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Jeu des "10 familles" d’électeurs : la fascinante étude britannique qui permet de s’y retrouver dans l’atomisation des familles politiques traditionnelles occidentales
©Tolga AKMEN / AFP

Radiographie des citoyens

Une nouvelle étude publiée par The Independent au Royaume-Uni démontre que la classe sociale n'explique plus le vote en général. En réalité, 10 "clans de valeur" permettent de prédire le comportement du vote.

Bruno Jérôme

Bruno Jérôme

Bruno Jérôme est économiste, maître de conférences à Paris II Panthéon-Assas.

Il est le co-fondateur du site de prévisions et d'analyses politico-économiques Electionscope.

Son ouvrage, La victoire électorale ne se décrète pas!, est paru en janvier 2017 chez Economica. 

Bruno et Véronique Jérôme ont aussi publié Villes de gauche, ville de droite: trajectoires politiques des municipalités françaises 1983-2014,  Presses de Sciences-Po, 2018, en collaboration avec Richard Nadeau et Martial Foucault.

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Atlantico : Au Royaume-Uni, le vote de classe n'explique plus le vote en général. De nouveaux "clans" se dessinent. Autour de quels enjeux et de quelles valeurs ?

Bruno Jérôme : Au Royaume-Uni, la thématique principale, c'est le sentiment d'appartenance à l'Europe. Quand on regarde les eurobaromètres, on voit clairement que le Royaume-Uni et la France sont dans le peloton des pays qui considèrent qu'on n'a rien à retirer de la construction européenne. Parmi les enjeux, il ne faut pas aussi oublier les enjeux économiques nationaux. Au Royaume-Uni, cela se structure autour des thèmes de l'emploi, du pouvoir d'achat, qui arrivent d'ailleurs devant les thèmes purement sociaux. On parle de vote d'enjeux. Outre-Manche, il y a aussi une forte disparité géographique. Les zones fortement urbanisées sont plutôt sont intéressées par l'enjeu européen. Dans le périurbain, le rural, le chômage le pouvoir d'achat prennent le dessus. Au Royaume-Uni, il y a une multitude de camps morcelés, beaucoup de clans. L'accentuation produite par le Brexit s'est faite autour du clivage entre ceux qui sont enracinés, ceux qui sont plus mobiles, qui sont urbains, qui font partie des CSP hors les CSP + et de l'autre côté un électorat intellectuel, CSP+ qui est mobile, urbanisé et qui ne rejette pas la mondialisation. Le clivage se situe là, y compris en France.

En France, connaît-on le même phénomène de segmentation des opinions politiques non plus en fonction de la classe d'appartenance mais en fonction de "valeurs" face à des enjeux définis ?

En France, il y a un camp pro-mondialisation, pour le nomadisme économique, un autre plus conservateur, traditionnaliste, resserré autour des questions d'identités. Et puis il y a un camp mouvant, purement consumériste. Ces clivages sont apparus lors du dernier référendum en 2005 sur l'Europe et sur le traité constitutionnel. Ce vote transcendait déjà largement les partis politiques de l'époque. Mais pour moi, c'est le seul exemple qu'on trouve en France. Par la suite, c'est beaucoup plus complexe.  Si on prend le cas des élections européennes, il y a un vote contestataire contre le système, contre l'institution de l'Europe et qui est majoritaire à chaque élection européenne. Il y a néanmoins un noyau dur qui continue à voter sur la sanction ou non du gouvernement, à l'occasion des élections européennes. On vote aussi pour des considérations nationales. Malgré tout, le vote de classe existe toujours en France, mais les classes ont quitté leur camp naturel. Le mouvement a commencé il y a trente ans – lorsque Pascal Perrinault parlait d'une gauche lepéniste. Les ouvriers votaient communistes et dans certains bassins ils se sont mis à voter Front national. Le vote de classe a délaissé les clivages d'origine mais n'a pas disparu. De même, le vote des classe moyenne existe, mais il est éclaté sur plusieurs formations politiques en attendant qu'un jour une formation politique reprenne le parti des classes moyennes. On retrouvera en partie un vote de classe. Le vote de classe n'est plus ce qu'il a été il y a cinquante ans. Les partis ont délaissé la représentation d'une classe. On est entré dans une ère où l'on vise sa clientèle, l'électorat médian. On vise cette frange qui ne demande pas mieux que de se déplacer, de zapper. En revanche, il y a plus d'une classe sociale qui doit se sentir orpheline car il n'y a plus de parti qui les représentent. L'éthos de classe n'a pas disparu, il est en manque d'être représenté. En outre, je suis assez partagé sur la question du clivage progressiste/conservateur. Est-ce un clivage profond ou fabriqué ? Quand vous interrogez les Français sur l'Europe avec des questions détaillées, vous vous apercevez que globalement les Français ne rejettent pas l'Europe. Le problème, c'est le rejet de ce qui se décident par en haut, de la technocratie bruxelloise. Ce qui les chagrine aussi c'est la perte de souveraineté progressive. Si aujourd'hui on faisait un référendum sur le Freixit, je ne suis pas persuadé que le oui l'emporte. Ce serait sûrement serré. Ils disent aussi que l'euro n'est pas la panacée. Mais delà à passer à quelque chose qui est inconnu, pas sûr que les Français franchiront le pas. Je suis persuadé qu'il y a un électorat au milieu de l'électorat progressiste et l'électorat populiste. Le problème c'est que personne ne lui répond.

Quelles "valeurs" sont aujourd'hui identifiables dans le paysage politique français ?

Les valeurs tournent pour beaucoup autour des références culturelles. Dans les zones rurales, il y a un vote de clocher en dépit des mutations qu'on a connues – urbanisation. C'est un vote proche des traditions, de l'alimentation, du bien-être local. Il y a aussi un vote qui concerne les frontaliers qui généralement sont soit très craintifs vis-à-vis de l'ouverture, soit complètement le contraire. En 1992, dans les territoires, ce qui fait passer le "oui" c'est une croyance en l'Europe et aux bienfaits de l'ouverture. En 2005, le front se renverse. Pour les départements frontaliers, il y a une crainte avérée de l'ouverture – immigration, économie, mondialisation…Toutefois, il y a des scrutins pour lesquels il reste finalement un clivage droite-gauche. Par exemple aux municipales, à la présidentielle, on retrouve des noyaux durs à droite et à gauche. 2017 a pu être un accident parce que l'élimination de François Fillon a contribué largement à déséquilibrer le spectre politique. Dans les élections intermédiaires le clivage peut parfois éclater. L'âge rentre aussi dans les critères socio-démographiques, à rattacher au vote de classe. Ce vote a un poids. Pensez aux retraités vis-à-vis de la fiscalité ou des prélèvements sociaux. On sait très bien que le vote des 60+ est beaucoup plus conservateur, qu'il tend d'ailleurs à se radicaliser. Le vote jeune est plus complexe parce qu'il s'apparente à un vote consumériste. Il est très solide au Front national, mais pour les autres électorats jeunes, il a du mal à se figer.

Ces données sont-ils utiles pour prédire le vote ? Y a-t-il des limites à ce modèle ?

Le problème de cette explication du vote, c'est qu'on s'aperçoit depuis 50 ans qu'il n'existe pas de modèle pur explicatif. Il y a eu des modèles dont les fondements étaient les classes sociales. D'autres basés sur le modèle consumériste, dit de l'électeur médian. Il y a aussi un modèle de vote idéologique, sur un axe droite-gauche. Et un vote économique – qui est le fait de voter en particulier sur les enjeux économiques et moins sur les problèmes de valeurs. Ce vote économique est toujours important. Quand on veut modéliser le vote, on doit construire des modèles hybrides, prendre des ingrédients sur tous les modèles. On est obligés de trouver les ponts qui peuvent exister entre ces genres de vote.  Les valeurs françaises sont à relier aux enjeux. Il est évident que l'intégralité du territoire se recoupe avec les problèmes de protection vis-à-vis de l'immigration. La notion de territoire reprend du poil de la bête dans le contexte actuel. Tout cela est à peser à côté des enjeux économiques qui restent très loin devant compte tenu du choc fiscal que les Français connaissent depuis deux ans. 

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