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Droit de vote, mariage, travail des handicapés mentaux : pourquoi la conception de la dignité humaine que développe le gouvernement est particulièrement inquiétante
©PHILIPPE LOPEZ / AFP

Géométrie variable

A l'occasion du comité interministériel du Handicap, la secrétaire d'Etat chargée des Personnes handicapées Sophie Cluzel a annoncé l'intention du gouvernement d'ouvrir le droit de vote et le droit au mariage aux personnes handicapées sous tutelle. Sous prétexte de refuser la discrimination, le gouvernement s'engage dans l'égalitarisme, au risque de perdre pied avec la réalité.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico : Selon la définition du ministère de la justice, une personne est sous tutelle « si elle n'est plus en état de veiller sur ses propres intérêts ». Concernant le droit de vote, comment concilier un principe d'incapacité et un pouvoir décisionnaire sur les intérêts de la société ?

Bertrand Vergely : L’annonce du gouvernement est bien floue. Qui sont les personnes sous tutelle à qui on permet désormais de se marier ? Le gouvernement a l’air de dire que ce sont des personnes qui, si elles ont des difficultés à faire face aux obligations objectives de l’existence, n’en sont pas moins capables d’avoir une vie non seulement affective mais mariale. Ce qui laisse perplexe. 
Il y a une contradiction dans le fait d’autoriser les personnes mises sous tutelle de se marier et de voter. On ne peut pas à la fois être incapable de s’occuper de ses propres intérêts et prétendre s’occuper des intérêts de la France. En outre, il faut regarder les choses en face,  quand on est vraiment handicapé on n’est pas apte au mariage. Quand on est apte au mariage, on n’est pas handicapé. Si les personnes mises sous tutelle sont capables de se marier, pourquoi les mettre sous tutelle ? Supprimons la tutelle.
En France, 45% des mariages finissent par un divorce. Signe que le mariage est déjà difficile pour les personnes non handicapées et non mises sous tutelle. Si  le mariage est difficile pour ces personnes dites « normales », comment va-t-il pouvoir ne pas l’être pour des personnes handicapées ?
Le mariage implique des contraintes. On s’en est aperçu à l’occasion du mariage pour tous. Qui dit mariage dit divorce. Comment les handicapés mentaux vont-ils s’y prendre pour faire face au divorce si jamais l’occasion se présente ?   
La volonté de la part du gouvernement de considérer les handicapés comme des personnes à part entière est assurément louable. Il n’en reste pas moins que l’on peut s’interroger : n’en fait-il pas trop ? N’est-il pas en train d’oublier que le mieux est l’ennemi du bien ? N’est-il pas de ce fait la victime de la mode actuelle qui veut que l’on soit sans cesse innovant en matière d’égalité en  communiquant à ce sujet par des annonces afin d’épater le ponde autour de soi et notamment les medias ? 
Quand le handicap est léger, on comprend qu’il puisse y avoir égalité entre les personnes handicapées et les autres citoyens en matière de vote et de mariage. Mais, quand le handicap est lourd, comment une telle égalité est-elle réalisable ?  Est-il possible à des handicapés mentaux lourds de voter et de se marier ?  Quand on a des difficultés de compréhension dans la vie quotidienne, comment ne pas avoir des difficultés de compréhension quand il s’agit de voter ?  Et quand on a déjà des soucis avec soi-même comment assumer les soucis du mariage ?  

La volonté d'égalité ne risque-t-elle pas d'avoir des effets pervers comme de l'abus de faiblesse pour les principaux concernés autant que pour la société ?

Ce qui risque de se passer surtout, c’est un retour dans l’atmosphère difficile. 
L’égalité n’implique pas que des droits. Elle implique aussi des devoirs et des obligations. Quand on vit dans un régime d’égalité il faut pratiquer celle-ci. Comment les handicapés vont-ils faire pour devenir l’égal des autres ? Pratiquement parlant, cela va demander qu’il y ait à leurs côtés des assistants au vote et au mariage. Va-t-on pouvoir trouver ces assistants ? Va-t-on pouvoir les former et les payer ? On cherche déjà à réduire les dépenses de santé. Comment va-t-on faire pour les augmenter à cette occasion ? 
Si les handicapés se mettent à faire des enfants, comment vont-ils faire pour les élever ? Ne vont-ils pas devoir vivre avec à demeure des aises pour les seconder dans cette responsabilité ? Pour les handicapés qui ont déjà tant de mal, cela ne va-t-il pas être épuisant ? Et pour la société également ? 
Quand la justice décide que désormais les handicapés mentaux vont avoir le droit de se marier comme les autres se rend-t-elle compte de ce qu’elle fait ? A-t-elle imaginé le coût que cela va représenter ? N’espère-telle pas secrètement que cette loi va exister mais que personne ne va s’en servir ? 
À l’occasion des projets sociétaux ultra-permissifs qui sont en chantier actuellement on entend souvent dire que ces projets concernent tellement peu de gens qu’on peut bien les faire. Cette attitude n’est-elle pas de l’hypocrisie mêlée de mauvaise foi ?  On se rend compte que quelque chose de généreux que l’on propose n’est pas réalisable, mais on ne veut pas reconnaître que l’on a tort et faire machine arrière. Pour continuer à paraître hypocritement généreux, en toute mauvaise foi, on déclare que cela va concerner tellement peu de gens qu’on peut bien le faire. Cela ne coûtera pas grand chose. N’est-ce pas ce que l’on est en train de faire ? 
Dans les années quatre-vingt, lorsque Michel Foucault a sorti son livre Histoire de la folie à l’âge classique, un débat a eu lieu avec Marcel Gauchet à propos de ce livre.  Michel Foucault voyait dans la création de l’hôpital psychiatrique un « grand enfermement » mettant à l’écart les « fous » du reste de la société en les excluant de façon arbitraire. Marcel Gauchet voyait, lui, dans la création de l’hôpital psychiatrique, une protection des « fous », la vie dans la société étant très brutale, alors que la vie en hôpital est plus douce, plus protectrice. La question qui se pose aujourd’hui n’est-elle pas du même ordre ? 
Quand on met les handicapés à part, est-ce pour les discriminer ? N’est-ce pas pour les aider ? Il n’est pas aisé de voter ni de se marier. Quand on est handicapé, n’est-ce pas encore plus difficile ? Voter est un souci, comme le mariage. Quand on est handicapé n’a-t-on pas assez de soucis ? Faut-il en rajouter ? 
Marcel Gauchet a mis l’accent sur quelque chose de juste. Quand on est handicapé, on a certes besoin d’être considéré comme une personne à part entière, mais on a aussi besoin d’une attention particulière. Considérons un handicapé comme une personne à part entière sans lui donner l’attention particulière dont il a besoin, celui-ci va se sentir rejeté. L’égalité qu’on va lui offrir risque de  ressembler  à ce qui se passe quand, quelqu’un souffrant, on lui dit : « Allons. Allons. Tu ne souffres pas. Tu es comme tout le monde. Sois comme tout le monde. Arrête de te plaindre ». Il n’est pas sûr qu’en voulant à tout prix supprimer l’écart qu’il y a entre les personnes dites « normales » et les personnes handicapées on protège les personnes handicapées. 
Nous vivons dans un monde qui a du mal à accepter la notion de limite. Tout n’est pas possible. Il y a des équilibres à respecter et de ce fait des limites à ne pas franchir. On s’en aperçoit à l’occasion de l’écologie. En ce qui concerne la société également. À l’image de la Nature la société est un écosystème. Une personne handicapée a beau être une personne aussi digne que les autres, elle requiert des soins spécifiques qui n’en font pas « une personne comme une autre ». Arrêtons donc de voir de la discrimination là où il n’y en a pas. L’antiracisme est en train d’aveugler et de ne pas aider les personnes qu’il prétend aider. 
Racine dans Les plaideurs a vu qu’avec l’apparition de la loi humaine à la place de la loi morale ou divine la société allait basculer dans une folie procédurière. Avec la loi juridique la société est en train de basculer dans la folie juridique. Elle s’imagine qu’avec la loi il est possible de tout faire. Le handicap serait une création mentale et culturelle qu’il serait possible de supprimer par une loi et un droit interdisant d’appeler un handicapé un handicapé. Déjà on ne parle plus d’aveugle mais de mal voyant, de sourde, mais de mal entendant, de nain, mais de personne subissant un défi vertical, d’obèse, mais de personne angulairement déviée, de paralysé, mais de personne à mobilité réduite. On fait du Michel Foucault et du « grand enfermement » à propos de tout. 
Comme il n’est pas possible de lutter contre ce travers sans se faire traiter hystériquement  de raciste, ce travers devient ridicule, pathétique et pitoyable. Dans Le misanthrope de Molière, Alceste à force d’être systématiquement révolté contre le monde finit par jouer son propre personnage. L’antiracisme ressemble à ce ridicule.    À force d’être systématiquement antiraciste, il  n’est plus antiraciste. Il joue à l’être et  ne devient plus crédible, les premiers à s’en rendre compte étant les vrais antiracistes eux-mêmes.   

Comment expliquer la différence d'approche d'Emmanuel Macron sur la question de la "dignité humaine", invoquée quand il s'agit des handicapés mais pas quand il s'agit de la GPA par exemple ? N'y a-t-il pas une forme de contradiction philosophique ?

Il y a effectivement aujourd’hui de la part d’Emmanuel Macron un flou plus qu’artistique concernant la question de la dignité humaine. 
Si l’on prend le mariage pour tous, on s’aperçoit que si, pour la PMA, la dignité des couples de femmes qui veulent avoir des enfants est reconnue, la dignité de l’homme pour faire des enfants, du père pour les élever, de l’enfant désireux d’avoir un père est, elle, mise à la trappe. 
Pour l’instant, il n’est pas question de légaliser la GPA parce que, est-il dit, il va y avoir exploitation économique  du ventre de la femme. Résultat, la dignité du couple d’hommes n’est pas reconnue. Les couples d’hommes n’ont pas les mêmes droits que les  couples de femmes. Ils sont discriminés. 
D’une façon générale, alors que l’on parle de la dignité de la personne handicapée, dans les projets à venir on ne parle pas de la dignité de l’enfant. Si quand il s’agit de permettre aux couples homosexuels d’avoir des enfants il est beaucoup question de la dignité de ces couples, il n’est absolument pas question de l’enfant. Son droit d’avoir un père et une mère, son besoin d’avoir un père et une mère, sa souffrance de ne pas avoir un père et une mère, personne n’en parle. Quand il en est question, celle-ci est balayée d’un revers de la main en disant « L’enfant s’adaptera » ou « Ça existe déjà, des tas d’enfants n’ont pas de père ou pas de mère et s’en tirent très bien » ou « L’important, c’est l’amour. » ou « Qu’est-ce que tu es ringard. La famille avec un papa, une maman, mais c’est fini. C’est d’un autre temps. Sois de ton temps. Réveille toi ». 
À l’heure des Organisations Humanitaires Non Gouvernementales nous avons affaire à une Organisation Égalitaire Très Gouvernementale. Tous les chemins mènent à Rome, dit-on. Tous les chemins mènent à la Com, convient-il d’ajouter. Dans la société du spectacle qui est la nôtre, nous assistons au spectacle égalitaire. Comme on dit : « Par ici la monnaie, il y en aura pour tout le monde ». 

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