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Donald Trump se bat pour revenir au niveau pré-2008 alors qu'il devrait s'occuper de la prochaine crise
©Brendan Smialowski / AFP

Guerre économique

Depuis quelques mois, l'Amérique de Donald Trump a déstabilisé nombre d'économies dans le monde, dans le but de rétablir sa puissance. Mais la stratégie adoptée est éminemment contestable.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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A quoi jouent donc les États-Unis ? Ils sont en plein emploi et veulent aller plus loin, tout en déstabilisant nombre de pays. C’est le cas en zone euro, quand ils soutiennent le Brexit ou le Président hongrois par exemple, et attaquent l’Allemagne exportatrice de voitures mais qui ne dépense pas assez pour sa sécurité. Et l’euro perd 6% depuis janvier. C’est plus encore le cas avec le Venezuela (en saisissant certains de ses actifs) – en crise majeure, ou récemment la Turquie ou l’Iran – avec l’idée de les pousser dans une crise sociale. Et les monnaies turque et iranienne (marché gris) perdent alors plus de la moitié de leur valeur depuis janvier. S’agit-il de déstabiliser le monde ?  

Mais pour quel intérêt ? Les États-Unis vont étonnamment bien, avec un taux de chômage de 3,9%, une inflation qui monte peu (2,9%), autant que les salaires. Surtout, aller plus loin est dangereux, d’abord pour eux. Les bons résultats américains actuels sont-ils en effet le miracle d’une croissance de plein emploi sans hausse du salaire réel grâce à la révolution technologique en cours, à l’expertise de la Fed et au magistère de Donald Trump, ou bien la trace profonde d’une crise qui s’est pourtant arrêtée il y a dix ans ? Bien sûr, ramener vers le marché du travail des personnes qui l’avaient quitté depuis plusieurs mois, et d’autres souffrant de problèmes de santé (en fait d’accoutumance à des opioïdes) : il faut reconnaître que cette politique donne des résultats positifs ! Sans être naïfs, elle fonctionne aussi avec la réduction des aides aux chômeurs de longue durée et des subventions médicales. Donc les États-Unis vont étonnamment bien dans un monde qu’ils secouent dangereusement. Ils n’auraient donc rien à craindre à continuer chez eux, et à secouer les autres ?

Non. Car malgré tous ces bons résultats, toutes ces pressions (sociales et internationales), malgré le creusement du déficit budgétaire et une politique monétaire qui réduit les taux à court et à longs, la croissance américaine n’est plus sur sa trajectoire de croissance d’avant crise, de 1998 à 2007. Des calculs de la Banque fédérale de San Francisco (Economic Letter du 13 août 2018) montrent au contraire que les États-Unis ont actuellement un PIB inférieur de 10% à celui qu’ils auraient eu hors crise. Ce « manque à produire » serait aussi de 12% pour la zone euro et le Royaume-Uni. La crise a donc laissé des traces, partout, et voisines dans l’OCDE.

Les théories abondent pour expliquer ces séquelles, mettant l’accent sur les crises financières, dont les conséquences sont les plus profondes de toutes, et surtout les plus durables. Avec la crise financière, des ménages et des entreprises ne peuvent plus rembourser, ce qui mène à la faillite et au chômage, et fait aussi tomber les banques les plus fragiles. La bourse fléchit, ce qui inquiète les investisseurs. Les banques font plus attention pour faire crédit. Surtout, les entreprises deviennent bien plus prudentes pour embaucher, investir et se lancer dans des programmes de recherche-développement, tandis que les startups les plus innovantes sont bridées, voire ne se lancent pas dans l’aventure.

Au fond, c’est le scénario d’une décennie perdue qui émerge de ces calculs sur le poids de la crise financière « passée ». On comprendrait alors le souci d’en éviter une autre, sachant que les banques centrales n’ont pas épongé les effets de la précédente ! En cas de ralentissement américain, les munitions de la Fed pour baisser ses taux seront en effet réduites (ils sont à 2%) et plus encore sa capacité à acheter à nouveau des bons du trésor, alors qu’elle vend ceux qu’elle a en portefeuille. 

Eviter une nouvelle crise financière compte tenu de ses impacts durables, notamment en renforçant les normes prudentielles bancaires, bien plus importants qu’il y a dix ans, est donc de l’intérêt de tous. Mais tel n’est pas le calcul de Donald Trump. Il entend pousser la croissance américaine de manière à hausser son PIB potentiel. Il serait de l’ordre de 2,5%, autrement dit l’économie américaine le dépasse, ce qui ne peut durer longtemps sans tensions inflationnistes majeures. Et pourtant, Donald Trump continue, en permettant des crédits plus faciles aux ménages et aux PME, mais aussi en matière de recherche avec une protection plus forte des brevets américains et la baisse de la fiscalité des entreprises (même si ses projets en matière d’infrastructure sont bloqués au Congrès). 

Donald Trump joue donc très gros jeu : forcer la croissance américaine par la finance et affaiblir celles de tous, alliés ou non, partout ailleurs. Un jeu d’autant plus risqué que la crise ancienne n’est pas résolue et qu’il avance vers la suivante, avec moins de munitions. Les anciens parlaient de « victoire à la Pyrrhus », pour parler de ces « victoires » qui affaiblissent plus le vainqueur que le vaincu. Et là il s’agira sans doute plus de politique que de finance, et plus du monde occidental, dans ce qui peut être une « victoire perdante ».

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