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Et si l'effet des gilets jaunes était de susciter une coalition RN/FI, sur le modèle italien ?
©RICHARD BOUHET / AFP

Colère populaire

Le pire cauchemar pour Emmanuel Macron serait que les gilets jaunes déclenchent un scénario à l’italienne, autrement dit une coalition des extrêmes.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Le mouvement des gilets jaunes laissera des traces. Quelle que soit son issue, il a d’ores et déjà apporté quelque chose de nouveau : il a fait émerger de façon concrète et visible cette France périphérique dont certains avaient théorisé l’existence sans en fournir la preuve, cette France des perdants de la mondialisation, des gens « de quelque part » par opposition aux gens « de nulle part » (David Goodhard), bref cette France des oubliés etdes laissés-pour-compte, que les médias ne considèrent pas comme la France de demain, et qui n’intéresse guère les artistes ou les universitaires.

Mais au-delà de cette démonstration factuelle, on peut se demander si les gilets jaunes ne sont pas sur le point de provoquer un changement plus profond dans la vie politique française, peut-être un véritabletremblement de terre. Il suffit pour cela de regarder attentivement les résultats des derniers sondages. Si tous les commentateurs ont en effet indiqué que les gilets jaunes bénéficient d’une forte sympathie dans l’opinion, ils ont moins souligné un autre résultat : le fait que les sympathisants de la France insoumise et du Rassemblement national se retrouvent sur des positions trèssimilaires.

Si on prend par exemple le sondage Odoxa pour France Info et Le Figaro réalisé les 21 et 22 novembre auprès de 1004 personnes de plus de 18 ans (http://www.odoxa.fr/sondage/mobilisation-gilets-jaunes-a-paris-soutien-francais-samplifie/), on voit que les sympathisants de La France insoumise (LFI) et du Rassemblement national (RN, ex-Front national) sont les plus nombreux à juger que le mouvement est « tout à fait justifié » (respectivement 70% et 71%) ; ils sont suivis à une distance raisonnable par les sympathisants du Parti socialiste et des Républicains (54% et 39%), tandis que, de leur côté, les sympathisants de la République lui sont les plus hostiles (seulement 16% le trouvent que le mouvement est tout à fait justifié). De même, les sympathisants de LFI et du RN convergent pour demander que le gouvernement annule la hausse des taxes : à chaque fois, les deux électorats donnent des réponses très proches.

Une telle convergence entre ces deux électorats est extrêmement rare. Il n’est même pas certain qu’on puisse trouver des précédents. Or, ce rapprochement peut s’avérer lourd de conséquence. Pour la première fois, il montre que l’hypothèse qu’une alliance entre les deux partis, impulsée cette fois-ci par la base dans le cadre d’une action commune, ne peut plus être exclue. Une option de ce type constituerait le pire des scénarios pour Emmanuel Macron. Il faut en effet rappeler que la stratégie de ce dernier a consisté à créer une coalition des centres en phagocytant le centre-gauche du PS et le centre-droit des Républicains, puis à entretenir une opposition irréductible entre les deux blocs rivaux : le bloc de gauche autour de la France insoumise, le bloc de droite autour du Rassemblement national. De là provient la rhétorique du président sur l’opposition fondamentale entre le nationalisme et le progressisme : en martelant que le Rassemblement national est frappé par un interdit absolu, il s’agit de maintenir ce qu’on appelait jadis le « cordon sanitaire ». Cette stratégie peut être payante. Tant que ces deux partis s’affrontent, Emmanuel Macron est dans une position très confortable de quasi-monopole politique, ses opposants n’ayant aucune chance de le détrôner. La seule situation où le président pourrait perdre la majorité, c’est si une coalition entre les deux extrêmes venait à se produire. Cette option n’est pas exclue puisqu’elle s’est réalisée en Italie avec la coalition du Mouvement 5 Etoiles et de la Ligue (Salvini) : contre toute attente, ces deux partis ont su composer un gouvernement d’union sur la base d’un programme commun dans lequel chacun gardait sa spécificité.

En France, la perspective d’une alliance de ce type était totalement exclue jusqu’à présent, tant les antagonismes et les contentieux sont profonds, ce qui laisse un boulevard pour la République en Marche. Mais les affaires de financement politique, qui ont frappé conjointement les deux partis, ont commencé à changer la donne : tous les deux se sont de fait retrouvés à égalité et ne peuvent plus faire la morale à l’autre. Surtout, le mouvement des gilets jaunes, s’il se maintient et s’amplifie, pourrait bien avoir pour effet d’enclencher un processus plus radical. En créant de facto, à travers la lutte contre un adversaire commun, un rapprochement impulsé par la base, il pourrait conduire les leaders à accepter une option qu’ils ont refusée jusqu’à présent. Il suffirait pour cela que les deux partis mettent en retrait leurs divergences et acceptent de définir un programme commun tout en préservant leurs spécificités respectives, ce qui se traduirait par exemple par la combinaison d’un volet social (plutôt porté par la France insoumise) et d’un volet nationaliste et sécuritaire (porté par le Rassemblement national).

Evidemment, nous n’en sommes pas encore à ce stade. Mais Jean-Luc Mélenchon comme Marine Le Pen savent parfaitement que, chacun dans leur coin, ils n’ont aucune chance de prendre le pouvoir. Leur option est donc simple : soit ils continuent chacun de leur côté, et le résultat sera perdant-perdant ; soit ils acceptent de se regrouper et tout devient possible. Les élections européennes pourraient être l’occasion d’expérimenter cette stratégie, mais il y a peu de chance qu’elle se réalise à cette occasion dans la mesure où le mode de scrutin proportionnel devrait inciter les deux partis à concourir séparément, histoire de compter leurs forces et de maximiser leurs gains. En revanche, pour les échéances de 2022, on peut se demander si l’hypothèse d’une alliance ne va pas être sérieusement envisagée par les deux états-majors.

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