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L’huile de palme figure de l’abomination écologique : l’exemple type des caricatures politiques sans mesures
©Mohd RASFAN / AFP

Diable en carton

Un peu de mesure en matière d'écologie ne ferait pas de mal au gouvernement français. Et l'huile de palme, en la matière, est un exemple caricatural de ce qu'il ne faut pas faire.

Bruno Alomar

Bruno Alomar

Bruno Alomar, économiste, auteur de La Réforme ou l’insignifiance : 10 ans pour sauver l’Union européenne (Ed.Ecole de Guerre – 2018).

 
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Les Pouvoirs publics français ont fait de la lutte contre l’huile de palme une priorité, au nom de la protection de la forêt, parfois jusqu’à la caricature. Mercredi dernier en effet, le Gouvernement présentait sa stratégie nationale visant à lutter contre la déforestation importée – stratégie non contraignante visant à influencer l’Union européenne dans le cadre de la révision de la directive sur les énergies renouvelables. Or, l’Assemblée Nationale, en plein débat sur le Projet de Loi de Finances, adoptait deux jours plus tard un amendement visant à bannir l’huile palme comme source des biocarburants…contre l’avis du Gouvernement ! Ce faisant, se trouve ravivé un feu qui couvait sous la cendre, tenant aux contradictions du discours d’Emmanuelle Wargon, récemment nommée Secrétaire d’Etat à la transition écologique. Au nom de la cohérence gouvernementale, elle s’était en effet vue contrainte de dénoncer une huile de palme dont elle soulignait pourtant les mérites lorsqu’elle travaillait pour le groupe Danone, rien moins qu’en matière d’alimentation infantile.

Disons-le tout net : au-delà de ces péripéties et de cet amateurisme, il n’y a rien d’étonnant à ce que l’on s’aperçoive qu’au-delà des invectives et des jugements à l’emporte-pièce, la réalité est plus nuancée. Ainsi, au grand dam de ceux qui ne jurent que par les voitures électriques, le bilan environnemental global de tels véhicules, en l’état des techniques, est loin d’être aussi favorable que souhaité (gestion des batteries, terres rares etc.). En ce qui concerne l’huile de palme, contre laquelle certains luttent au nom d’objectifs environnementaux que l’on peut comprendre, une analyse plus serrée amènerait sans doute à tempérer certains excès. Ainsi, l’on s’apercevrait que toutes les méthodes de production ne se valent pas, que certains pays s’efforcent de la produire d’une manière plus respectueuse de l’environnement que d’autres etc.

Plus largement, cette polémique mérite que l’on s’y arrête afin de tenter d’en discerner quelques enseignements. 

Premier enseignement : la question du fonctionnement de nos démocraties et le rapport au réel des gouvernants. Le mot de Jean Claude Juncker est bien connu : « nous savons ce qu’il faut faire, mais une fois en responsabilité, nous ne savons pas comment le faire et cependant nous faire réélire ». Une telle situation est à l’évidence une perversion démocratique. Il n’est pas acceptable, ne serait-ce que pour la crédibilité de l’action publique, si écornée dans nos pays, que le discours change à ce point selon que l’on est dans la société civile ou en responsabilité ministérielle.

Deuxième enseignement : le gouvernement des hommes, pour reprendre la distinction bien connue de Max Weber, est une éthique de responsabilité, et, disons-le, d’efficacité. Par éthique de responsabilité, il faut entendre l’obligation, qui est le fait du gouvernant responsable, de prendre les sujets dans leur globalité. A cet égard, c’est à bon droit qu’en matière d’importation d’huile de palme, les gouvernants remettent cette question en perspective. Il n’est nullement choquant, contrairement aux cris d’orfraie de certains, qu’au moment de prendre des décisions importantes en la matière, les pouvoirs publics les replacent dans le cadre plus large des relations avec des pays tels que l’Indonésie ou la Malaisie, voire que soit pris en compte les intérêts d’un groupe comme Total. Ceci n’est pas aisé. Et c’est bien la conciliation d’objectifs souvent contradictoires (économiques, politiques, environnementaux, sociaux etc.) qui fait le sel des affaires publiques, et du gouvernement un art et non une technique. Concrètement, côté français, la décision prise vendredi soir par quelques députés pourrait avoir, si l’on prend en compte le contexte mondial dans lequel elle s’inscrit, des répercussions commerciales et diplomatiques. Coté pays exportateur, elle pourrait avoir des effets négatifs affectant la position de la France auprès de certains de ses partenaires en Asie. C’est, dire, pour paraphraser F.Bastiat, qu’il faut bien prendre garde, en fait de mesures drastiques dans le champ économique, à « ce que l'on voit et ce que l'on ne voit pas ». 

Dans un tel contexte, il faut prendre garde à ne pas tout mélanger et à perdre la vision d’ensemble.

La protection de la forêt est légitime. Elle n’est pas l’alpha et l’Omega de politiques publiques, souvent moins regardantes quand il s’agit, comme le comportement d’un pays qui se veut « vert » comme l’Allemagne l’atteste, de protéger l’industrie automobile en faisant pression sur les institutions européennes ou en sortant brusquement du nucléaire pour privilégier le charbon pourtant plus grand émetteur de C02. Elle ne se réduit pas non plus à un seul type d’action, mais au contraire à une analyse d’ensemble qui fasse intervenir d’autres acteurs. A cet égard, il n’est pas inutile d’ailleurs de rappeler que les grandes institutions mondiales -FAO, la Banque mondiale, International Food Policy Research Institute et le Cirad - rappellent régulièrement que la production d’huile de palme utilise notablement moins de terre, moins de pesticides et moins d’engrais que toute autre culture. En la matière, il faut aussi se souvenir que le mieux est l’ennemi du bien, et prendre la peine, comme pour la voiture électrique, de faire le bilan complet des coûts et avantages d’une production ou d’une autre. 

En définitive, si l’on veut prendre les Pouvoirs publics au mot dans leur souhait de combattre le populisme, ils doivent aussi faire l’effort de ne pas tomber dans les simplifications faciles. La façon dont le sujet huile de palme est traitée montre qu’il reste, hélas, bien du chemin à faire.

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