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Cette irruption grandissante du religieux qui perturbe les entreprises dans un silence assourdissant
©LOIC VENANCE / AFP

Atlantico Business

Le fait religieux concerne plus de 20% des entreprises mais, entre le droit assez flou et la pratique parfois assez brutale, beaucoup de managers restent perdus dans une certaine ambiguïté.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Officiellement, on n’en parle pas. Ni dans les syndicats, ni dans la classe politique, ni le législateur qui planche pourtant sur la raison d’être de l’entreprise. Les chefs d’entreprise, pour leur part, sont les premiers concernés. Ils sont très prudents et discrets concernant la gestion des pratiques religieuses. Ce qu’on sait, c’est que le fait religieux aurait cessé de progresser dans les entreprises depuis 2017, année de la reprise économique. Mais aujourd’hui, les manifestations  religieuses, chez les jeunes notamment, paraissent plus déterminées et affirmées. Il y a sans doute une corrélation entre le climat économique, l’emploi et l’importance du fait religieux dans l’entreprise. En période de forte reprise de l’activité et de la création d’emplois, le fait religieux recule, mais dès que la croissance s’essouffle et que les créations d’emplois se tassent (ce qui a été le cas depuis le début de l’année 2018), les pratiques se durcissent un peu. 

Les chefs d’entreprise cherchent en permanence à traiter et à anticiper les difficultés qui peuvent survenir dans la gestion des personnels compte tenu de la cohabitation de communautés différentes. 
Le club entreprise de la fondation Sainte Geneviève propose aux chefs d’entreprises de la région parisienne, et notamment ceux de Paris-La Défense, d’échanger leurs expériences et de leur apporter un soutien technique. La question n’est pas de plonger dans un débat politique ou idéologique, la question est d’apporter des réponses à des problématiques très concrètes. 
A savoir, quelle est la réalité du fait religieux, quelle sont les manifestations concrètes, quelles sont les demandes du personnel et quelles sont les contraintes juridiques ?
La majorité des chefs d’entreprises concernés par cette situation (environ 20% aujourd‘hui) sont assez peu préparés par la manifestation du fait religieux sur le lieu de travail. 
D’abord, parce que, si les règles juridiques doivent permettre de traiter les problèmes, la jurisprudence est très complexe compte tenu du nombre de situations. 
Ensuite, parce que beaucoup de chefs d’entreprises ignorent les cultures religieuses auxquelles ils seront confrontés. D‘où les risques de malentendus et de conflits qui en arrivent parfois à perturber la bonne marche de l‘entreprise. 
Les grandes entreprises sont assez équipées pour répondre à ce type de problème mais les plus modestes ne le sont pas. 
Concrètement, la situation vécue peut se résumer très simplement à deux phénomènes.
Le premier est le nombre croissant de salariés qui revendiquent, depuis une dizaine d’années, davantage de liberté pour exprimer et pratiquer sa foi dans le cadre du monde du travail. 
Le deuxième, et c’est vrai depuis les attentats terroristes, les comportements religieux dans l’entreprise sont de plus en plus remarqués par les autres salariés, qui peuvent ne pas les supporter. 
Alors, le Conseil économique et social a voulu commencer par publier les recommandations de base pour éviter les conflits, mais ça reste théorique. En gros: 7 commandements 
1) Mieux faire connaître les règles de droit. Aujourd’hui, le ministère du Travail ne fait pas assez de travail de comm. 
2) Diffuser le calendrier des fêtes religieuses pour toutes les confessions. Ça devrait être obligatoire pour les autorités religieuses de renseigner chaque année les entreprises ; 
3) Mobiliser les structures privées des secteurs social et médicosocial 
4) Renforcer la mission du défenseur des droits en matière de lutte contre les discriminations (dont les discriminations religieuses)
5) Utiliser le dialogue social et inciter les syndicats à y prendre part
6) Former les managers et les cadres au fait religieux, ce qui est rarement fait 
7) Diffuser les bonnespratiques
Au delà de cette nécessaire communication des habitudes et des pratiques, les premières manifestations de faits religieux auxquelles sont confrontées les entreprises sont la demande de jours de congés au moment des fêtes religieuses et des moments de prières. Ces deux cas représentent plus de la moitié des sources de conflits ou de dysfonctionnements. 
Alors, ce type de revendications émane le plus souvent des salariés de confession musulmane. Leurs fêtes ne sont pas comprises dans le calendrier français et l’organisation du travail n’est pas adaptée. Cela dit, dans la majorité des cas, les DRH, en accord avec les syndicats et les personnes, trouvent des solutions. 
On ne s’en souvient pas, mais dans les années 1960, lors de la première vague d’immigration en provenance d’Algérie, pour répondre aux demandes de main œuvre dans l’automobile, les usines Renault s’étaient adaptées. Les ordres de services étaient écrits en français et en arabe, la DRH les faisait valider par la CGT, puis par les autorités religieuses. La régie Renault avait, à cette époque, accepté la présence d’un Imam et avait installé un espace qui était utilisé comme lieu de prière. Une petite mosquée. C’était en 1960. 
La question des signes extérieurs de la religion est plus complexe à régler. Dans les services publics, ils sont bannis. Donc pas de voile. Mais dans le secteur privé, la jurisprudence permet aux entreprises d’interdire les signes religieux pour les salariés en contact avec la clientèle. Mais pas aux autres, d’où les risques d’accrochage que la RH doit régler. Pas facile. 
Autre problème délicat, certains salariés peuvent refuser d’exercer certaines taches pour raisons religieuses. Exemple, des salariés qui, dans un grand hypermarché, ne voudront plus manipuler des bouteilles d’alcool ou des plats alimentaires à base de porc. Très fréquent, sauf que le chef d’entreprise peut se reporter au contrat de travail. Encore faut-il désamorcer le problème et éviter la contagion. 
La montée des revendications religieuses met de plus en plus souvent les chefs d’entreprises en porte-à-faux ou en contradiction. 
En gros, les chefs d’entreprise ambitionnent de donner un sens au travail, chercher à élargir la raison d’être de l’entreprise au-delà du profit et de l’optimisation des résultats pour les actionnaires. Pour être cohérent, le chef d’entreprise offre aux salariés de venir travailler avec tout ce qui fait leur dimension humaine, leur qualité, leur expertise et si leur foi fait partie de leur ADN. Pourquoi pas. Mais à ce moment-là, comment gérer ces particularités sans créer des frustrations pour les uns, ni alimenter la violence pour les autres?

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