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Ce que devrait vraiment être un Président de l’Assemblée Nationale idéal dans une démocratie en forme
©JOEL SAGET / AFP

Dans l'ombre

Le quatrième homme le plus important de la République a un rôle de l'ombre, mais un rôle essentiel. Le remplacement de François de Rugy, passé au ministère de l'Ecologie est pour nous l'occasion de nous interroger sur ce qui fait un bon Président de l'Assemblée Nationale.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : François de Rugy, nommé ministre de la transition écologique, a laissé libre la place convoitée de la présidence de l'Assemblée Nationale. Richard Ferrand, proche d'Emmanuel Macron serait aujourd'hui le mieux placé pour occuper ce rôle. D'un point de vue purement théorique, et au regard de l'importance de la fonction - 4e personnage de l'Etat dans l'ordre de préséance - et de ses prérogatives, quelles sont les qualités politiques requises pour occuper le "perchoir" ?

Jean Petaux : Il faut présenter un profil aux multiples facettes, ce qui, on en conviendra, n’est pas aisé, sans, bien sûr, souffrir d’un quelconque dédoublement de la personnalité. Pourtant quand on y regarde de plus près on voit bien que le titulaire du « perchoir » (le nom que l’on donne au fauteuil occupé par le président à l’Assemblée nationale, quand il s’agit du « plateau » au Sénat) doit cumuler plusieurs qualités politiques (ou psychologiques). Et comme nous sommes en France ces qualités sont bien souvent totalement contradictoires. Il lui faut une (voire très) bonne connaissance du règlement intérieur de l’Assemblée nationale qui est complexe et sophistiqué. Il lui faut aussi une pratique suffisamment rodée de l’application pratique de ce règlement et des différents rituels coutumiers (non écrits) qui régissent la vie quotidienne des députés et d’une administration parmi les plus compétente de la République (avec un régime et un statut très particulier qui placent les fonctionnaires des assemblées parmi les fonctionnaires les mieux traités – à tous égards – de France). Ces deux premières qualités nécessitent donc que le titulaire du « perchoir » soit déjà un parlementaire doté d’une certaine expérience (au moins deux législatures et à tout le moins une présidence de commission ou une présidence de groupe parlementaire ou encore plusieurs portefeuilles ministériels).

S’ajoutent à ces qualités que l’on pourrait qualifier de « fonctionnelles », des qualités stricto-sensu « politiques ». L’impétrant doit avoir une « stature politique » indéniable et bénéficier d’une forme de reconnaissance, évidemment du côté de la majorité parlementaire mais aussi dans son propre parti politique. Depuis la réforme constitutionnelle qui a réduit de deux ans le mandat présidentiel et l’a fait coïncider en durée – cinq ans – avec celui des députés (référendum de 2000), le calendrier électoral a placé les législatives sous la coupe en quelque sorte des présidentielles, cela signifie qu’à certaines exceptions près (cas de Hollande élu à l’Elysée en mai 2012 et de la majorité parlementaire issue des législatives de juin 2012), la majorité parlementaire est « assujettie » à la majorité présidentielle. Il faut donc, aujourd’hui encore plus qu’hier, que le président de l’Assemblée nationale soit plutôt un proche du Président de la République, en aucun cas, un opposant ouvertement déclaré. Cette proximité politique ne doit pas, pour autant, en faire un sectaire trop affiché qui ferait profession d’assauts répétés contre les oppositions présidentielles et parlementaires.  

C’est ici qu’intervient un troisième type de qualités que l’on peut qualifier de « psychologiques ». Il lui faut montrer régulièrement une forme d’autorité bienveillante destinée à éviter que les débats ne se transforment en pugilats mais, pour autant, admettre que les oppositions existent, se manifestent (parfois plus ou moins bruyamment). Garant des droits des minorités parlementaires il doit aussi veiller à ce que celles-ci par leurs manœuvres ou leurs savoir-faire ne bloquent le fonctionnement de l’Assemblée et en viennent à empêcher la majorité de légiférer, puisqu’elle dispose de la légitimité démocratique issue des urnes. Il doit, tout autant, faire que le « fait majoritaire » voulu et conçu par le constituant de 1958 comme un grand changement par rapport à la paralysie du système parlementaire de la IVème  République, ne se transforme en « dictature de la majorité ».

Faire preuve d’autorité sans autoritarisme ; être bienveillant sans être laxiste ; être doté d’un vrai sens politique sans jamais être seulement l’homme de son camp ; savoir être indépendant par rapport à l’exécutif tout étant proche du chef de l’Etat ; être fort d’une capacité à négocier sans perdre de vue l’acte de légiférer ; etc. Finalement toutes ces qualités, en une seule et même personnalité, ont un effet direct : le nombre des lauréats qui cochent toutes les cases est forcément très limité.

Quels ont été les "grands" présidents de l'Assemblée nationale ? Quelles ont été les qualités de ces hommes qui ont permis de marquer la fonction ?

Jean Petaux : Sans avoir l’expertise d’un Jean Garrigues, expert en la matière, et sans remonter au-delà de 1958 pour se limiter aux 13 présidents qui ont siégé au « perchoir » depuis la Première législature de la Vè République (9 décembre 1958), je citerai volontiers quatre noms dont la longévité dans la fonction est, on va le voir, très différente : Jacques Chaban-Delmas ; Philippe Seguin ; Raymond Forni et Jean-Louis Debré.

Jacques Chaban-Delmas, « président d’honneur de l’Assemblée nationale », dont un des immeubles ou résident une bonne part des députés porte le nom, rue de l’Université, a été titulaire de la fonction pendant 16 ans, en 3 fois. Record absolu évidemment qui a été interrompu la première fois parce que celui qui fut maire de Bordeaux de 1947 à 1995 est arrivé à Matignon en 1969. Chaban a été un grand président d’abord par la durée de sa fonction. N’ayant jamais été un bourreau de travail et ne supportant guère les réunions dès lors qu’elles dépassaient la demie-heure, on imagine sans peine qu’il s’est fait aisément et très souvent remplacer au perchoir pour présider les interminables séances de nuit, budgétaires ou pas. Par ailleurs on ne peut dire qu’il fit en sorte de marquer l’indépendance de l’Assemblée à l’égard de l’exécutif dans les dix premières années de la République qu’il contribua à installer sur les fonds baptismaux. Dans sa fameuse définition du « domaine réservé » du chef de l’Etat, entre autre en matière de défense nationale et de politique étrangère, le président de l’Assemblée nationale d’alors (1962) montre une lecture très élyséenne et fort peu parlementaire… Ce qui va faire des présidences de Chaban-Delmas, au final, de grandes présidences c’est le rayonnement international qu’il va donner à la fonction et aussi ses formidables réseaux issus de la Résistance qui faisaient qu’il était capable de parler, de négocier et de conclure des accords avec tous les groupes (y compris le surpuissant groupe Communiste à l’époque) parce qu’il était parfois l’ami proche de leaders de l’opposition (par exemple avec Mitterrand, Defferre, Maurice Faure) ou l’ancien compagnon d’armes de chefs  du PCF tout en figurant parmi les 10 grands « Barons » que le gaullisme comptait dans ses rangs. Transformant l’Hôtel de Lassay en un lieu de culture et de savoir-vivre, « chargeant » la cave du Palais-Bourbon de tous les plus grands châteaux du Bordelais, Chaban a soigné « ses » députés plus que tous les autres et fait en sorte que la vie parlementaire, à défaut d’être motrice sous la Cinquième, ne soit pas synonyme de punition. Lorsqu’il sut reprendre « son » perchoir en 1978 contre un Edgar Faure qui y avait passé cinq années heureuses et sautillantes entre 1973 et 1978 et surtout contre l’avis du président Giscard dont le candidat était évidemment celui qui l’avait « adoubé » en politique à son cabinet en 1955, Chaban montra qu’il avait une vraie cote d’amour chez les députés de droite « de base ». En 1986, il revint à la présidence de l’Assemblée un peu contraint puisqu’il a cru, naïvement et bien peu politiquement, que « son ami François » (Mitterrand) le nommerait à Matignon comme Premier ministre de la première cohabitation. Mais les deux années au cours desquelles il présida une Assemblée avec une majorité parlementaire opposée au président de la République montrèrent encore une fois que, bien que vieilli, l’ancien fringant « athlète de la République » n’avait rien perdu de ses réseaux et de son savoir-faire.

Philippe Seguin, quatre fois moins longtemps au « perchoir » que Chaban (pour cause de dissolution prématurée en 1997) c’est, d’une certaine façon l’anti-Chaban au plan du caractère même s’il l’a très bien connu puisqu’il fut de son cabinet à Matignon, jeune haut-fonctionnaire tout juste sorti de l’ENA, entre 1969 et 1972. Explosif, au-delà du caractériel, tempétueux, bousculant les uns et les autres, capable d’insulter ses propres amis politiques pour peu qu’ils se comportaient mal à ses yeux ou révélaient (encore pire chez lui) une absence de compréhension de telle ou telle situation politique, Philippe Seguin  dans les 4 ans où il résida à l’Hôtel de Lassay n’a eu de cesse de défendre les droits de l’opposition parlementaire (essentiellement PS et quelques alliés) littéralement laminée après les législatives de mars 1993. Il fit énormément pour revaloriser les moyens de travail des députés et fut surtout un des rares politiques de ce niveau à expliquer, droit dans les yeux des Français (et tout aussi droit dans les yeux très bleus d’Anne Sinclair, à 7 sur 7, un dimanche soir à la télévision) que « la démocratie a un coût » et qu’il faut être totalement « idiot pour considérer que les politiques sont trop bien rémunérés et qu’ils ont trop de moyens pour travailler ». Philippe Séguin, grand républicain, fervent démocrate et anti-démagogue, a présidé les séances parlementaires avec toutes les qualités requises et citées précédemment. Etonnamment il est vrai que son manque total de psychologie aurait dû le tenir éloigné d’une telle fonction. En réalité il s’y révéla sous un jour que ses amis politiques ignoraient et que ses adversaires découvrirent. Violemment opposé à la dissolution d’avril 1997, lui dont on dit que lorsqu’il parlait de Jacques Chirac, président de la République, il ne le nommait que sous le vocable généreux de « le Grand Con », considéra alors que Dominique de Villepin (secrétaire général de l’Elysée, véritable inspirateur du président Chirac pour la dissolution) était un dangereux pyromane politique et qu’Alain Juppé (premier ministre empêtré depuis novembre 1995) n’avait pas de caractère pour avoir laissé faire et, pensé à tort, pouvoir ainsi retrouver une nouvelle majorité « à sa main ».

Restent deux autres grands présidents à mes yeux. Raymond Forni, très peu connu, membre du PS, n’a siégé que deux années, de 2000 à 2002. Ancien président de la Commission des Lois, élu pour première fois à l’Assemblée (1ère circonscription du Territoire de Belfort) en 1973. Il a siégé pendant plus de 23 ans en occupant entre 1973 et 2002 d’autres fonctions dans des Autorités administratives indépendantes (la Haute autorité de la communication et de l’audiovisuel ou la CNIL. Cet homme a eu un parcours personnel assez proche de Philippe Seguin : orphelin de père très jeune, contrairement à l’ancien maire d’Epinal il n’a pu poursuivre jeune ses études et est devenu ouvrier chez Peugeot à Belfort à 17 ans. Il a fait son droit par correspondance à la Fac de Droit de Strasbourg tout en travaillant à l’usine et a passé le concours d’avocat à 27 ans. Brillant juriste, orateur exceptionnel, jamais ministre parce que Chevènement (dont il fut proche avant de rompre avec lui), maire de Belfort l’a souvent été, Raymond Forni, fils d’immigré Piémontais, naturalisé français à l’âge de 17 ans, a été un trop bref président de l’Assemblée nationale. Il contribua largement à rationaliser le travail parlementaire mais surtout à permettre aux députés de travailler dans de meilleures conditions (c’est lui qui engagea les travaux de modernisation de l’immeuble Chaban-Delmas et qui fit accélérer les travaux du « 3AB » (3, rue Aristide-Briand). Sa manière de diriger les débats impressionnait tous ses collègues et ses qualités éminentes de juriste l’ont fait être très respecté du corps des Administrateurs.

Le dernier des présidents est un héritier, un acteur politique de premier plan quand il était dans « l’active », reconnu presque comme un frère par le président de la République alors, doté d’une vraie culture, passionné de dessins et de design, au caractère bien trempé, vacciné à la République avec une des aiguilles à tricoter de Marianne : Jean-Louis Debré. Il présida l’Assemblée nationale pendant cinq ans, de 2002 à 2007. On pouvait craindre que l’ancien « premier flic de France », ministre de l’Intérieur de 1995 à 1997, le plus proche et le plus fidèle chiraquien parmi les chiraquiens, serait une sorte de « chien docile » à l’Hôtel de Lassay, « toutou » aux ordres de l’Elysée et d’un président Chirac réélu dans les conditions que l’on sait en 2002… Il n’en fut rien. Bien au contraire. Ce qui montre l’intelligence et le sens de l’Etat de Jean-Louis Debré, qualités qu’il va porter au plus haut en étant Président du Conseil Constitutionnel de 2007 à 2016. Pour la petite histoire Jean-Louis Debré dessina, de sa table au « perchoir », nombre des objets « goodies » que la boutique de l’Assemblée se mit à vendre, se mettant ainsi au diapason des assemblées les plus « modernes » dans le petit club fermé des grandes démocraties. Il fut le premier à installer le drapeau tricolore dans son dos, derrière le fauteuil du président, mais il s’attacha surtout à protéger les droits de l’opposition et à faire mieux connaitre le travail des députés.

Parmi les 9 autres présidents, il y eût des styles et des présidences bien différentes. Laurent Fabius (deux fois président, de juin 1988 à janvier 1992 et de juin 1997 à mars 2000) utilisa pleinement les ressources de l’Hôtel de Lassay pour organiser son réseau de parlementaires fabiusiens et ainsi construire son propre courant au PS dans la perspective des présidentielles de 1995 et de 2007… où il ne se présentera d’ailleurs jamais… S’il créa la chaine LCP en mars 2000, (inaugurée juste avant son départ à Bercy) il ne fit rien qui pouvait améliorer le travail parlementaire, comme si ce grand fauve de la politique (plus jeune président de l’Assemblée depuis Léon Gambetta, puisqu’il avait juste 41 ans en 1988 quand il s’installa au « perchoir ») avait toujours eu en tête qu’il ne servait à rien de renforcer un pouvoir législatif pour lui qui briguait la magistrature suprême. Quant aux autres, l’histoire s’est chargée de les oublier.. Soit qu’ils n’aient jamais quitté leur camp politique et sont demeurés (au mieux) des « présidents de groupe » ; soit qu’ils n’aient jamais osé s’affranchir plus ou moins officiellement de la suprématie de l’exécutif ; soit qu’ils n’aient que trop compris que dans « Hôtel de Lassay », palais du président de l’Assemblée, il y avait surtout « Hôtel »…

Dans le contexte politique actuel, quel serait le portrait robot "idéal" du prochain président de l'Assemblée ? 

Une femme serait déjà plus qu’une première, un signe fort pour présider une Assemblée jamais autant féminine de par le renouvellement de juin 2017. Il faudrait qu’elle dispose d’une bonne connaissance du fonctionnement de l’Assemblée, ce ne peut donc être une députée en cours de premier mandat. Une expérience ministérielle serait un plus appréciable. Le fait d’appartenir au groupe parlementaire majoritaire est indispensable bien sûr, mais un cursus politique antérieur dans une autre formation politique que LREM n’est pas rédhibitoire. Clairement celle qui se profile ici c’est Barbara Pompili. Elle ne serait pas la benjamine des présidents de l’Assemblée puisqu’elle a 43 ans, mais son arrivée au « perchoir » comme 4ème personnage de l’Etat aurait une certaine allure. L’identité de son parcours avec François de Rugy est peut-être une gêne. Ce qui l’est plus c’est qu’elle croise la route d’un Richard Ferrand président du groupe LREM et candidat au poste de président de l’Assemblée nationale. La situation politico-judiciaire du député breton va-t-elle être un des éléments du vote des députés LREM pour choisir leur candidat ? Pas impossible du tout… Le vote va se faire à bulletins secrets, rendant difficile toute tentative de verrouillage. La multiplication des candidatures (féminines) contre celle de Ferrand ressemble fort à la bonne vieille pratique des désignations au sein des congrès fédéraux du PS à la grande époque… Preuve que l’ancien député PS du Finistère n’a rien perdu des « bonnes manières » de l’ancien monde… Et c’est bien connu, en politique comme en cuisine (électorale) c’est dans les anciens pots que l’ont fait les meilleures soupes. Pas certain qu’aujourd’hui elles soient au goût d’une majorité d’électeurs français. L’élection de Richard Ferrand au perchoir pourrait bien être une nouvelle épine dans le pied du président Macron qui en a récoltées pas mal cet été… et pas qu’à Brégançon.

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