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Vers la fin du trou de la sécu en 2019 : les comptes de fées de la Sécurité Sociale
©ERIC FEFERBERG / AFP

PLFSS 2019

Selon le PLFSS présenté ce mardi 25 septembre, le solde du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse devrait être « bénéficiaire » dès 2019, pour un montant de 700 millions d’euros.

Jacques Bichot

Jacques Bichot

Jacques Bichot est Professeur émérite d’économie de l’Université Jean Moulin (Lyon 3), et membre honoraire du Conseil économique et social.

Ses derniers ouvrages parus sont : Le Labyrinthe aux éditions des Belles Lettres en 2015, Retraites : le dictionnaire de la réforme. L’Harmattan, 2010, Les enjeux 2012 de A à Z. L’Harmattan, 2012, et La retraite en liberté, au Cherche-midi, en janvier 2017.

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Atlantico : Faut-il en conclure que le « trou de la sécu » est derrière nous ?

Jacques Bichot : Le projet de loi relatif aux finances de la sécurité sociale est présenté en même temps que paraît le rapport de la Commission des comptes de la sécurité sociale qui fournit les résultats pour 2017 et les prévisions pour 2018. Le Gouvernement se charge en quelque sorte du troisième volet du triptyque à donnant forme de loi à ses prévisions et volontés pour 2019. 
Le degré de confiance qu’il est possible d’accorder à ces différents textes n’est pas le même. Les dépenses et recettes relatives à l’exercice 2017 sont assez bien connues ; le jeu est terminé, les statisticiens et les comptables font leur métier, les surprises à attendre sont modestes. Il en va différemment pour l’année en cours, parce que les résultats des différents organismes concernés arrivent avec un petit décalage, et surtout parce que les derniers mois, relevant de l’avenir, peuvent offrir quelques surprises. Quant au PLFSS, texte à la fois prédictif et normatif, il est soumis à beaucoup d’aléas : même si le Législateur votait sans la moindre modification ce que lui présente l’Exécutif, ce qui est une vision optimiste des choses, les résultats pourraient être différents de ce qui figurera dans la LFSS, parce que nos gouvernants ne possèdent pas de pouvoirs magiques mettant leurs décisions à l’abri des surprises de toutes sortes. 
La question est donc : pourquoi donner forme de loi à un texte auquel la nature des choses ne permet pas d’avoir force de loi ? Antoine de Saint-Exupéry nous décrit le Petit Prince arrivant dans une planète habitée par un roi. Le Petit Prince éternue et le roi, voulant exprimer son autorité, lui ordonne de ne pas recommencer. Mais le rhume n’obéit pas aux lois, et le Petit Prince récidive en dépit de son désir de faire plaisir au Monarque. Celui-ci, voulant absolument être obéi, lui ordonne alors d’éternuer. Manque de chance : une volonté humaine contrôle très mal ce réflexe ; malgré sa bonne volonté, le Petit Prince n’éternue pas sur commande. Alors le roi trouve le bon moyen d’être obéi : il ordonne au sujet qui vient de lui échoir de tantôt éternuer, tantôt ne pas éternuer.
Si nos gouvernants avaient la même sagesse, ils feraient voter des lois ordonnant à la sécurité sociale d’être … excédentaire, à l’équilibre, ou en déficit : c’est vraiment le seul moyen d’être obéi, car nos Excellences ne commandent ni à la conjoncture mondiale, ni au chômage et à l’emploi, ni aux microbes et virus, ni à la grande faucheuse, ni à la fécondité des Françaises. Il est déjà passablement ridicule de faire voter le budget de l’Etat sous forme de loi : chacun sait que quantité de dispositions ne seront pas parfaitement respectées, qu’il s’agisse de dépenses ou de recettes. La volonté de conférer le genre littéraire législatif à l’expression des espoirs que nourrissent nos dirigeants à propos des recettes et dépenses des organismes de sécurité sociale est encore plus abracadabrantesque.
Quant au « trou de la sécu », il s’agit d’une figure folklorique, comme le Père Noël et le Père Fouettard. En fait, les comptes de la sécurité sociale et ceux de l’Etat et, dans une moindre mesure, des collectivités locales, sont des vases communicants : il suffit d’ouvrir un peu plus une vanne, ou d’en réduire le débit, pour que le déficit apparaisse à tel endroit plutôt qu’à tel autre. Par exemple, entre 2017 et 2018, les rentrées de CSG sont en hausse très forte : de 99,4 Mds€ à 125,1 si la prévision s’avère exacte. Les vannes entre les différentes branches de la sécu et les finances de l’Etat sont diverses et variées, et il est très facile de faire apparaître les déficits là où les princes qui nous gouvernent en ont envie.
Reste le choix des économies qui peuvent se décréter par une simple faiblesse du coefficient de revalorisation des prestations. Les retraités, avec une revalorisation de 0,3 % des pensions en 2019, vont contribuer (si les prévisions faites en matière de prix se réalisent) à hauteur de 1,6 Md€ par rapport à la norme du simple maintien du pouvoir d’achat. Les familles, comme à l’accoutumée, vont être au premier rang pour les sacrifices demandés : sacrifier l’avenir, c’est-à-dire la démographie (les naissances en France métropolitaine sont en chute assez rapide depuis 3 ans) fait partie des options préférées de nos gouvernants.
Bref, le trou de la sécu n’est pas derrière nous : il se situe juste en dessous de notre chère sécu, qui est suspendue à un fil fragile, rien à voir avec le solide « plancher des vaches » !

Quelles sont les causes de l’amélioration des comptes de la sécu ? 

Remarquons d’abord que l’amélioration, à ce jour, est voulue, prévue, mais non pas réalisée. Elle est proclamée à son de trompe pour redonner du moral aux troupes, car les rentrées d’argent dépendent prioritairement de l’activité économique, de la croissance et de l’emploi. Le PLFSS est un petit télégraphiste chargé d’apporter une bonne nouvelle en espérant que sa prophétie sera autoréalisatrice : si la population reprend espoir en des jours meilleurs, les entreprises embaucheront, les chômeurs auront davantage envie de faire des efforts pour retrouver un emploi, les consommateurs ouvriront davantage leur portefeuille.
C’est en tous cas ce qu’espère le gouvernement en présentant un PLFSS optimiste. Il aimerait bien aussi que cette bonne nouvelle contribue à stopper sa dégringolade dans les sondages, ainsi que celle du Président de la République.
Le regain d’activité constaté depuis quelques mois doit beaucoup à la conjoncture internationale. La baisse du prix du pétrole, notamment, avait donné un coup de pouce précieux au pouvoir d’achat des ménages, via la modération des coûts de production des entreprises consommatrices d’énergie et de ce poste de dépense pour les particuliers. Hélas, l’or noir est fortement remonté, ce qui laisse prévoir un effet négatif sur l’activité, et donc sur les comptes sociaux.
De même, en ce qui concerne la France, l’arrivé à l’Elysée d’un jeune homme brillant laissait présager une nette amélioration : le moral était orienté à la hausse, du côté des entreprises et pour une part appréciable de la population. Mais l’état de grâce a pris fin. A moins qu’Emmanuel Macron ne rebondisse, la France retrouvera son atonie un instant envolée. La confiance en l’avenir est un facteur décisif pour l’activité économique, et ipso facto pour les comptes publics, ceux de la sécu comme ceux de l’Etat.

La tendance actuelle est-elle tenable dans un contexte de vieillissement de la population ? Quels sont encore les efforts à fournir pour parvenir à un résultat soutenable dans le temps ?

La démographie est un facteur essentiel. La natalité a été évoquée plus haut ; l’allongement de la durée de la vie est également une évolution dont il faut que nous tenions beaucoup mieux compte que nous ne le faisons. Le Japon, par exemple, malgré une dénatalité catastrophique, parvient à maintenir sa situation économique et sa protection sociale grâce à la forte proportion de personnes de 65 ans, 70 ans et même 75 ans qui participent encore à la production. Les pays nordiques et les Etats-Unis sont également très en avance sur nous dans ce domaine. 
La France a commis en 1982 une des pires erreurs économiques et sociales de son histoire en instaurant la retraite à 60 ans. Il y a 35 ans de cela, et nous n’avons même pas été capables de remonter de 60 à 65 ans ! La réforme des retraites, dont la préparation a été confiée à Jean-Paul Delevoye, avance avec une lenteur désespérante, alors même qu’il ne s’agit que d’une demi-réforme puisque ceux qui la préparent ne semblent pas avoir compris la leçon d’Alfred Sauvy, qui a expliqué dès les années 1970 combien il est absurde de distribuer des droits à pension au prorata des cotisations vieillesse versées, puisqu’elles ne servent en aucune manière (en répartition) à préparer les pensions de ceux qui les versent. La vraie préparation des futures pensions consistant dans la mise au monde et dans l’éducation des enfants, il faudrait attribuer les droits à pension au prorata des enfants élevés et des sommes versées pour leur entretien et leur formation.
Cela veut dire, concrètement, des réformes réellement audacieuses, pas des gadgets comme le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, distraction pascalienne qui nous détourne des chantiers vraiment importants. Il s’agirait par exemple de confier à la sécurité sociale le soin de prélever une cotisation d’investissement dans la jeunesse, cotisation qui financerait la totalité de la formation initiale, les prestations familiales, la procréation médicalement assistée (PMA), l’assurance maternité et l’assurance maladie des enfants, et procurerait à ceux qui la versent des droits à pension basés sur quelque chose de solide, pas sur une illusion juridique dépourvue de tout rapport avec la réalité.
Voilà l’exemple même des grands chantiers qu’il faudrait engager pour remettre la France sur les rails de la croissance et du plein emploi. Il y en a d’autres, tant notre malheureux pays est mal gouverné depuis des décennies. Mentionnons simplement, puisque cela relève de la sécurité sociale, l’indispensable suppression des cotisations patronales, qui font croire à tort que les salariés ne paient qu’une fraction de leurs assurances sociales. Tout devrait être passé au crible du bon sens et de la connaissance du fonctionnement réel de l’économie. Nous vivons en légiférant sur des chimères (les LFSS en font partie, et dans une large mesure le budget de l’Etat également) au lieu de nous occuper de ce qui compte réellement. Il nous faut percer la chappe de plomb des faux semblants, des comptes publics qui sont des contes de fées, pour enfin prendre à bras le corps les vrais problèmes – en particulier, pas les PLFSS pour l’année suivante, mais la rénovation totale de notre sécurité sociale, qui aujourd’hui marche sur la tête, tant bien que mal, et plutôt mal que bien.

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