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Quand Emmanuel Macron semble ignorer que les seules choses qui nous rapprochent vraiment des années 30 sont les erreurs de politique économique de son gouvernement et des précédents
©Thomas SAMSON / POOL / AFP

Grosse erreur

Dans un entretien dispensé à Ouest France, le président Emmanuel Macron s’est déclaré « frappé par la ressemblance entre le moment que nous vivons et celui de l’entre-deux guerres ».

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Mais au-delà de cette stratégie « moi ou le chaos » en prévision d’élections européennes qui s’avèrent plus compliquées que prévu pour LREM, le terme n’est-il pas un peu fort ?

Michel Ruimy : Alors que, selon un sondage IFOP, 4 Français sur 10 seraient prêts à confier la direction du pays à un « pouvoir politique autoritaire » pour le réformer en profondeur, les propos d’Emmanuel Macron résonnent, de manière particulière, en nous appelant à résister à la menace d’une nouvelle crise pour l’Europe. Il évoque une période où la démocratie, tout juste établie sur les décombres de la guerre, se délite rapidement. Il utilise cette comparaison pour expliquer qu’au fond, il se pourrait que nous soyons, nous aussi, à la veille d’un changement complet de paradigme en Europe, le crépuscule de la démocratie représentative et libérale.

L’Histoire ne se reproduit jamais à l’identique. Cette comparaison est, au plan historique, contestable pour un grand nombre de raisons. Tout d’abord, il y a un siècle, l’Europe constatait les lendemains d’un conflit mondial et l’éclatement des empires. Or, aujourd’hui, nous avons, dans la plupart des pays européens, une expérience relativement longue de la démocratie libérale alors qu’elle était inconnue dans beaucoup de sociétés ayant pris la place des empires en 1918-1919. Ce qui fait la spécificité des années 1930 est l’apparition des modèles totalitaires dans lesquels l’idée de l’individu n’existait plus. Or, nous ne sommes pas aujourd’hui sur ce type de modèle, que ce soit chez Matteo Salvini ou Viktor Orban. Nous sommes en présence d’idées qui remettent en cause les fondamentaux de la démocratie mais pas au point de ce qui existait dans les années 1930. De plus, selon la définition du fascisme, le Rassemblement national et l’Alternative pour l’Allemagne ne relèvent pas de ce courant de pensée.

En fait, Emmanuel Macron fait de la politique et, politiquement, il a des raisons d’utiliser cette comparaison. Depuis quelques semaines, il tient un langage clair sur le fait que l’élection européenne de mai 2019 opposera ceux qu’il appelle les « progressistes » et ceux qu’il appelle les « populistes ». Ce clivage, au risque de diviser durablement, est sa stratégie pour les élections européennes, la même que lors de la présidentielle qui lui avait réussi face à Marine Le Pen et le Front national. Il essaie de montrer qu’il incarne le camp des progressistes et qu’il va relever le gant du défi lancé ouvertement à l’Union européenne par des personnes comme Salvini et Orban. Eux-mêmes, d’ailleurs, ne se sont pas gênés pour le désigner comme leur opposant. La comparaison a d’autant plus de sens qu’Emmanuel Macron explique bien ce qu’il peut advenir de la construction européenne. Il y a bien deux camps, ceux qui pensent que l’Europe est contractuelle et faite de traités et ceux pour qui l’Europe est une réalité ethnique ou ethnoculturelle. Le risque, pour lui, est que la comparaison apparaisse comme une preuve de fébrilité.

Il ne faut toutefois pas se leurrer. Même s’il y a une part de dramatisation des enjeux, ce dont parle Emmanuel Macron est un phénomène que l’on observe tous les jours : les succès électoraux et l’accession aux plus hautes responsabilités de partis qui partagent un même jugement négatif sur la démocratie libérale telle qu’elle fonctionne, qui utilisent une rhétorique de division et montent une partie de la population contre l’autre, dans une logique d’affrontement dont on ne sait pas très bien jusqu’où elle va aller. Quand vous cumulez crise économique, peur identitaire et défiance vis-à-vis des partis politiques traditionnels, vous aboutissez à une situation où la peur domine la raison, où la rupture est vécue comme une solution en soi, où 40% de l’opinion semble se chercher un chef.

Ne sont-ce pas les erreurs de politique économique qui ont contribué à accentuer les inégalités qui ont favorisé ce climat « années 1930 » ? Quelles ont pu être ces erreurs de politique macroéconomique qui pèsent sur les plus défavorisés aussi bien au niveau intérieur que sur la scène européenne ?

La victoire d’Emmanuel Macron à l’élection présidentielle française a été une bonne nouvelle pour les partisans de l’Europe. Mais soyons réalistes, ce qui s’est passé depuis un moment (Brexit, politique économique de M. Trump…)  ne peuvent pas être effacés par cette victoire. Ces différents scrutins ont mis en exergue une fracture sociale et culturelle entre les partisans d’une société ouverte et inclusive et ceux qui prônent le repli sur soi et l’intolérance. L’identité et l’universalisme sont devenus deux pôles opposés au lieu de progresser main dans la main.

Ce clivage est l’illustration de la division entre les « nantis » et ceux qui vivent moins bien. Les premiers soutiennent cette communauté ouverte et progressiste alors que les seconds sont attirés par le retour des thèmes identitaires en politique. Marine Le Pen a été ainsi en capacité d’arriver en tête dans les régions les plus défavorisées et désindustrialisées de France et a, en outre, obtenu la majorité des suffrages chez les ouvriers. Les délocalisations de nombreuses usines ont créé des déserts industriels, d’énormes poches de chômage et de précarité. Dédommager les travailleurs qui ont perdu leur emploi est insuffisant. Nous devons empêcher les délocalisations et la désindustrialisation et non en atténuer les effets. Nous devons piloter la mondialisation et ne pas être dirigés par elle d’autant que l’adaptation à la révolution numérique pourrait créer de nouvelles inégalités entre la main d’œuvre qualifiée et celle non qualifiée. Cette fracture est ainsi le fruit empoisonné d’une mondialisation mal maîtrisée qui a suscité d’énormes avantages pour quelques-uns mais aussi provoqué de sévères dommages dans certains territoires et pour certaines catégories sociales.

De son côté, l’Union européenne, et la zone euro en particulier, reste inachevée : hétérogénéité des structures productives, des systèmes fiscaux, des réglementations régissant les marchés du travail… Elle ne peut ignorer les effets dévastateurs du libre-échange dans certains secteurs. Elle en prend peu à peu conscience et entend y remédier autant que faire se peut en prenant en compte les réticences des peuples. Toutefois, elle ne cède pas au protectionnisme à la manière de M. Trump et reste fondamentalement attachée au « doux commerce » entre les nations, cher à Montesquieu, facteur de paix et d’enrichissement. Mais elle ne peut ignorer les « trous noirs » de la mondialisation : développement des inégalités, concurrence déloyale ou peu maîtrisée, secteurs économiques laminés.

Or, s’il est vrai que les changements profonds et rapides qui ont assailli l’Occident ont pris de court les options idéologiques du XXème siècle, il est aussi indéniable que l’offre politique doit être renouvelée. En effet, le caractère social-démocrate des choix fondamentaux de l’Europe de ces dernières années est peu clair et la plupart des électeurs, en particulier les plus vulnérables au changement des dernières années, veulent une autre Europe. Une Europe réconciliée devrait promouvoir une politique sociale ambitieuse au cœur de son agenda afin de lutter contre la pauvreté et la précarité.

Entre la hausse de la CSG, les taxes carbone etc., ne sommes-nous pas dans la continuité des gouvernements précédents et dans la continuité de l’accroissement des inégalités ?

Dès son élection, Emmanuel Macron a voulu donner une impulsion nouvelle en entreprenant une vaste réforme des finances publiques. Il a prévu une forte restriction de la dépense publique sur le quinquennat pour financer des baisses d’impôts. De plus, comme il entend respecter ses engagements européens, le gouvernement va devoir notamment gérer et résoudre une équation budgétaire complexe car le maintien d’un déficit budgétaire inférieur à 3% du Produit intérieur brut dans le contexte économique actuel sera insuffisant compte tenu des règles européennes à moyen terme. L’austérité semble ainsi une option non seulement possible, mais également durable.

Par ailleurs, selon une étude de l’OFCE, les mesures fiscales du gouvernement profiteront surtout aux plus « riches », montrant l’attachement de l’exécutif à la théorie du « ruissellement » de la richesse (ou « premier de cordée ») et de son refus de faire face au creusement des inégalités. En outre, si le gouvernement prétend défendre le pouvoir d’achat, notamment par la bascule des cotisations salariales vers la CSG, l’ensemble de la politique gouvernementale tend plutôt, au regard des expériences passées, à soutenir l’idée d’une politique intrinsèquement déflationniste pour les rémunérations.

Nous observons ainsi un changement dans la continuité.

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