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Les épines du rosier 17) : Une droite bien passive quand il s’agit de revenir sur les réformes de gauche
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Pamphlet

Dans un pamphlet qu'Atlantico publie en feuilleton et alors que François Hollande fait figure de favori des sondages, Roland Hureaux a souhaité faire le point sur les grandes lignes des politiques passées et à venir des socialistes. Quelle responsabilités pour la droite depuis 30 ans ?

Roland Hureaux

Roland Hureaux

Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.

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Et la droite dira-t-on dans tout cela ?

Nous avons passé en revue huit domaines où la contribution de la gauche au mal français, aux griefs profonds que ressentent aujourd’hui nos compatriotes, est essentielle : chômage et manque de compétitivité, émergence des féodalités locales, abandon du monde rural et crise du logement, immigration mal contrôlée, mal intégrée et protection sociale mal gérée,  vécue comme injuste, montée de l’illettrisme, attrition de l’État  et recul des services publics, politique étrangère sous contrôle étranger, affaires.

Si la responsabilité de la gauche au cours des trente dernières années est claire, celle de la droite, qui a été au pouvoir aussi longtemps, n’est pas nulle mais elle est d’une autre nature.

Elle tient moins, la plupart du temps, ses idées propres qu’au fait qu’elle a poursuivi assez servilement des politiques lancées par la gauche.

La seule politique clairement lancée par un gouvernement de droite, fut celle des privatisations, engagée avec énergie par Jacques Chirac entre 1986-1988. François Mitterrand redevenu pleinement maître de l’État  de 1988 à 1993 ne la remit pas en cause mais ne la continua pas non plus : ce fut le temps du ni-ni, ni nationalisation, ni privatisation. Les privatisations furent reprises avec prudence par Balladur et Juppé de 1993 à 1997, mais poursuivies avec une détermination sans faille par Jospin entre 1997 et 2002. La droite reprit ensuite le flambeau. Si Sarkozy ralentit le mouvement, c’est que les fleurons de l’État  encore à vendre sont devenus rares !

Ni les uns ni les autres n’eurent la sagesse de considérer que la vente du capital de l’État  devait d’abord servir à le désendetter et non point à régler des dépenses courantes. Contre toute orthodoxie budgétaire, le profit des privatisations servit, année après année, à réduire le déficit apparent du budget.

C’est peut-être ce qui explique l’ardeur que la gauche, au rebours de son idéologie d’antan, mit à privatiser : la facilité budgétaire ; mais dans le reniement, il n’est que le premier pas qui coûte.

Alain Madelin, ministre de l’Industrie sous la première cohabitation, mit un acharnement rare à détruire son ministère, instrument privilégié de la politique industrielle des années 1945-1980. On peut donc dire que la fin de la politique industrielle, qu’aujourd’hui presque tout le monde déplore, est à mettre aussi au passif de la droite, mais, en dépit des velléités du premier gouvernement d’union de la gauche, l’ardeur de l’État  en la matière se trouvait déjà bien amortie en 1986.

L’introduction des critères du secteur privé dans la gestion des services publics, même si on peut la rattacher aussi à la philosophie de la droite libérale, commença avec la loi Quilès sur la Poste du 2 juillet 1990.

Il n’est jusqu’au bouclier fiscal, tenu généralement pour une mesure de droite, qui n’ait été instauré par la gauche : le gouvernement Rocard le fixa à 70 % des revenus ; Chirac le ramena à 60 %, puis Sarkozy à 50 % pour ensuite le faire disparaître face à l’impopularité que cette mesure emblématique en faveur des plus fortunés lui avait valu.

La politique européenne des trente dernières années, certains le mettront à son crédit, doit sans doute plus à la gauche qu’à la droite : l’Acte unique du 28 février 1986 a été négocié par elle : aurait-il d’ailleurs vu le jour sans Jacques Delors, même si c’est Chirac qui l’a fait ratifier ? Le traité de Maastricht existerait-il sans François Mitterrand, même si Balladur et Chirac qui l’avaient voté, ont ensuite préparé sa mise en œuvre ? Le premier accord de Schengen date du 14 juin 1985, la Convention du même nom de 1990 même s’ils ne s’appliquent pleinement qu’à partir de 1995. Le traité d’Amsterdam (2 octobre 1997) et celui de Nice (26 février 2001) sont négociés par le gouvernement Jospin avec, il est vrai, l’active participation de Jacques Chirac. La stratégie de Lisbonne, à caractère ultra-libéral, est décidée en septembre 2000 sous le gouvernement socialiste.

Mais ces "avancées" doivent-elles faire oublier que c’est la gauche qui, en acceptant en 1984 que la politique agricole commune, la plus substantielle des réalisations de l’Europe depuis les origines, soit soumise aux négociations du GATT, prélude à son progressif laminage ?

Après l’échec du référendum du 29 mai 2005, c’est bien Sarkozy, en revanche, qui a repris l’initiative, n’hésitant pas à prendre le contrepied du verdict du peuple français pour faire adopter par la voie parlementaire le traité de Lisbonne du 13 décembre 2007.

A la droite seule, reviennent les réformes des retraites, généralement votées dans l’urgence pour équilibrer les comptes de régimes menacés par le double vieillissement de la population : vieillissement par la diminution des classes jeunes entrant sur le marché du travail, vieillissement par l’allongement de la durée de la vie. Balladur en 1993, Fillon en 2004, Sarkozy en 2007 (régimes spéciaux) et 2010 (régime général) tentèrent de colmater les brèches : tous trois le firent à minima.

D’une façon générale, la droite ne marque son passage que par une approche étroitement comptable des problèmes : plan Juppé de remise en ordre des finances publiques de 1995, plan Douste-Blazy de réforme de l’assurance maladie de 2004, lui aussi réduit au strict minimum, réformes successives des retraites.

Pour le reste, la droite s’est contentée, sur presque tous les sujets, d’appliquer, voire d’amplifier les initiatives prises par la gauche, initiatives généralement néfastes comme nous l’avons vu.

Les exemples sont innombrables : la décentralisation, lancée par Defferre est poursuivie par Raffarin, la réforme communale lancée par Joxe est poursuivie par Pasqua, puis Marleix. La réforme de l’État , issue de la LOLF votée sous l’égide de Jospin en 2000 est mise en œuvre activement par Sarkozy à partir de 1987, au prix d’une grande impopularité de l’intéressé chez les fonctionnaires, la réintégration de l’OTAN, largement amorcée par Mitterrand, est poursuivie par Chirac et parachevée par Sarkozy. Le Pacs a été voté par le gouvernement Jospin contre l’hostilité d’une grande partie de la droite ; celle-ci s’est néanmoins cru obligée de voter en 2007 une loi d’ « amélioration » du Pacs. Sarkozy prétend perfectionner le RMI devenu le RSA et a recours, pour ce faire, à Martin Hirsch, homme de gauche, comme si personne dans les rangs de la droite n’avait la compétence pour faire du social !

Passons rapidement sur les politiques qui marquent tant la continuité entre la droite et la gauche qu’on ne sait plus qui en a pris l’initiative : multiples plans pour l’emploi des jeunes, politique de la ville, l’action des uns et des autres en la matière se contentant de colmater des brèches, face à des problèmes qui les dépassent.

Même quand elle n’a pas cherché à les améliorer, la droite, dans la plupart des cas, n’a abrogé aucun des dispositifs mis en place par la gauche : la réforme de la politique agricole commune n’a pas été révisée ; l’abandon de la politique d’aménagement du territoire ne fut remis en cause par Pasqua que de manière incantatoire et transitoire ;  on peut en dire autant, au moins  à partir de 1993, de la révision des politiques migratoires. Après avoir brandi des années un sabre de bois pour les dénoncerla droite a gardé les 35 heures. Les orientations de la gauche en matière d’éducation nationale, dont tout le monde connaît le caractère désastreux, n’ont été remises en cause qu’à la marge. Le seul effort véritable pour revenir sur la doxa du pédagogisme et du tronc commun, furent les courageuses circulaires de Robien du 3 janvier  2007, publiées en catimini et sans vrai soutien politique. L’encre n’en était pas encore sèche que le gouvernement suivant les abrogea. La suppression des IUFM, intervenue tardivement, en revanche, demeure.

Une partie de la passivité de la droite s’explique certes par le commun engagement des deux grands partis, UMP et PS, dans le processus européen ; beaucoup de décisions prises par un bord, et appliquée par l’autre, émanent de Bruxelles. Quelle que soit la majorité, il était bien difficile à la France de contester des directives déjà arrêtées à 25 : uniformisation des normes de toutes natures à la suite de l’Acte unique, réforme de la PAC, préparation de la monnaie unique, espace Schengen, stratégie de Lisbonne, privatisation de la gestion des services publics et mise en concurrence systématique etc.  D’autant que ses représentants à la négociation avaient toujours donné leur accord.

Il faut en effet préciser que ces décisions ne sont pas tombées du ciel. Elles ont chaque fois résulté d’une négociation où l’attitude du gouvernement français (rappelons que la France est la deuxième puissance économique de l’Union européenne !) pèse de tout son poids, à condition d’être argumentée et défendue par des gens convaincus. Qui peut dire que la réforme de la politique agricole commune et les négociations du GATT qui l’ont suivie n’auraient pas pris une autre tournure si nos dirigeants n’avaient pas été, eux, aussi convaincus de la supériorité du modèle américain de gestion des marchés ? Qui peut dire que la réforme du marché de l’électricité de 1997 n’aurait pas été différente si certains technocrates de gauche n’avaient secrètement appelé de leurs vœux cette libéralisation ? Au premier rang de ceux-ci, François Roussely, nouveau président d’EDF, qui n’attendait que cette ouverture pour jouer, comme ses collègues du secteur privé, le grand jeu des acquisitions-fusions sur les terres de nos partenaires européens : achat d’EMBW, de London Electricity et, vivement contesté par les Italiens, de Montedison, grand jeu qu’il fallut payer d’une ouverture du marché français, alors même qu’aucune nécessité technique ne l’imposait.

Derrière la passivité et le suivisme de la droite française, se trouve la culture politique qui est aujourd’hui la sienne. Depuis le retrait du général de Gaulle, au nom du pragmatisme, la réflexion y est tenue en suspicion. La nécessité d’appuyer le combat politique par une action intellectuelle et culturelle ne fut perçue que par des groupes d’extrême droite, tel le Grèce, appelés naturellement à la marginalité. L’ultra-libéralisme qui servit de pensée à certains ne fut jamais vendable à des électeurs pour qui la protection des faibles fait légitimement partie, des devoirs immémoriaux de l’État. La référence à la doctrine sociale de l’Eglise  aboutit  généralement à la récitation d’encycliques mal digérées.  Personne ne se soucia de tirer  la philosophie contenue dans l’héritage du général de Gaulle, dont la mémoire se cantonna longtemps à des commémorations aussi compassées que rebutantes.

Dans les promotions de jeunes ambitieux qui espèrent faire une carrière politique dans les rangs de la droite, celui qui s’aviserait de réfléchir en profondeur aux problèmes du pays ou d’avoir un projet global se trouverait très vite marginalisé par les spécialistes de la petite tactique politicienne, supposée caractériser les vrais "pros" : comment trouver une bonne circonscription, comment écraser les petits camarades, comment bluffer les médias ? Voilà le seul savoir indispensable. Pour ce qui est des idées, celles qui sont dans le vent suffisent bien. Et si à coup de petites ficelles, l’impétrant arrive à devenir ministre, les services seront là pour lui souffler des projets. Des services ayant leur culture propre, presque toujours de gauche, mais il n’en a cure, car ce qui compte est d’avoir l’air de faire, d’annoncer des mesures qui soient dans l’air du temps, de nourrir le service de communications d’idées chic et choc !

À la limite, dans un tel environnement, avoir des idées sera une source de problèmes, un motif de conflit avec des services qui ne seront pas d’accord, qui fera courir le risque de faire des propositions inopportunes. Quand Gilles de Robien s’avisa courageusement, par le biais de ses discrètes circulaires, de remettre en cause en profondeur les piliers d’un système éducatif qui avait montré ses travers, cela sans autre objectif que de faire le bien, les journaux déclarèrent sa cote en baisse car, voulant aller au fond des choses, il avait pris le risque d’aller contre le politiquement correct de l’heure, incarné par des services et véhiculé par les médias.

Qu’une telle culture conduise à la plus parfaite passivité vis-à-vis d’orientations conçues par d’autres, souvent de l’autre bord, comment s’en étonner ?

On ne s’étendra pas sur l’influence de la culture de gauche sur certaines administrations : l’éducation nationale bien sûr, mais aussi une partie de la justice ou des affaires sociales. Quand il ne s’agit pas à proprement parler de culture de gauche, à tout le moins s’agit-il d’un mode de pensée idéologique, comme la volonté opiniâtre du ministère de l’intérieur de réduire le nombre des communes. Si, face à ces cultures solidement ancrées, ne s’affirme pas une forte volonté politique, appuyée sur une pensée structurée, le vent dominant l’emporte.

Comme, depuis des lustres, le vent de gauche souffle le plus fort, la responsabilité qu’elle porte dans les dérives qui, aujourd’hui suscitent la colère des Français, est bien plus grande que celle de la droite. Mais la passivité de celle-ci fait que, dès lors qu’elle est au pouvoir, c’est aussi à elle qu’on s’en prend.

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