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Comment mondialisation et automatisation ont interagi dans les destructions d'emplois au sein des économies occidentales
©RONNY HARTMANN / AFP

Marché du travail

L'automatisation et la robotisation suscitent de vives inquiétudes chez les travailleurs. Ces craintes sont-elles réellement justifiées ?

Sarah Guillou

Sarah Guillou

Sarah Guillou est économiste à l’OFCE dans le domaine de l’économie internationale et des politiques publiques affectant la compétitivité des entreprises. Son travail mobilise l’exploitation statistique de bases de données d’entreprises et de salariés ainsi que les données de commerce international par pays. Une partie de ses recherches porte sur les politiques industrielles et les politiques commerciales.

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Atlantico : Alors qu'un sondage international réalisé par le Pew Research Center démontrait la crainte suscitée par les populations à l'égard de la destruction d'emplois que pourrait provoquer l'automatisation et la robotisation, un article publié par Foreign Affairs, écrit par l'économiste Susan Houseman révélait que le déclin des emplois manufacturiers aux Etats-Unis, au cours de ces dernières années, n'était pas la conséquence de ce processus d'automatisation. Comment évaluer les arguments avancés par Susan Houseman ? 

Sarah Guillou : Susan Houseman déconstruit la relation entre croissance de la productivité, robotisation et emplois. Pour cela elle part du consensus sur la relation positive entre automatisation et productivité du travail. Quand on remplace des hommes par des machines, on s’attend à une hausse de la productivité du travail, car pour un nombre de travailleurs réduit, la quantité produite est soit équivalente, soit supérieure ; donc la productivité du travail augmente. Si on constate une hausse de la productivité et une baisse du nombre d’employés alors il est probable que l’automatisation y soit pour quelque chose. Or, Susan Houseman montre que la productivité n’a pas tant augmenté que cela dans le secteur manufacturier si on corrige les chiffres d’un secteur, celui des ordinateurs et autres produits électroniques. En effet, ce secteur est singulier dans la mesure où il a connu une incroyable baisse des prix de sa production concomitante à la montée de la qualité et des fonctionnalités de ses produits et une incroyable croissance parallèle à la croissance des activités numériques. En conséquence, si on exclut ce secteur, la valeur ajoutée manufacturière ne montre pas une augmentation aussi déconnectée de son emploi. Donc, la baisse de l’emploi manufacturier n’a pas été accompagné d’une forte hausse de la productivité et finalement, selon S. Houseman, on ne peut incriminer l’automatisation comme une cause de la perte des emplois.
Le raisonnement est intéressant car il permet de relativiser le rôle de l’automatisation et de mettre l’accent sur d’autres causes possibles comme la concurrence étrangère. Il permet également d’observer que l’automatisation n’a pas permis de compenser le différentiel de coût de production avec les producteurs étrangers et que le rythme des délocalisations des emplois manufacturiers a été plus rapide que celui de l’automatisation. Le processus de robotisation et d’automatisation des tâches est un processus lent car coûteux mais c’est un processus continu et irréversible, une tendance de fond. Comme il est coûteux, non seulement en raison des investissements mais aussi des personnels qualifiés qu’il nécessite, la délocalisation des emplois a pu apparaître comme une solution plus immédiate et moins coûteuse, pour certaines tâches non qualifiées, que l’automatisation. Alors qu’on pourrait penser que la globalisation a provoqué l’automatisation, en fait elle a conduit à ralentir la nécessité de l’automatisation parce qu’il était plus simple de délocaliser que d’automatiser. Remarquons qu’il s’agit d’un argument moins simple que celui-ci qui consiste à dire que la globalisation a induit la désindustrialisation. La globalisation a substitué la délocalisation à l’automatisation, parce sans les possibilités offertes par la globalisation, l’automatisation se serait imposée plus drastiquement en réponse à l’augmentation du prix du travail relativement au capital causée par le progrès technique et le progrès social au sein d’une économie.

De nombreuses publications ont pu faire état de la destruction d'emplois qui pourrait être causée par l'automatisation et la robotisation dans les années à venir, tout en soulignant les capacités de l'économie à en produire de nouveaux. Cependant, comment faire face à la situation ou de nombreuses personnes perdront leur emploi, sans avoir les qualifications pour occuper ceux nouvellement créés ? La question de la formation n'est-elle pas une illusion pour des personnes qui seront considérées comme inemployables ? 

Le processus de la substitution du capital ou des machines au travailleur a toujours existé. Il résulte du progrès technique et de la volonté d’augmenter les capacités des travailleurs. Cette tendance séculaire de nos sociétés suscite de manière récurrente un questionnement sur la finalité d’un processus qui peut conduire à un monde sans travailleurs humains, qu’on s’inquiète pour un secteur en particulier ou pour l’économie dans son ensemble. Deux nouvelles interrogations sont apparues récemment : y-a-t-il un changement de rythme et de nature du processus d’automatisation des tâches d’une part, les nouveaux emplois ne créent-ils pas un marché du travail très différent d’autre part ?
Les experts mais aussi les citoyens s’accordent plutôt à répondre positivement à ces deux questions.
L’intelligence artificielle marque bien une nouvelle étape, il ne s’agit plus de l’automatisation des tâches manuelles mais aussi de nombreuses tâches intellectuelles. Il n’y a guère d’emplois qui ne seront touchés par l’intelligence artificielle. Le doute subsiste sur le rythme mais pas sur l’occurrence.
Qui décide de la substitution du capital ou des machines au travail ? Cette substitution dépend du coût relatif des deux facteurs de production (le salaire d’un côté et le coût de l’investissement de l’autre côté) et des coûts d’ajustement associés à la substitution (coût d’apprentissage). La réglementation non seulement sur le coût du travail, mais aussi sur le coût du capital (fiscalité, crédit d’impôt recherche, taux d’intérêt) peut influencer la substitution mais fondamentalement ce sera le coût des machines et la nécessité concurrentielle qui imposeront l’adoption de nouvelles technologies. Cette nécessité interagit avec les préférences des consommateurs et des citoyens/travailleurs, qui peuvent être contradictoires. Au final, la substitution est le résultat de la technologie, des règles économiques, des préférences des actionnaires et/ou des dirigeants d’entreprises, des qualifications de la main d’œuvre, des préférences des consommateurs et du niveau technologique des concurrents. En démocratie, les règles économiques doivent refléter les préférences des citoyens, mais en économie de marché, d’autres préférences vont également s’exprimer.
Il importe que les gouvernements réfléchissent à la cohérence de leurs politiques économiques relativement au défi de l’intelligence artificielle. Pour le moment, le consensus se porte sur l’alliance de l’éducation et de l’investissement dans ces nouvelles technologies pour éviter la mise à l’écart des individus comme des entreprises. La question du revenu universel s’envisage du bout des lèvres. Or, il est clair que l’éducation ne permettra pas de sauvegarder tous les emplois. Mais comme personne ne parvient à clairement mesurer la séquence de cette disparition des emplois, l’attentisme politique se répand, autant que le populisme.

Faut-il voir cette période qui s'annonce comme une transition avant de retrouver une certaine stabilité, ou faut-il voir dans ce processus comme "une nouvelle norme" qui se poursuivra dans le temps ?

Si la vitesse de la substitution travailleur-machines est modifiée durablement, alors ce sera une nouvelle norme. Mais la norme va interagir avec d’autres piliers normatifs de nos sociétés ainsi qu’avec l’accroissement des coûts de nouvelles technologies. Ce qui est impossible à prédire c’est le résultat de ces interactions. Le rejet de la globalisation pourrait-il se reproduire vis-à-vis des technologies de l’intelligence artificielle ?
En effet,  alors que la globalisation a pu apparaître comme une tendance de fond apportant de multiples bénéfices, elle est aujourd’hui rejetée par des pans de plus en plus larges d’électeurs qui n’ont pu en bénéficier et qui l’associent à leur difficulté d’adaptation au changement. Il n’est pas impossible que le progrès de l’intelligence artificielle (IA) rencontre de fortes résistances obligeant les Etats à réguler son usage. Mais si un environnement anti-globalisation se résume aisément à une fermeture des frontières et une opposition au libre mouvement des individus et des marchandises, un environnement anti-IA est plus difficile à représenter simplement et à transcrire en slogan politique. Il y a bien eu la taxe sur les robots de Benoît Hamon, mais sa naïvité n’a pas réussi à convaincre un grand nombre d’électeurs. Quand on voit la difficulté que rencontrent les leaders des partis écologistes à emmener les électeurs vers le soutien d’une économie plus éco-responsable et sacrifiant le confort de la modernité pour le respect de l’environnement, on envisage mal la réussite électorale de slogans contre l’intelligence artificielle et conduisant à contrecarrer les recherches scientifiques et les progrès pour les individus qu’elle suppose.
Une société qui mettrait un coup d’arrêt au progrès scientifique n’est pas pour demain, sans doute en grande partie parce que les enjeux complexes et éthiques sous-jacents – notamment ceux qui touchent au trans-humanisme -- sont peu connus du grand public. L’utilité (dont le plaisir) apportée par les nouvelles technologies n’est pas prête à être sacrifiée. Le robot n’est pas encore près de devenir le nouvel étranger.
Alors, au moins au terme d’une prochaine génération, les emplois vont continuer d’être remplacés par des machines pour le meilleur (la médecine, les services d’aide à la personne…) et pour le pire (la disparition de certains emplois, la perte de libre-arbitre…). Les emplois créés par les nouvelles technologies vont créer un marché de l’emploi parallèle plus flexible qui, en prenant de l’ampleur, sera de plus en plus régulé. La société va s’adapter en sacrifiant une partie de ses travailleurs. Le prix de ce sacrifice finira par être payé par la collectivité : par un renoncement à la démocratie libérale ou par une socialisation des revenus. A ces deux égards, il importe de minimiser ce sacrifice.

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