier sondage avant la manifestation de samedi prouvait en effet qu’en une semaine l’opinion publique se montrait plus favorable encore au mouvement. C’étaient maintenant 77% des Français, 3 points de plus qu’une semaine auparavant, qui trouvaient le mouvement « légitime », dont 97% chez LFI, 86% au RN, 78% au PS, 74% à LR et… 41% à LaREM, quand 66% considéraient qu’il devait se poursuivre. Quant aux caractéristiques du mouvement, ce dernier était jugé populaire (81%), luttant pour l’intérêt général (78%), courageux (77%) et… pas violent (62%). La seule réserve qu’émettaient en fait les Français étaient leurs doutes sur son efficacité, 43% seulement le considérant comme efficace.

Au soir du 24 novembre, que peut-on dire de cette seconde grande manifestation des « Gilets jaunes » ?

Après les succès de leurs manifestations et blocages organisés dans toute la France samedi dernier, les « Gilets jaunes » avaient donc résolu de faire porter leur action du 24 sur Paris. Il s’agissait d’un choix stratégique délicat pour ce mouvement. Il est en effet composé largement de ruraux et de péri-urbains, peu présents par définition dans la capitale.

Les y faire venir était difficile pour deux raisons : la première est tout simplement la faiblesse des revenus de ces manifestants ; la seconde tient dans les limites d’une auto-organisation qui s’était montrée efficace sur le plan local, permettant le blocage de certaines villes et une perturbation des échanges commerciaux, mais dont on devinait qu’elle serait peu apte à permettre rapidement, au niveau national, la mise en place de ces réseaux très structurés qui avaient conduit à la réussite de la Manif pour tous.

Quant aux manifestants parisiens, les « Gilets jaunes » devaient compter avec la participation d’une frange plus âgée de la population que dans les zones rurales et péri-urbaines. Or cegroupe social est naturellement moins partant pour aller manifester, et plus encore pour participer à une manifestation qui peut éventuellement dégénérer – on sait que la violence a accompagné la plupart des manifestations parisiennes organisées par la gauche et l’extrême gauche ces dernières années. Cette même crainte était aussi perceptible d’ailleurs chez des « Gilets jaunes » de province qui avaient pour cela renoncé à « monter » à Paris…

En fin d'après-midi du 24 novembre, le ministère de l’Intérieur comptabilisait 106.301 manifestants sur l’ensemble de la France, un chiffre aussi sous-estimé que l’était celui des 300.000 manifestants de samedi dernier, dont 8.000 à Paris, des manifestants qui seraient intervenus sur la voie publique en 1619 lieux – une source policière parlant de 948 actions et 516 blocages.

Très logiquement donc, comme on pouvait s’y attendre pour les raisons évoquées, il n’y a pas eu de « vague jaune » déferlant sur un Paris placé en état de siège, avec des renforts de forces de sécurité et des zones d’interdiction, notamment à proximité de l’Élysée et sur la place de la Concorde. Mais on en tirera ensuite deux conclusions en comparant les chiffres officiels à ceux de la semaine dernière : s’il y a sans doute eu effectivement moins de monde parmi les manifestants, les points de blocage restent répartis dans toute la France. On ne peut donc parler à ce stade d’effondrement, tout au plus d’une baisse en partie liée à la primauté donnée à une manifestation parisienne délicate à organiser.

Que nous apprend le déroulement de la manifestation parisienne ?

Elle est la preuve de l’impréparation de manifestants restés « bons enfants ». Le gouvernement avait incité les manifestants à se rendre au Champ-de-Mars, mais c’est au Champs-Élysées, entre Étoile et Concorde,ou dans les rues adjacentes qu’ont eu lieu l’essentiel des mouvements de foule de la journée. Dans le reste de Paris on circulait paisiblement et, surtout, on faisait le plein d’achats dans les commerces, Black Friday oblige…Sur les Champs même des badauds et des touristes étaient présents au cœur de la manifestation, s’étonnant de se voir survolés par des hélicoptères.

C’est donc sur les Champs, en milieu de matinée que les manifestants partis de l’Étoile en direction de la Concorde ont été bloqués par les forces de l’ordre et que les affrontements ont commencé. Les manifestants – cela sera assez relevé par la presse – ont alors mis en place des barricades, mais de manière bien légère, en prenant des éléments aux chantiers adjacents. Ils n’ont pu malgré cela opposer aucune résistance sérieuse aux forces l’ordre équipées de canons à eaux -un « dispositif mobile » guidé par des hélicoptères, avait même été prévu -, et pas plus les terribles représentants de « l’ultradroite » qui auraient été présents que les autres. Refoulés dans les rues adjacentes, ayant toujours en tête d’approcher de l’Élysée, ils n’ont à aucun moment été à même d’organiser une guérilla urbaine : les journalistes évoquaient seulement de petits groupes désorganisés et l’absence de cohérence de leur dispositif.

Enfin, à l’exception des dégâts causés pour mettre en place des barricades – un peu de mobilier urbain et de panneaux de chantier -, aucune scène de pillage de commerces ni sur les Champs ni dans les rues adjacentes, et ce n’est que tard que l’on vit quelques vitrines étoilées. Les pompiers intervenant sur les barricades enflammées étaient soutenus… par les manifestants, qui applaudissent aussi parfois les CRS et gendarmes mobiles, leur demandant de les rejoindre, et ne les huant qu’en cas de charge ou de blocage jugés excessifs.

Aucune technique de combat de rue donc, comme aucune volonté de violence pour la violence. Nous étions bien loin hier des amusements des Black Blocks ou des visites de courtoisie faites sur ces mêmes Champs Élysées par des jeunes en apprentissage de citoyenneté lors d’évènements sportifs…

Le gouvernement a-t-il compris ses erreurs ?

Demander à Christophe Castaner de comprendre, et à plus forte raison ses erreurs, semble une tâche ardue. Toute la journée du 24 le ministre de l’Intérieur est donc resté ferme sur ses éléments de langage : les « séditieux » de « l'ultradroite » réunis dans une « coalition des réseaux » et manipulés par Marine Le Pen voulaient « s'en prendre aux institutions », par des actions d’une sauvagerie inouïe. Et la presse voulut bien relayer en boucle les images des barricades en feu, parler de « chaos » sur les Champs, et se plaindre de l’état de « la plus belle avenue du monde ».

Mais le problème est venu de la prise de position de politiques, de droite comme de gauche, souvent présents sur les lieux, et qui cherchaient en vain autour d’eux les SA annoncés, voyant au contraire brandis des portraits du Che et fleurir des tags anarchistes. Présent sur les Champs, François Ruffin, de LFI, se contentait de comparer Emmanuel Macron à Marie-Antoinette. Jean-Luc Mélenchon déclarait : « Castaner voudrait que la manifestation des « Gilets jaune » soit d'extrême droite. La vérité est que c'est la manifestation massive du peuple. Et ça c'est la fin pour Castaner. Ne vous laissez pas intimider par la macronie. » Et pour Olivier Faure, premier secrétaire du PS : « Quand un mouvement est soutenu par les 3/4 des Français, on lui répond, on ne cherche pas à le résumer une poignée de casseurs ».

Même écho à droite oùNicolas Dupont-Aignan (DLF) dénonçait une« manipulation scandaleuse » et, décrivant les « Gilets jaunes »comme « des gens honnêtes », « des retraités, des agriculteurs, des routiers qui ne peuvent plus vivre de leur travail », concluait : « Le gouvernement cherche à décrédibiliser le mouvement à cause de quelques casseurs ». Quant à Jean Lasalle, présent au Champ de Mars, il n’y avait pas rencontré de fascistes, mais sans doute avaient-ils pris peur en le voyant apparaître.

Le problème est qu’alors que personne ou presque ne croit à cette interprétation – on évoquera pour faire sourire un Charles Dantzig pour qui « les « Gilets jaunes » voudraient nous faire croire qu’ils sont des sans-culotte, ils ne sont que des chemises brunes » -, Christophe Castaner a visiblement réussi à faire croire à Jupiter qu’il avait dressé pour protéger la République l’infranchissable rempart de sa personne et de ses troupes. « Merci à nos forces de l'ordre pour leur courage et leur professionnalisme – a en effet tweeté le Chef de l’État au soir du 24. Honte à ceux qui les ont agressées. Honte à ceux qui ont violenté d'autres citoyens et des journalistes. Honte à ceux qui ont tenté d'intimider des élus. Pas de place pour ces violences dans la République ».« Merci en tant que ministre, en tant que citoyen, en tant qu'homme (sic) »déclara pour sa part le locataire de la Place Beauvau à ses troupes réunies à proximité des décombres encore fumants de deux palettes et d’une trottinette électrique.

Nous en sommes donc là, quand une troisième manifestation, encore sur les Champs, serait annoncée pour samedi prochain 1er décembre. Emmanuel Macron prendra la parole mardi pour traiter de la transition écologique et des mesures qui vont la rendre « acceptable et démocratique ». Si c’est la réponse aux « Gilets jaunes », cela prouve seulement que le gouvernement n’a rien compris à un mouvement pour lequel la hausse des carburants n’a été que la goutte de diésel qui fit déborder le vase. Rien compris à ce qui agite ces classes moyennes et populaires trahies sans discontinuer depuis quarante ans. Car cette paix sociale là, il va être bien difficile de l’acheter en saupoudrant quelques subventions.

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