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Ministre du bon sens : derrière la magie des mots Blanquer, quelle efficacité ?
©STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Magicien

S'il y a bien quelqu'un qui semble incarner le nouveau monde au gouvernement c'est lui. Pendant la première année du quinquennat, Jean-Michel Blanquer n'a cessé d’ouvrir de nouveaux chantiers.

Pierre Duriot

Pierre Duriot

Pierre Duriot est enseignant du primaire. Il s’est intéressé à la posture des enfants face au métier d’élève, a travaillé à la fois sur la prévention de la difficulté scolaire à l’école maternelle et sur les questions d’éducation, directement avec les familles. Pierre Duriot est Porte parole national du parti gaulliste : Rassemblement du Peuple Français.

Il est l'auteur de Ne portez pas son cartable (L'Harmattan, 2012) et de Comment l’éducation change la société (L’harmattan, 2013). Il a publié en septembre Haro sur un prof, du côté obscur de l'éducation (Godefroy de Bouillon, 2015).

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Atlantico : Rupture de ton, du discours, rupture idéologique… Jean Michel Blanquer est apparu comme une pièce maîtresse du dispositif d'Emmanuel Macron, en ayant notamment su appliquer une méthode qui lui est propre. Favoriser une forme de "bon sens" par rapport à ce qui a été appelé le "pédagogisme technocratique" de l'ancienne majorité. Le premier ministre semble avoir un côté magicien qui met tout le monde d'accord. Mais avec un an de recul, a-t-il réussi à faire bouger les choses ? Qu'est ce qui a changé et qu'est ce qui n'a pas bougé ?

Pierre Duriot : Indéniablement, ce Ministre a un discours séduisant et c'est déjà quelque chose de nouveau. Entendre dire tout haut par un ministre que le nivellement par le bas est une mauvaise méthode pour aller vers plus d'égalité, en ravira plus d'un. Mais hélas, si la devanture est belle et que l'on peut faire crédit au ministre d'une certaine volonté, voire d'une honnêteté intellectuelle, l'intendance ne suit pas et parfois même, elle interroge. Les nouvelles évaluations, pour quoi faire ? Il y en a eu des tonnes, toutes abandonnées, remplacées, avec à chaque fois, la justification d'une classe d'âge qui serait le meilleur moment. A quoi ça rime ? Ne pas laisser une instance internationale, PISA ou PIRLS, évaluer nos élèves, et pourquoi pas ? De quoi aurait-on peur ? D'un mauvais classement ? Ce n'est pas en y substituant notre propre classement que tout cela progressera. Entendons nous bien, un professeur n'a pas besoin d'évaluations nationales pour savoir ou en sont ses élèves. Il pourra même éventuellement les bidonner pour que la mariée soit plus belle. Soit on fait confiance aux enseignants que l'on forme et on se passe d'un barnum national. Soit on veut organiser en sous-main un classement des établissements et on en pratique un.

L'autre mesure phare, le dédoublement des CP, ne concerne finalement que les zones périurbaines et plus du tout la ruralité, comme dans les anciens classements en ZEP et REP. Cela signe le fond de la mesure, c'est en réalité une refonte sur une composante ethnique, sans annoncer la couleur, parce que ça ne se dit pas tout haut de peur de stigmatiser. Alors un CP de douze, si c'est pour retomber dans les vieux travers de respect des « cultures » allogènes, du communautarisme et ne pas heurter les sensibilités sur des sujets ou des disciplines qui fâchent, et ce dès les plus petites classes de primaire, rien ne changera. Il faut donner à la laïcité et à la culture républicaine les moyens de s'imposer et faire taire ceux qui l'assimilent à une arme de guerre contre l'islam. Ce faisant, le Ministre a donné à la difficulté scolaire des banlieues plus de considération qu'à la difficulté scolaire des campagnes, tout aussi prégnante, mais pas pour les mêmes raisons et qui intéresse moins le pouvoir visiblement. Luc Ferry, ancien ministre, avait expliqué sans ambages à la télévision que les mauvais résultats globaux de l'école étaient plombés par les quartiers calamiteux. Il y a du vrai. Il faudrait commencer par se l'avouer. Sur cette question, l'ambiguïté est permanente, à dire que ces quartiers à nationalités multiples sont une richesse pour la France, tout en donnant une prime de 1000 euros aux enseignants pour qu'ils y viennent et qu'ils y restent ? Soit ils sont à la dérive, on identifie les problèmes, mais sans se mentir et on met le paquet face aux affres que l'on connaît. Soit ils sont des terrains de richesse culturelle et on ne voit pas ce qui justifierait une prime. Si le ministre évoque bien le problème des écoles coraniques ou salafistes et leur fermeture, on doute de la réalité de l'action sur le terrain, au delà des effets d'annonce. En réalité, des écoles salafistes connues depuis des années continuent tranquillement leur activité.

Parmi les chantiers ouverts par le ministère de l'éducation, lesquels vous semblent-ils les plus prioritaires ?

Le dédoublement des classes de CP est très intéressant, à condition, comme expliqué plus haut, que l'on change d'optique en matière de contenus et de laïcité. Ce sera évidemment, dans ces quartiers, un levier de massification du langage et de l'écrit, si bien sûr, les populations concernées cautionnent, ce qui n'est pas gagné d'avance.

Des activités culturelles et périscolaires de qualité, très bien, mais attention. L'écueil sera la responsabilité des familles. Que leur restera-t-il si l'école s'occupe de tout, est ce vraiment le rôle d'un système éducatif de se substituer aux familles ? Les allocations versées servent aussi aux familles à sortir leurs enfants, à les amener elles-mêmes dans des lieux de culture municipaux accessibles gratuitement ou à prix très modique. Effectivement, c'est un effort, il faut l'exiger. Les maires, en première ligne, s'ils souscrivent à cet engagement, savent également que les activités de qualité coûtent cher et attendent des subsides de l'Etat pour y pourvoir. Manque de chance, ils sont plutôt victimes d'économies d'échelle et se retrouvent à devoir faire plus avec moins.

L'amélioration de l'accueil des enfants handicapés est également une belle piste et de nombreux progrès restent à effectuer. Si objectivement, ça progresse, les bruits revenant aux oreilles du médiateur de l’éducation nationale, Claude Bisson-Vaivre, ne sont pas vraiment tous élogieux et soulignent encore des carences et surtout des délais parfois interminables.

La dictée quotidienne, peut ravir les partisans d'une exigence, mais c'est mettre la charrue avant les bœufs. La dictée est l'exercice auquel on se livre quand on a appris ses leçons, faute de quoi, les zéros s'enchaînant, l'exercice devient rapidement un calvaire. Il faut remettre la priorité sur les apprentissages systématiques, par cœur, des tables, des règles de français, avant de lancer les élèves dans des dictées ou du calcul mental.

La scolarité obligatoire dès trois ans, si cela peut sembler intéressant, est une porte déjà largement ouverte. Le taux de scolarisation en petite et moyenne section de maternelle est très important et pour tout dire, largement majoritaire. Là encore, une belle annonce, mais juste une annonce.

Et puis on en arrive au sujet tarte à la crème, la mixité sociale. Il faut que le ministre se le dise, à moins de devenir profondément stalinien, il n'a aucun moyen d'obliger les familles aisées à mettre leurs enfants dans des quartiers sensibles, d'ailleurs aucun des ministres ne le fait, il y a sans doute une raison. Et pour donner tort aux ambitions irréalistes du ministre, le record de fuite dans le privé a été atteint en 2016. Plusieurs motivations : la tradition, comme en Bretagne. L'illusion que les cadres et les travaux seront de meilleure qualité : ils ne le sont que parce que la population est triée. L'évitement des populations afro-musulmanes et « cassocisées » : dans certains secteurs, c'est devenu la première des motivations. Il ne faut pas se faire d'illusion, les parents ne mettront leurs enfants dans l'école de leur quartier que s'ils estiment qu'ils y seront en sécurité et recevront un enseignement de qualité. Il faut travailler sur ces deux axes plutôt que sur la culpabilisation permanente des gens qui « fuient » certaines catégories de population. Quand des élus connus et des ministres donneront l'exemple en allant habiter à Trappes ou Vénissieux et en mettant leurs enfants au collège du quartier, d'autres devraient les suivre...

Enfin, l'interdiction des portables pendant les cours est une mesure qui pourrait s'avérer salutaire, même s'il serait préférable qu'une meilleure éducation rende les élèves capables de couper eux-mêmes leurs smartphones pendant les cours. Ajoutons que pas mal de professeurs pourraient profiter de cette mesure imposée aux élèves pour s'en inspirer...

Quels sont les chantiers absents de cette première année selon vous ? Quels sont ceux qui manquent à cette rentrée ? 

Le problème devenu le plus crucial au fil des ans est la posture des élèves. Peu travailleurs, peu intéressés, difficiles à mobiliser, n'apprenant que peu les leçons, pratiquant le caviardage outrancier de pages internet pour leurs devoirs, le bavardage intensif en classe, problématiques face aux contraintes et aux règles, beaucoup d'élèves sont désormais difficiles à gérer. Il s'agit d'un problème sociétal large, qui constitue dorénavant un obstacle majeur emmenant tout le système vers un écartement impressionnant des postures des élèves. Et les meilleurs se réfugient dans des filières d'excellence pour s'y mettre à l'abri. C'est un chantier qui nous incombe à tous.

La politique à l'école. Le ministre Blanquer se veut pragmatique, expliquant avec raison qu'il souhaite rigueur et exigence, au delà des cautions sociales, le dédoublement des classes de CP par exemple. En pratique, il y a trop de matières « citoyennes » qui n'ont rien à faire à l'école et qui sont animées, à défaut d'être enseignées, par des intervenants pratiquant sans retenue un discours politique, y compris dans la formation des professeurs, mais qui est toléré alors qu'il ne le devrait pas, parce qu'il est de gauche, ou du moins, ancré dans une correction politique imposée.

Il faut se pencher aussi avec plus d'acuité sur le recrutement des professeurs, se demander pourquoi on rame dans certaines zones pour trouver des candidats, pourquoi le métier fait moins recette auprès des jeunes, pourquoi il se féminise de manière outrancière. Egalement, sortir d'une formation de surface, attachée à la méthodologie et aux contenus et trop peu aux postures, aux savoir-faire et savoir-être face aux élèves.

Enfin, il faut reconsidérer les filières professionnelles, développer les collaborations avec les entreprises, mettre en place de vrais tutorats et parcours d'apprentissage, en se souvenant que même si l'exigence vise à amener chacun à son meilleur niveau, de nombreux élèves ne sont pas complètement compatibles avec l'école. Le système scolaire propose un étalonnage des capacités des élèves en décrétant les bons et les mauvais élèves, mais ce n'est pas le seul. D'autres étalonnages existent, pas moins prestigieux, l'artisanat, les sports, la qualification professionnelle. L'égalité n'est pas l'égalitarisme, mais la possibilité égale, offerte à chacun, de trouver la voie qui lui convient le mieux.

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