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Ce que Les Républicains et Laurent Wauquiez ont à gagner, et à perdre, à choisir Michel Barnier comme tête de liste pour les élections européennes
©ERIC FEFERBERG / AFP

Confus

Les Républicains songent à Michel Barnier pour la tête de liste des élections européennes. L'idée d'une telle candidature dans le parti de Laurent Wauquiez peut surprendre.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Atlantico : Selon les informations révélées par Le Monde, les LR réfléchiraient à la possibilité de confier la tête de liste aux élections européennes à Michel Barnier, actuel négociateur en chef du Brexit, et dont le profil serait également convoité par Emmanuel Macron et LREM. En quoi peut-on voir, à travers ce choix, le début des hostilités entre LR et LREM sur le terrain de la droite "humaniste" d'Alain Juppé et Jean-Pierre Raffarin ? Faut-il voir ce choix comme une perception, par les LR, d'un moment de fragilité de LREM au lendemain de l'affaire Benalla, et dans un calendrier qui annonce des questions comme celle du budget 2019 ?

Bruno Cautrès :Incontestablement, les élections européennes de 2019 auront une importance politique essentielle pour les différences forces politiques en France. Pour Emmanuel Macron, le cœur de la bataille sera de concrétiser un double objectif : que la liste de LREM arrive en tête et qu’elle concrétise dans sa composition (et peut-être sa tête de liste) le vaste projet dont il se dit le porteur depuis le tout début de l’aventure En Marche ! : recomposer la vie politique française autour d’un clivage primordial entre « progressistes » (favorables à l’intégration européenne et à la mondialisation comme une chance) et « conservateurs » (favorables à un retour vers la souveraineté nationale et voyant la mondialisation comme une menace). C’est en cela que le dépassement du clivage gauche-droite, renvoyé par Emmanuel Macron au « monde d’avant », lui est essentiel : c’est ce dépassement qui, selon cette analyse, permettrait de regrouper les « progressistes » de gauche et de droite, appelés à s’unir dans un ce que l’on pourrait qualifier de « parti de l’Europe ». Il faut dire que la question européenne, bien avant Emmanuel Macron, clive à gauche et à droite. La droite « humaniste », celle d’Alain Juppé, Jean-Pierre Raffarin, qui avait vécu l’ex-UMP comme un moyen de faire tenir sous un même toit les néo-gaullistes (plus attachés à la souveraineté nationale) et les centristes ou chrétiens-démocrates à la française, partage des points en commun avec Emmanuel Macron sur les questions européennes. 
Ce sont les raisons qui expliquent que depuis plusieurs mois, des messages entre les lignes ont été passés entre Alain Juppé et les responsables de LREM. Il est donc assez vraisemblable que du côté de LREM on tente d’attirer des personnalités de droite pro-européenne et ainsi amplifier la recomposition politique entamée avec l’arrivée au gouvernement de Bruno Le Maire ou Gérald Darmanin. Si au printemps des signes allaient dans ce sens, la baisse de popularité significative d’Emmanuel Macron au cours des derniers mois et l’affaire Benalla compliquent les choses. L’affaire Benalla a écorné l’image d’Emmanuel Macron et l’on a vu une baisse de popularité d’Emmanuel Macron auprès des électeurs de droite même si cette tendance était là avant l’affaire. Du côté de LR, la bataille pour les européennes est vitale : il s’agit de se positionner en principale force d’opposition et d’incarner en même temps une opposition très différente de celle de LFI. Par ailleurs, pour LR il est encore plus vital de ne plus céder une once de terrain à LREM en termes de ralliement de personnalités LR de premier plan ; c’est en cela que « figer » le jeu avec Michel Barnier comme tête de liste (et pourquoi pas ensuite Président de la Commission européenne soutenu par le PPE dont LR fait partie) pourrait être un évènement important pour LR : la campagne de LREM pour s’opposer à cette liste serait beaucoup moins facile. Même si Michel Barnier a davantage un profil de spécialiste de l’Europe, voire de technicien chevronné de ces questions, qu’un profil politique classique, il a un passé d’élu national qui en ferait sans doute une tête de liste difficile à combattre pour ceux qui sont des pro-européens affichés ; l’image « néo-gaulliste » qu’avait Michel Barnier dans sa jeunesse politique lui assure sans doute d’un matelas important de soutien à droite et pas seulement parmi les électeurs. 
Toutes ces hypothèses s’inscrivent dans un jeu plus complexe, qui dépasse largement les questions de court terme: il y a des questions de fond et l’Europe est un thème qui ne fait pleinement consensus chez personne et sans doute pas même au sein de LREM même si le soutien à l’UE y est fort. Il y a aussi des considérations tactiques de moyen terme : les élections municipales de 2020 constitueront un crash-test pour tout le monde autrement plus dangereux et notamment pour LR. Les leaders de la droite sont sans doute balancés, pour ceux qui se sentent proches des idées d’Emmanuel Macron, entre des considérations stratégiques de long terme (que sera la droite et que sera LREM dans 10 ans ?) et des considérations tactiques de court terme (dans quel état sera la popularité d’Emmanuel Macron en 2020 ? LREM sera-t-elle encore attractive à ce moment-là ?). 

Comment évaluer un tel choix, pour le LR, d'un point de vue électoral ? Comment évaluer ce même choix sur la question idéologique, en quoi est-elle cohérente avec la ligne Wauquiez menée depuis ces derniers mois ? 

Dans ce jeu complexe, chacun commence à avancer des pions avec des noms prestigieux et qui jouent un peu le contre-pied pour les têtes de liste : on annonce de PS moribond et il évoque d’aller chercher un brillant politicien et universitaire belge comme tête de liste ou d’européaniser sa liste ; on annonce une campagne à tonalité tièdement européenne de Laurent Wauquiez et LR évoque le nom de Michel Barnier, grand européen de droite, expérimenté et respecté en Europe, avec un CV européen très prestigieux… Si l’hypothèse se vérifiait pour Michel Barnier, cela enverrait un signal fort aux européens convaincus de droite que leur parti se met en marche…pour commencer une opération de reconquête de l’opinion et desserrer l’étau qui comprime LR entre une partie de son électorat tentée par Emmanuel Macron et une autre partie tentée par le RN. 
Au plan des questions européennes, il est certain que l’hypothèse Barnier tête de liste LR aux européennes amènerait Laurent Wauquiez à clarifier sa ligne européenne dans un sens plus « mainstream » pour la droite pro-européenne. Il a été ministre des affaires européennes sous Nicolas Sarkozy et a publié un livre sur l’Europe intitulé « Europe : il faut tout changer », donc je n’ai pas de doutes sur le fait qu’il parviendrait à donner du contenu à cette explication / clarification. 

Quels sont les risques de voir un tel choix permettre au Rassemblement national de constater entre les LR et LREM une unité de vision politique ? 

Quel que soit celui ou celle qui conduira la liste de LR et de LREM aux européennes, le Rassemblement national de Marine Le Pen fera campagne sur le thème : « tous des ennemis de la France et de sa souveraineté ». C’est une stratégie de campagne électorale classique pour les partis négatifs vis-à-vis de l’Europe : il s’agit pour eux d’expliquer que tous les autres partis sont en fait d’accord sur le prolongement de l’intégration européenne et que seuls eux dévoilent aux électeurs cette « vérité ». 

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