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Pourquoi Emmanuel Macron joue gros en cas de constitution d’une liste Juppé-Raffarin pour les européennes
©MICHEL EULER / POOL / AFP

Montée des enchères

Jean-Pierre Raffarin dans le journal Le Monde laisse ouvert la possibilité de voir se dégager une liste indépendante "droite humaniste" pour les élections européennes.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Atlantico : Dans une interview donnée au journal Le Monde, Jean-Pierre Raffarin a indiqué que la "droite humaniste" devra décider de sa stratégie "entre l'affirmation d'une entité spécifique par la formation d'une liste" ou un "accord politique novateur pour l'Europe, soit sur sa gauche, soit sur sa droite". En imaginant que les hommes rassemblés autour d'Alain Juppé et de Jean Pierre Raffarin choisissent une stratégie de liste autonome pour les européennes, quelles en seraient les conséquences pour les forces en présence ?  Qu'est-ce que les LR et LREM auraient à perdre face à une telle stratégie ? 

Jérôme Fourquet : L'interview de Jean-Pierre Raffarin dans Le Monde est intéressante parce qu'elle permet de prendre la température au sein de cette droite modérée qui oscille entre une attitude bienveillante vis-à-vis d'Emmanuel Macron et un accord de raison avec sa famille historique aujourd'hui dirigée par Laurent Wauquiez. Elle est intéressante parce qu'elle intervient après l'affaire Benalla et permet de voir ou se situe ces gens. Il y a quelques mois, de notre point de vue, l'éventualité d'un accord politique entre le courant juppéiste d'une part et la République en Marche et le Modem d'autre-part, sur l'enjeu européen, et donc dans la perspective d'un combat commun et d'une liste commune, semblait faire assez peu de doutes et on semblait se diriger tout droit vers ce scénario avec des manœuvres d'approches qui étaient très claires -notamment les propos d'Alain Juppé tenus sur l'identité de point de vue qu'il avait avec Emmanuel Macron sur la question européenne.

Cette droite modérée et pro européenne a été très silencieuse pendant l'affaire Benalla, elle n'a pas tiré à boulets rouges, mais elle n'est pas non plus venue au secours d'Emmanuel Macron. Jean Pierre Raffarin, en bon centriste modéré, ne se ferme aucune porte et s'ouvre les trois options, la liste autonome, l'alliance avec en Marche ou le retour au bercail dans le giron des Républicains. Cela est intéressant, parce qu'il n'allait pas de soi que les trois options soient encore ouvertes. On aurait pu penser que l'hypothèse d'une alliance avec LREM, après l'affaire Benalla, n'était plus à l'ordre du jour. Manifestement cela l'est encore. Dans ce contexte, cela est une façon de faire monter les enchères des deux côtés. En brandissant la menace d'une liste autonome, on envoie un message à la fois à Laurent Wauquiez et à ses lieutenants en disant que s'il ne mettait pas d'eau dans son vin sur son discours eurosceptique et euro-critique, il devrait compter avec une liste de droite modérée qui viendrait quand même les concurrencer, et puis idem en direction d'Emmanuel Macron et d'Edouard Philippe qui est nommément cité dans cette interview, ce qui n'est sans doute pas anodin. C'est une façon de leur dire : "nous n'avons pas totalement tourné la page et il est encore possible sous certaines conditions - si celles-ci sont favorables – nous pouvons envisager un travail et un partenariat dans la perspective des européennes."

Quel pourrait être le poids d'une telle liste ?

Cela est difficile à dire à cette heure, tout dépendra du climat politique et idéologique qui prévaudra au moment des européennes. On rappelle que ces élections auront lieu en mai prochain, c’est-à-dire deux mois après la tenue du Brexit. En fonction de la tournure du Brexit, la coloration du climat électoral dans la perspective des européennes sera très différent. Il est difficile de prédire ce climat et cela dépendra également aussi, comme dans chaque scrutin, de l'offre politique en présence. Quelles seront les listes et les forces en présence mais surtout quelles seront les têtes de liste ? Cette question se pose notamment pour cette hypothétique ou potentielle liste de la droite européenne modérée. Ira-t-on chercher une personne l'UDI ? Prendra-t-on quelqu'un des LR ? A-t-on un personnalité qui pèse suffisamment lourd politiquement pour qu'elle puisse entraîner cette liste ? Jean-Pierre Raffarin serait-il susceptible d'entraîner cette liste ? Il faut aussi déterminer qui seraient les soutiens de poids d'une telle liste, soit pour la composer soit pour faire campagne. On pense à des figures comme Valérie Pécresse; prendra-telle le risque de soutenir une telle liste ? Idem pour Xavier Bertrand. L'attitude des gens de l'UDI sera également à surveiller. Jean-Louis Borloo qui a été fort marri de l'accueil réservé à son plan banlieues pourrait repartir pour un tour de piste politique en s'impliquant dans cette démarche. Il y a beaucoup d'inconnues. Si on se réfère aux intentions de vote, nous n'avons mesuré que l'UDI, qui pointait entre et 2 et 3% des voix, mais il ne s'agit que du poids de l'UDI seul. Mais si une telle liste venait à se lancer, elle aurait pour ambition d'essayer de fédérer au-delà de l'UDI, avec les troupes d'Alain Juppé. Du coup, nous aurions deux listes clairement européennes et qui seraient sur un agenda de réformes libérales. Il y aura quand même une concurrence et le risque d'une division des voix.

En cas d'un accord "sur sa droite ou sur sa gauche", la droite humaniste peut-elle avoir les moyens de faire basculer l'élection au regard de son poids actuel ?

Nous sommes dans un scrutin à un tour, donc le but du jeu est d'être en tête. Effectivement, je pense qu'à L'Élysée et à Matignon, on compte beaucoup sur le soutien du courant Raffarin -Juppé, celui de la droite modérée et humaniste, pour venir gonfler la liste présidentielle qui aura vocation et ambition à se présenter comme étant la seule liste véritablement pro européenne. De Manuel Valls jusqu'à Alain Juppé en passant par François Bayrou et Nicolas Hulot. En disant "tous ceux qui ont l'idéal européen chevillé au corps se retrouvent dans la maison commune qui est celle du président Macron". Dans ce schéma-là, évidemment, il est tout à fait primordial qu'il n'y ait pas de liste de cette droite européenne modérée et que ces voix aillent conforter la dynamique d'En Marche. Même si aujourd'hui le rapport de force est plutôt favorable aux eurosceptiques, il existe encore de manière plus ou moins enthousiaste des pro européens. Ces derniers sont sans doute minoritaires dans la société française mais l'objectif d'En marche est de faire le carton plein dans cet électorat, en étant les seuls sur ce segment. Alors que les eurosceptiques vont se partager les autres électeurs. Pour ce schéma là, d'une liste unique des pro européens, il n'est pas totalement exclu qu'elle puisse virer en tête à l'image de ce qu'était parvenu à faire Nicolas Sarkozy lors des européennes de 2009. En s'appuyant sur la gestion de la crise de la dette et du krach boursier de 2008, et sur la présidence de l'UE qu'il avait assuré pendant 6 mois, Nicolas Sarkozy était parvenu à arriver premier et ainsi à sauver les apparences. Aux européennes de 2019, l'enjeu sera également de sauver les apparences, le score sera bien évidemment important mais il sera tout aussi important de voir l'ordre d'arrivée. Dans ce cadre-là, si Juppé et Raffarin décident de partir sous leurs propres couleurs, ils peuvent capter une part des voix qui sinon auraient voté En Marche, et donc de leur faire perdre la pôle position, et de faire perdre des voix à Laurent Wauquiez dont il aura cruellement besoin pour essayer d'être devant le Rassemblement national. Jean-Pierre Raffarin essaye quelque part de monnayer chèrement son rôle de faiseur de roi ou de force d'appoint stratégique puisqu'il dit à un moment dans son interview "Quel rôle jouera la droite humaniste et européenne nécessaire pour toute victoire ? ". Il fait monter les enchères, et on ne sait pas s'il joue au poker menteur. L'affaire Benalla a réduit l'hypothèse d'une alliance sans complètement la remiser aux oubliettes, et l'idée d'une liste autonome prend un peu de consistance. Bien malin qui peut dire s'il ne s'agit que d'une façon de se vendre chèrement.  

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