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Merkel, chancelante Chancelière
©TOBIAS SCHWARZ / AFP

Allemagne

Le pouvoir use, même si les résultats économiques passés d’Angela Merkel sont très bons – preuve qu’ils ne sont pas, aujourd’hui, l’essentiel. Aujourd’hui, tout dépend de l’idée que les gens se font du futur, donc de l’économie qui ira avec.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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En 10 ans, le PIB réel allemand a en effet augmenté de 12%, effaçant une crise qui l’avait fait baisser de plus de 6%. En dix ans, la dette publique atteint moins de 64% du PIB, moins que son ratio de 2008 (65%), effaçant un pic à 81% au pire de la crise (2010). En dix ans, le taux de chômage est passé de 8 à 3,4%, faisant de l’Allemagne le grand exportateur mondial, avec un excédent de ses comptes courants de 8%, le premier du monde. En dix ans, la bourse (le DAX) a augmenté de moitié et le taux d’intérêt à 10 ans sur la dette publique est passé de 4 à 0,5%. On pourrait continuer, avec cette remarquable série de succès.

Bien sûr, ce palmarès suscite critiques et envies. Critiques au sein de la zone euro, où l’égoïsme de l’Allemagne est critiqué : des résultats extraordinaires à l’export certes, mais parce que le pays consomme trop peu, épargne trop, donc exporte trop. L’Allemagne bénéficie alors des voisins qui sont en déficit extérieur. Ils contribuent ainsi à un euro faible, bien utile à l’exportatrice Allemagne. L’euro-France est ainsi trop fort de 10% au moins, l’euro-Allemand trop faible de 15% au moins. On dira que l’Allemagne est peut-être un modèle d’efficacité et de vertu, mais qu’elle ne joue pas assez le jeu en soutenant ses voisins moins vertueux qu’elle – et qui deviennent populistes, à l’Est et au Sud.
Envies de la part des Etats-Unis, où Donald Trump ne cesse de stigmatiser l’excédent commercial allemand, premier du monde, largement manufacturier, pour ne pas dire automobile. Le Président américain n’entend pas les réponses allemandes, mettant en avant l’importance des productions allemandes aux États-Unis mêmes.
Mais ce qui semble expliquer les derniers résultats électoraux, et revers politiques, d’Angela Merkel, est plus une inquiétude sur le futur. Cette inquiétude ne concerne d’ailleurs pas seulement son parti, mais aussi le parti socialiste : les érosions du SPD et de la CDU sont parallèles. On dira que les verts gagnent, et aussi bien sûr et surtout l’extrême droite, en même temps que les thèmes de la CDU se « droitisent », mais en apparence pas assez.
En fait, ce n’est pas l’économie allemande qui est malade, même si on peut critiquer la faiblesse des services allemands (et leurs faibles salaires – les deux étant liés), s’inquiéter des problèmes de leurs banques, s’interroger sur leur politique énergétique (éolien cher et inefficace, gaz russe, lignite polluant) ou, plus sérieusement encore, sur la faiblesse de leurs dépenses de défense. 
C’est la société, vieillissante, qui s’inquiète de son futur, et épargne tant, s’inquiète des comportements de ses voisins (sudistes), et des risques qu’ils lui font courir dans le cadre de la zone euro. En 2016, même si on se félicite d’un rebond des naissances à 792 000, il y a eu 911 000 décès. Le solde naturel est toujours négatif et, même si les autorités se félicitent du passage du taux de natalité au-dessus de 1,5 (une première depuis 1982), ce chiffre reste évidemment insuffisant. L’Allemagne se réduit, vieillit, a moins de jeunes que les autres grands pays européens. L’Allemagne compte 82 millions d’habitants en 2016, contre 67 pour la France et 65 pour le Royaume-Uni. Mais en 25 ans l’Allemagne a gagné 2,5 millions de personnes, la France 8,2 et le Royaume-Uni 8 millions.  Début 2016, 21% des habitants de l’Allemagne avaient 65 ans et plus contre 15% 25 ans auparavant, 6 points de plus, à comparer avec 5 points de plus pour la France (de 14 à 19%). En 1991, la part des jeunes de moins de 25 ans était 35% en France, 34% au RU et 30% en Allemagne. Début 2016, nous avons 30% pour la France et le Royaume-Uni, 24% en Allemagne. Moins nombreux et plus vieux : un certain déclin démographique frappe l’Allemagne, quand vient la crise migratoire. L’Italie se trouve d’ailleurs dans la même solution. « Techniquement », pour reconstruire sa pyramide des âges, l’Allemagne devrait recevoir plusieurs centaines de milliers de personnes pendant plusieurs années : ceci n’est pas concevable.
Au fond, celle que les Allemands nommaient Mutti, maman, n’est pas victime de l’économie, de Trump ou de la zone euro, mais de la montée des périls qui agressent une société qui doute de son devenir, même si son avenir économique semble assuré. Au-delà, il faudra bien trouver des solutions : deux voies se présentent, opposées : celle d’une intégration européenne plus poussée, l’Allemagne acceptant plus de souplesse et de risques, ou celle d’une réduction de l’intégration, avec plus de responsabilités aux niveaux nationaux. Au fond, Merkel a tenté de repousser des solutions tranchées, et s’y est usée à jouer les prolongations et les appels à la responsabilité de chacun. Mais la zone euro, du fait de l’euro lui-même, conduit à des différences croissantes en fonction des innovations et des jeunesses de chacun. C’est l’autre côté de la montée des nationalismes que nous vivons, pour bien comprendre les enjeux.

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