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Police dans les écoles : comment la culture d’un bon nombre de profs a produit la situation dont ils se désolent aujourd’hui
©FRED DUFOUR / AFP

Education

Les enseignants du lycée Maurice-Utrillo de Stains, en Seine-Saint-Denis, feront grève lundi pour dénoncer l'arrivée d'un ancien gendarme au poste de proviseur adjoint.

Pierre Duriot

Pierre Duriot

Pierre Duriot est enseignant du primaire. Il s’est intéressé à la posture des enfants face au métier d’élève, a travaillé à la fois sur la prévention de la difficulté scolaire à l’école maternelle et sur les questions d’éducation, directement avec les familles. Pierre Duriot est Porte parole national du parti gaulliste : Rassemblement du Peuple Français.

Il est l'auteur de Ne portez pas son cartable (L'Harmattan, 2012) et de Comment l’éducation change la société (L’harmattan, 2013). Il a publié en septembre Haro sur un prof, du côté obscur de l'éducation (Godefroy de Bouillon, 2015).

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Atlantico : Quelle est la part de responsabilité du corps enseignant dans la situation actuelle des professeurs, confrontés à toujours plus de violence sur leur lieu de travail ?

Pierre Duriot : Bien sûr, à Stains, le terrain est particulier, avec une mairie PCF qui a toujours favorisé le logement social jusqu'à ce qu'il atteigne la moitié des logements sur la ville. Il y a, au premier chef, une faute dans l'aménagement du territoire qui a encouragé à la fois la pauvreté, le communautarisme et l'absence de mixité sociale. Stains approche de la moitié de sa population d'origine immigrée, principalement d'origine arabo-musulmane. Le communautarisme y est légion et le maire, Azzédine Taïbi, est accusé régulièrement d'en faire le jeu, ce qui lui a déjà valu des remontrances de la part de la préfecture. En pratique, tous les problèmes de violence des jeunes sont rapportés à l'incurie supposée de l'état qui ne donnerait jamais assez d'argent.
Mais le monde enseignant, pas seulement ceux de Stains, a aussi une part de responsabilité. Il ferme fréquemment les yeux sur les premiers petits dérapages « communautaires », parce que c'est bien de cela dont il s'agit, en grande partie. Alors on lâche du lest, au nom du respect de la culture allogène et sous les pressions exercées par les intéressés, ce qui a rendu, au fil du temps, la situation invivable. On a cru dans les années 80, qu'en étant « tolérant » face à une partie des dérives religieuses et comportementales, on allait aider à l'intégration et sauvegarder la paix sociale. Il n'en fut rien, ce fut même le contraire. Chaque reculade républicaine a invité le camp d'en face à pousser un peu plus loin les revendications. Cette réticence à appliquer la règle nationale, outre le fait qu'elle soit refusée par une partie de la population, provient de l'autocensure des professeurs eux-mêmes, toujours dans l'angoisse d'être accusés de racisme et d'islamophobie. Une partie d'ailleurs des populations de culture arabo-musulmane persiste à voir dans la laïcité à la française une arme spécifiquement anti-islam, donc islamophobe. Ces professeurs croient en leur métier et c'est parfaitement louable, pensent que l'on s'en sort par le travail, l'instruction et le respect des règles, sont très fiers quand un jeune issu de l'immigration réalise, grâce à eux, un beau parcours scolaire, sont ainsi les promoteurs serviables de l'intégration et de l'assimilation. Mais cela les rend souvent, voire toujours, réticents à désigner des fauteurs de trouble et à nommer les problèmes quand ils sont le fait de ces mêmes populations. Ils ont idéologiquement, le cul entre deux chaises, sont de gauche, font la promotion de l'instruction et du vivre ensemble, mais ferment les yeux sur les attitudes communautaristes et se refusent à dénoncer des élèves perturbateurs d'origine étrangère de peur de passer pour racistes. Pourtant, le fait de se refuser à mentionner clairement l'énoncé d'un problème dérangeant, pas seulement à Stains, aboutit au fait qu'on ne se donne aucune chance de le résoudre. Mais également, on le fait rejaillir sur l'ensemble d'une communauté déjà à la peine avec le système scolaire. Rappelons qu'une trentaine et quelques de pour cent seulement des garçons d'origine nord-africaine atteint le bac, quand la population générale est entre 50 et 60 % et que les enfants de l'immigration asiatique sont à 80 %.

L'arrivée, à Stains, d'un ancien gendarme, résulte des violences survenues dans l'établissement en mars. Que dit l'indignation des professeurs de ce lycée de Stains à la suite de cette nomination ? Est-ce la preuve que la situation n'évolue pas ?

La nature a horreur du vide. Si l'établissement a besoin d'un gendarme, ou si on y met un gendarme en espérant qu'il puisse incarner une forme d'autorité, c'est parce que l'autorité en question doit y faire défaut. Il faut tout de même que ces collègues se rassurent, la reconversion d'anciens militaires et gendarmes en personnel d'encadrement des lycées, comme proviseurs ou conseillers d'éducation, ne date pas d'hier, c'est même vieille une tradition de la maison. Cette indignation correspond au mieux à une idée soixante-huitarde qui voudrait que l'autorité soit une brimade pour le développement psycho-affectif des enfants, un frein à la créativité, à l'épanouissement personnel et aux relations élèves/profs. A penser cela, on confond allègrement autorité et autoritarisme (ce dernier incarné par le militaire), c'est à dire, mise en place de cadres et garantie de la sécurité pour tous, avec la discipline brutale, inhumaine et idiote, qui n'existe plus nulle part, même à l'armée. Au pire, certains pourraient avoir peur qu'un ancien gendarme ne signale, éventuellement, quelques « accommodements » déraisonnables passés au sein de l'établissement public avec des promoteurs locaux de la religion, style tables et vaisselles halals, ou salle de prière discrète, ce ne serait pas une nouveauté en la matière dans ce département.
C'est surtout la preuve qu'une partie de ces professeurs préfère souffrir plutôt que d'être déstabilisée dans ses convictions politiques, alors même que l'idéologie devrait, autant que possible, être reléguée hors des établissements. C'est aussi, considérer que cet homme, proposé par l'administration, incarnerait, non pas une forme d'autorité, mais simplement, la droite honnie et islamophobe par définition. Hormis des questions politiques, on ne voit pas très bien en quoi on pourrait refuser l'arrivée de quelqu'un proposé pour remettre en place des cadres absents ou du moins, pas suffisamment perceptibles au point qu'il y ait des problèmes comportementaux, dans et autour de l'établissement, avec les lesquels il faille se débattre quotidiennement.
Il y a eu des précédents, notamment avec le lycée Gallieni de Toulouse, où le ministre Blanquer avait dépêché une équipe de direction « expérimentée », selon son propre terme, avec finalement, une certaine réussite. Le ministre avait d'ailleurs déclaré à cette occasion : "On n'a pas assez imposé la règle. Désormais la règle sera le principe. Le problème, c'est qu'on laisse faire des petites choses sans les sanctionner : incivilités, insultes, comportements déplacés vis-à-vis des filles... On doit réagir, il doit y avoir des sanctions. Or ça n'a pas été fait ». On retrouve bien, dans le propos, cette tentation de laisser filer évoquée dans ma première réponse, pour, croit-on, obtenir une « paix sociale ».

"Les métiers de l’éducation ne s’improvisent pas", font valoir les professeurs dans une tribune. Quelles solutions envisager, alors ? Cela pourrait-il passer par la formation des professeurs ?

C'est une mauvaise raison, un proviseur adjoint n'est pas chargé d'enseignement, par contre son expérience de gradé dans l'armée en fait justement un spécialiste de l'éducation et du management d'un groupe humain en milieu fermé. Il est donc parfaitement à sa place. Ceci dit, les métiers de l'enseignement ne s'improvisent effectivement pas et un bon professeur n'est pas seulement une tête bien pleine, c'est une personne qui sait poser sa voix, sa gestuelle, travailler et analyser en temps réel sa relation à l'élève et au groupe, se mettre à la place de l'élève, déceler les mouvements de groupe, les points forts et faibles des personnalités des élèves, comprendre les mécanismes d'acquisition de chacun et adapter sa pédagogie pour que tous puissent progresser en fonction de leurs profils différents... c'est évidemment complexe. Non seulement ça s'apprend et justement ça s'apprend trop peu dans les cursus de formation des professeurs, mais également ça se mature au fil des années de pratique et de la persistance des équipes en place, stabilité qui fait régulièrement défaut dans les endroits sensibles.
Il faut développer des cursus de formations adaptés aux publics spécifiques des zones sensibles, à forte majorité immigrée, ou avec des particularismes culturels, ce qui ne se fait pas ou peu. L'administration a, là encore, sont lot de responsabilités, à expliquer d'un côté qu'il faut tenir compte, plus ou moins explicitement, de certains aspects culturels avec lesquels on doit s'accommoder, et considère en même temps, lors de la formation, que les élèves n'ont de particularisme que leur capacité à apprendre : on ne parle que « d'élèves en difficulté », les autres « cultures » étant réservées à des professeurs spécialisés, « Français langue étrangère », ou « Casenave» dans le premier degré.
Mais la formation ne résoudrait pas tout, ce serait croire que seuls les « mauvais » profs sont chahutés, il n'en est rien. Le parcours scolaire est avant tout conditionné par l'envie de l'élève, le projet de ses parents pour leur enfant et les moyens qu'ils se donnent pour arriver à leurs fins. Si la poursuite d'une scolarité longue dépend effectivement de moyens financiers que n'ont pas toutes les familles, l'acquisition des codes de communication et de comportement scolaires, ainsi que l'adhésion à l'école de la République, se jouent dans la prime enfance et ne sont pas des questions de moyens financiers, sinon nous aurions les mêmes problèmes avec tous les gosses de familles pauvres des campagnes françaises déshéritées, or nous ne les avons pas. Pour la part qui lui revient, l'école doit remettre du sens, du cadre, une laïcité de combat, être moins tolérante avec les particularismes religieux et culturels. Mais surtout, se doter d'un arsenal de sanctions dissuasives que pour l'instant seule la correction politique interdit de mettre en œuvre. Une bonne part des élèves a bien compris que l'école ne dispose en pratique d'aucun moyen efficace de combattre violences et incivilités en son sein.

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