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Marc Roche : "Emmanuel Macron a tort sur la raison pour laquelle le Brexit l’a emporté"
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Raisons profondes

Pour l'auteur du livre "Le Brexit va réussir", Emmanuel Macron est l'un des derniers dirigeants à soutenir une Union européenne en "déni de réalité" face aux raisons ayant poussé les électeurs britanniques à vouloir quitter l'UE.

Marc Roche

Marc Roche

Marc Roche a été journaliste au Soir, au Quotidien de Paris et au Point, avant de rejoindre l'équipe du Monde. Il publie également dans des journaux britanniques (The Independant, The Guardian) et participe à l'émission Dateline London de la BBC News. Ses écrits concernent principalement les institutions financières (Goldman Sachs) et la monarchie britannique.

Il est notamment l'auteur de Elizabeth II : Une vie, un règne et Elizabeth II : La dernière reine aux éditions La table ronde.

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Atlantico :  Jeudi 20 septembre, l'Union européenne s'est très largement opposée à la proposition de sortie du Royaume-Uni présentée par Theresa May.  Alors que certains envisagent toujours et encore un nouveau référendum, ce nouveau revers provoque beaucoup de pessimisme chez les Anglais.  Votre nouveau livre, Le Brexit va réussir (éditions Albin Michel) envisage ce genre de difficultés comme une simple étape avant une véritable reconstruction du pays – laquelle selon vous sera une réussite. Ne faut-il pas malgré tout craindre le "no deal" (pas d'accord) qui pourrait être très préjudiciable à l'économie britannique?

Marc Roche : Il n'y aura pas à mon avis de "no deal". Il y aura un accord certes minimal mais qui va permettre aux deux partis de passer l'étape du 29 mars 2019 qui est la date de la sortie officielle du Royaume-Uni de l'UE avant de passer à la période transition où tous les dossiers lourds seront discutés. Cette période peut être rallongée.  Pourquoi suis-je optimiste sur la suite des événements ? Au-delà des péripéties du conseil européen de Salzbourg ou tous les soubresauts de l'actualité européenne depuis le référendum du 23 juin 2016, un divorce brutal n'est dans l'intérêt ni de l'un ni de l'autre. Pour l'économie britannique, pareille issue serait catastrophique en raison des problèmes que cela poserait dans tous les domaines. Et notamment les risques que cela fait courir aux investissements industriels étrangers comme financiers au Royaume-Uni. Pour l'UE ce serait également un désastre parce qu'à ses portes régnerait le chaos. Les inquiétudes exprimées par les ports français, néerlandais et belges ou les pressions des constructeurs automobiles allemands sur la chancelière Angela Merkel pour souligner l'importance du marché britannique attestent cette peur du « saut de la falaise ».  Malgré le « non » de Salzbourg, les 27 ne sont pas unis et le Royaume-Uni pourra compter en fin de compte sur ses alliés habituels : les pays nordiques et le Benelux et plus récemment Autriche et Allemagne pour pousser la Commission européenne à se montrer moins intransigeante. Ceci dit, la négociation s'annonce très difficile pour les Britanniques parce que les Européens ont toutes les cartes en main.

Vous présentez le Royaume-Uni comme une nation capable de beaucoup de cynisme pour arriver à ses fins. Est-ce ici le cas selon vous ?

Actuellement les Britanniques sont surtout désarçonnés. Londres ne s’attendait pas à être confronté à l'unité des 27 qui a prévalu à Salzbourg. Reste à voir si le front de la résistance  va perdurer en raison des problèmes actuels de l'UE (migration, difficultés de réformes, gouvernements autoritaires en Europe de l’Est ou corruption). Bruxelles a toutes les cartes en main puisque c'est le Royaume-Uni qui est demandeur.  Londres n'avait rien préparé. David Cameron, le Premier ministre à l’origine du funeste référendum avait interdit à la fonction publique de prévoir ce qui se passerait si le camp du départ l'emportait. Il ne fallait pas donner d'arguments au camp adverse. De plus, le Royaume-Uni ne dispose pas d'experts sectoriels, notamment en commerce international, question qui a été réglée depuis 45 ans par Bruxelles. Le Royaume-Uni n'a qu’un seul atout mais il est de poids : il est dans l'intérêt de l'Union européenne de trouver un accord à l’amiable.

Vous dites de Macron qu'il est un des derniers à soutenir une Union européenne en "déni de réalité". Il a déclaré jeudi que le vote du Brexit avait été obtenu à cause d'arguments fallacieux proposés à des "menteurs".  Comment jugez-vous cette déclaration ? L'Angleterre doit-elle craindre l'animosité de certains européistes qui semblent vouloir faire payer l'Angleterre, et ce à quelques mois seulement des élections européennes ?

Emmanuel Macron à tort. À savoir que le vote du Brexit n'a pas été guidé par les mensonges proférés par certains défenseurs du retrait. Le vote en faveur du Brexit a été une réaction d'une partie de la population britannique contre la libre-circulation des Européens, surtout de l’Est.  Le président français a tort sur la raison pour laquelle le Brexit l’a emporté. Il est dans l'intérêt de la France d'arriver à un accord avec le Royaume-Uni. Car la France et le Royaume Uni sont liés par les mêmes intérêts diplomatiques en tant que membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU, militaires (armées puissantes dotées de l’arme nucléaire), stratégique (lutte contre le terrorisme et contre l'immigration clandestine...).  En outre, le Royaume-Uni a toujours soutenu la vision macronnienne d'une Europe à plusieurs vitesses, estimant que c'était la seule solution pour l'UE de sortir de l'ornière dans laquelle était tombée.

Enfin, Emmanuel Macron semble oublier que si le Royaume-Uni quitte l'UE, il ne dit pas au revoir à l’Europe pour autant. L'Europe au sens large restera le pilier central de sa diplomatie et de ses intérêts économiques aux côtés des pays émergents et des Etats-Unis.

Votre livre explique comment vous êtes passé du sentiment de déception d'un partisan convaincu du Remain au lendemain du vote qui enclenchait le Brexit à celui d'un vrai soutien du Brexit. Quelle fut vraiment l'épiphanie de cette "conversion" radicale ?

Je reste un "Remainer" de cœur. Je suis Belge, je suis né à Bruxelles au milieu des institutions européennes. Mes parents, du fait de leur expérience de la guerre, m'ont inculqué le sens de l'Union européenne pour empêcher la guerre une fois pour toute sur le territoire européen.  Je reste attaché à l'Union européenne.

En revanche, je suis impressionné par le souci outre-Manche de respecter la volonté populaire exprimée lors du référendum. Nous avons été, nous les Remainers, battus. A 52% contre 48%, et même plus si on prend en compte uniquement l'Angleterre où l’écart est de 12%. Je me suis demandé pourquoi mon camp avait perdu.

J'ai découvert que, alors que pour moi la libre-circulation des Européens de l'Est était une évidence et était profitable surtout pour les parties riches du pays, en revanche, elle était très mal vécue par les classes populaires et par la petite classe moyenne qui se sentait menacée et dans son emploi et surtout dans son recours aux services publics ramenés aux acquêts dans le cadre de la politique d’austérité draconienne lancée après la crise financière de 2008.  Et le dernier point qui m'a intrigué c'est qu'une partie des minorités ethniques ont voté en faveur du Brexit malgré le langage agressif d'une partie du camp du départ, tel Nigel Farage, le patron de la formation xénophobe UKIP. Bon nombre de Britanniques d’origine antillaise, africaine ou du sous-continent indien espéraient en finir avec la libre-circulation jugée discriminatoire. A leurs yeux, ce processus profitait aux migrants européens blancs et chrétiens (et pour certains d'entre eux racistes parce que venant de société qui ne connaissent pas la diversité).

Vous mettez en avant la grande tradition de démocratie libérale comme le moteur du Brexit et l'antidote à l'incapacité qu'a l'Union européenne à se penser dans un monde mondialisé en mutation. Pourquoi ce libéralisme politique est selon vous l'origine et la clé de cette période de transformation en Angleterre ?

Les Anglais ont toujours été darwiniens, c'est-à-dire qu'ils ont toujours crus dans la loi du plus fort, dans les inégalités sociales comme de classes. Et donc le libéralisme économique basé sur les inégalités, sur les emplois précaires, sur la déréglementation du marché du travail, l'affaiblissement des syndicats et le réservoir d'une main d'œuvre bon marché est la base du modèle économique britannique. Et c'est sans compter le recours à l'offshore et aux paradis fiscaux sulfureux de la Couronne  qui va pouvoir se faire en toute liberté une fois larguées les amarres avec l’UE. Et nous sous-estimons l’effet de l’absence de patriotisme économique. Le Royaume-Uni a vendu les bijoux de sa couronne industrielle au plus offrant. Quel autre pays aurait ainsi cédé des pans entiers de son industrie nucléaire aux Chinois ?

Cela justifie votre proposition-t-il votre argument selon lequel, contrairement à ce qu'on peut entendre souvent, le Brexit a finalement tué toute tentation populiste en Angleterre ? Ne pourrait-on pas craindre qu'un populisme conservateur émerge à droite de Theresa May avec des personnalités comme Boris Johnson, ou à gauche avec Jeremy Corbyn ?

Il est clair que le Brexit est la conséquence du populisme. Mais le Brexit a tué le populisme puisque l'UKIP de Farage a été rayée de la carte.  Aux élections législatives de 2017, les deux partis traditionnels, conservateur et travailliste, ont recueilli 83% des voix. Et l'immigration a disparu des préoccupations des Britanniques. Le populisme, privé de sa raison d'être, n'a bien sûr pas totalement disparu. Il a été phagocyté par des personnalités hors normes telles que Boris Johnson à droite ou Jeremy Corbyn à gauche. Mais à mon avis, ni l'un, ni l'autre ne devrait devenir Premier ministre. Le premier à cause des scandales entourant sa vie privée. Le second à cause de son programme économique d'inspiration gauchiste,  sans queue ni tête.

Vous reconnaissez que la porte de sortie la plus bénéfique au Royaume-Uni aboutirait cependant à une société plus inégalitaire encore qu'elle ne l'est aujourd'hui : les classes populaires ont majoritairement voté pour une sortie de l'Europe. Seront-elles les victimes de leur propre vote ?

Je crains que oui. Les vainqueurs du Brexit seront les Remainers : les classes professionnelles éduquées et cosmopolites de Londres et du Sud-Est de l'Angleterre devront être à l'avant plan de l'économie de demain, celle de la connaissance, la knowledge economy, fondée sur les universités, les médias, le soft power, la culture etc.

Et les classes populaires qui ont voté pour la sortie  de l’UE seront les perdants. Mais cela va être compensé, je l'espère, par l’augmentation attendue des investissements étrangers, tant qu'il y a un accord de type soft Brexit.  En dehors de l’UE, le Royaume-Uni restera très attractif sur le plan économique. 

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