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Glyphosate et questions environnementales : le seul domaine où le gouvernement change de cap (mais comment espérer gagner la bataille de l’opinion sans l’assumer) ?
©JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP

Girouette

Le nouveau ministre de l'Agriculture Didier Guillaume entretient le flou sur le calendrier concernant l'interdiction du glyphosate d'ici à 2020. Il avait tout d'abord évoqué un possible report de l'échéance avant de se rétracter.

Marcel Kuntz

Marcel Kuntz

Marcel Kuntz est biologiste, directeur de recherche au CNRS dans le laboratoire de Physiologie Cellulaire Végétale. Il est Médaille d'Or 2017 de l'Académie d'Agriculture de France

Il est également enseignant à l’Université Joseph Fourier, Grenoble.

Il tient quotidiennement le blog OGM : environnement, santé et politique et il est l'auteur de Les OGM, l'environnement et la santé (Ellipses Marketing, 2006). Il a publié en février 2014 OGM, la question politique (PUG).

Marcel Kuntz n'a pas de revenu lié à la commercialisation d'un quelconque produit. Il parle en son nom, ses propos n'engageant pas son employeur.

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  1. Atlantico : Le nouveau ministre de l'Agriculture Didier Guillaume entretient le flou sur le calendrier concernant l'interdiction du glyphosate d'ici à 2020. Il avait tout d'abord évoqué un possible report de l'échéance avant de se rétracter. En quoi cette décision marque-t-elle un vrai changement de cap de la part du gouvernement ?

    Marcel Kuntz : Revenons en arrière : l’environnementalisme a eu le mérite d’alerter sur les impacts des activités humaines sur l’environnement. Mais le mouvement est rapidement devenu idéologique, avec ses tabous (historiquement les pesticides de synthèse, le nucléaire civil, etc.).  Malgré ses dérives dogmatiques, le mouvement a su s’imposer depuis une vingtaine d’années comme incontournable pour toute question environnementale. Le « nouveau monde » macronien ne fait pas exception : le ministre de l’environnement (quelle que soit son appellation) doitadhérer à l’écologie d’idéologie. Il est tentant pour les politiques de s’illusionner sur les bénéfices électoraux que procurerait une telle nomination. Pour conserver cet« écologiste » au gouvernement, il faut pratiquer un numéro d’équilibriste : ne pas tout lui céder, car des pans entiers de l’économie s’écroulerait (et la France n’a pas besoin de cela…), mais lui faire quelques concessions jugées mineures (citons l’abandon de l’aéroport de Notre-Dame des Landes et …  du glyphosate !). S’étant engagé dans cette voie anti-glyphosate, il faudrait au gouvernement un contexte de confiance (ce qui n’est pas le cas) pour sortir de cette posture politicienne.Le nouveau ministre de l'Agriculture Didier Guillaume, comme son prédécesseur, doit donc aussi être équilibriste.

    La dangerosité du glyphosate fait-elle consensus au sein de la sphère scientifique ? 

    Le consensus scientifique est clair : le glyphosate est faiblement toxique, n’est pas un perturbateur endocrinien et n’est pas cancérigène. Ayant dit cela, il convient de définir un consensus scientifique comme une analyse, basée sur un examen rationnel des données scientifiques, largement partagée par les spécialistes d’un sujet donné.  Ce qui suppose d’examiner la pertinence et les limites de chaque étude disponible. Toutes les études ne se valent pas : il faut donc les hiérarchiser. Les scientifiques ont l’habitude de débattre afin d’établir un tel consensus. Il finit par s’établir assez naturellement, surtout pour des molécules anciennes comme le glyphosate.

    Il est important de garder en mémoire qu’un consensus n’est pas synonyme d’unanimité ! Sur des sujets idéologisés (comme les pesticides), il n’y aura jamais unanimité.Pour le glyphosate, il faut préciser que seule une agence scientifique (le CIRC)  l’a classé « cancérogène probable », ce qui fut réfuté par toutes les autres agences (une douzaine d’autres de par le monde). L’étude épidémiologique jugée la meilleure n’a pas trouvé de lien entre utilisation du glyphosate et cancers.

    Comment peut-on expliquer que les politiques n'assument pas le combat de la rationalité scientifique ?

    J’ai mentionné l’obsession des politiciens pour la prochaine élection… Mais essayons de voir aussi le positif : les gouvernements, et l’Union européenne, ont créé des agences d’évaluation scientifiques des risques (ANSES, EFSA, etc.). Leur rôle au service du bien commun (hors idéologie) est très important. Ces agences contribuent à formaliser le consensus scientifique évoqué ci-dessus (bien au-delà du glyphosate). Malheureusement, dans le dossier du glyphosate, leur avis – rassurant – n’a pas été retenu, au profit du seul avis alarmiste, archi-minoritaire et scientifiquement discrédité du CIRC. Peut-être que la situation eut été plus facile à comprendre pour les citoyens si les organismes de recherche (CNRS, INRA,  etc.) avaient eu le courage de diffuser ledit consensus scientifique. Après tout c’est aussi leur mission…. Peut-on espérer que lesdirigeants du pays assument le combat de la rationalité scientifiquesi les dirigeants des organismes de recherche ne l’assument pas eux-mêmes ?

    Le politique et l'émotionnel ont-ils pris le pas sur le débat scientifique ?

    Personne ne revendique un gouvernement des scientifiques ! D’un autre côté, est-il dans l’intérêt général de prendre des décisions politiques contraires aux faits établis par les scientifiques grâce à l’argent du contribuable ?Faut-il se soumettre à l’émotion que certains marchands de peur auront réussi à instiller pour manipuler l’opinion publique ?

    Mais élargissons la question : distinguer le vrai du faux est-il encore la priorité des sociétés postmodernes ? Ne favorisons-nous pas la concurrence victimaire dans tous les domaines (et en l’occurrence des victimes supposées des pesticides, même sans preuve) ? En oubliant les apports des technologies (en l’occurrence agricoles).

    Le ministre de l'Agriculture Didier Guillaume n’a donc pas fini de faire l’équilibriste face à cette pensée dominante qui ne peut envisager d’autre solution qu’étatique, assortied’interdictions, encore et encore.

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