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Al Qaïda 
est-elle encore dangereuse ?
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Anniversaire

Un an après la mort d'Oussama Ben Laden, l'aura d'Al Qaïda continue de rayonner dans l'univers djihadiste. Les Américains ont-ils annoncé un peu vite l'agonie de la nébuleuse terroriste qui continue de susciter des vocations ? Comment une poignée de djihadistes sont entrés dans la légende la plus sombre.

Yves Trotignon

Yves Trotignon

Yves Trotignon est analyste senior, spécialiste de la menace terroriste. Ancien analyste de la DGSE, il travaille désormais dans le privé.

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Atlantico : Ce mercredi marque « l’anniversaire » de la mort d’Oussama Ben Laden. D’après les propos de Barack Obama et Leon Panetta, Al Qaïda serait à l’agonie. L’organisation djihadiste est-elle vraiment finie ?

Yves Trotignon : C’est un débat qui remonte au début de l’hiver dernier. Les Américains se sont posé la question d’annoncer la victoire sur Al Qaïda, qu’il faut bien différencier avec une victoire sur le terrorisme djihadiste. En effet, même avant la mort d’Oussama Ben Laden, l’organisation était déjà mal en point, et n’était plus ce qu’elle avait pu être jusqu’en 2003. Jusque là, c’était une structure assez bizarre mais qui pouvait encore fonctionner et donner des ordres. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Il y a encore quelques émirs qui peuvent prendre l’initiative de lancer des opérations. Depuis 4 ou 5 ans, il y a une vraie autonomisation des réseaux, quelle qu’en soit la taille. Des individus isolés sont même incités à agir seuls.

Ces réseaux relèvent-ils d’Al Qaïda ?

Ces différents groupes relèvent de l’idéologie djihadiste. Ils ont fait leurs les objectifs d’Al Qaeda : la lutte contre les Etats-Unis, la libération de l’Afghanistan et la récupération de thèses altermondialistes. En même temps ce sont des mouvements qui, pour la plupart, n’ont pas de liens, directs ou non, avec les gens basés au Pakistan ou au Yémen. La DGSE et le Quai d’Orsay les ont baptisés en 2003 et 2004 le 3ème cercle, c’est-à-dire des mouvements inspirés par Al Qaeda sans avoir de lien avec.

Se revendiquent-ils toujours autant d’Al Qaïda ?

Oui, cela n’a pas tellement changé. Initialement, dans les années 2000, cette revendication restait une belle façon de se faire de la publicité. Le problème, c’est qu’Al Qaïda est un système du groupe. Les gens se revendiquent du groupe mais en espérant être reconnu par celui-ci. Donc ils ne peuvent pas dire n’importe quoi. Beaucoup de mouvements expliquaient ainsi respecter et vouloir participer à ce que faisait Al Qaeda dans l’attente que cette dernière ne noue un contact.

Depuis, c’est surtout la presse et le grand public qui vont un peu vite dans leurs conclusions. Au moindre attentat, on évoque Al Qaïda. C’est ce qui s’est passé pour les attaques de Bombay en 2008. Il s’agissait alors de mouvements islamistes pakistanais qui ont agit en parfaite autonomie, sans que jamais, Al Qaïda ne soit impliquée.

C’est toujours une belle étiquette. On parle souvent de franchises. Mais c’est aussi parfois une facilité de langage.

Des groupes djihadistes prennent-ils la relèvent d’Al Qaïda et cherchent-ils à leur tour à s’imposer comme des leaders de cette mouvance terroriste ?

Oui et non. Il faut considérer qu’Al Qaïda a toujours été le réseau des réseaux. Elle est à la fois une organisation et une maison mère, une enseigne générale, dont partent des franchises. Des groupes se sont rapprochés, ont parfois changé de nom, afin de rejoindre cette mouvance.

De là, certains sont devenus très importants commeAl Qaïda en Irak, Al Qaïda dans la Péninsule arabique ou différents mouvements pakistanais. Ceux-ci se sont mis à leur tour à attirer de plus petits groupes. On évoque souvent un système en forme de pyramide. Mais malgré tout, nous parlons là de quelques milliers d’individus : la nébuleuse n’est pas non plus gigantesque.

Aucun mouvement n’a aujourd’hui la volonté de supplanter Al Qaïda comme organisation générale. Tous continuent de combattre au nom de la lutte entamée par celle-ci.

Quels sont les capacités des derniers émirs d’Al Qaïda ? Sont-ils encore réellement dangereux ?

Très bonne question. Ils sont encore dangereux, malgré le fait qu’ils ne sont pas beaucoup. En même temps, ils n’ont jamais été très nombreux. Said Abdallah, par exemple, qui a été le grand leader opérationnel en Afrique de l’ouest ou encore Fazul Abdallah, qui a été tué en Somalie l’année dernière, étaient actifs depuis très longtemps. Tous deux étaient suffisamment crédibles et connus pour être considérés comme des légendes. Où qu’ils se rendent, ils étaient acceptés et soutenus par les groupes locaux.

Ces gens sont en quelques sortes des seigneurs du djihadisme. Ils sont extrêmement expérimentés et connaissent beaucoup de monde. Ils ont des connections au sein de tous les réseaux, un peu partout. C’est ce qui les rend dangereux.

On estime qu’il y a entre 20 et 30 personnalités très influentes réparties entre l’Afrique du nord, l’Europe, le Moyen-Orient et l’Asie du sud-est. Certains ont disparu et d’autres ont émergé, par exemple au sein du djihad en Irak. Dans les faits, il faut compter sur quelques centaines d’individus vraiment décidés.

L’assassinat d’Oussama Ben Laden a-t-il changé la situation pour Al Qaïda ?

L’assassinat, enfin ! D’un point de vue, c’est effectivement un assassinat. Mais d’un point de vue militaire, c’est une élimination d’un leader adverse. La logique américaine, depuis 2001, a été de toujours suivre cette logique militaire.

C’est ce qu’a fait la France, en juillet 2010, en attaquant un camp d’AQMI au Mali avec l’armée mauritanienne. On considère qu’à un moment donné, il est impossible d’arrêter certains individus. On prend alors la décision politique de les éliminer.

Il est vrai que juridiquement, on peut y voir un assassinat. Des familles américaines ont d’ailleurs eu ce raisonnement et ont décidé de porter plainte pour la mort de ressortissants américains partis faire le djihad au Yémen.

C’est une logique parfaitement opérationnelle qui n’empêche pas par ailleurs d’avoir arrêté plusieurs responsables d’Al Qaïda qui sont aujourd’hui détenu aussi bien à Guantanamo qu’en Europe ou au Moyen-Orient.

Du coup, l’élimination d’Oussama Ben Laden a-t-elle changé la situation pour Al Qaïda ?

Elle n’a pas changé sa dangerosité. Sa capacité opérationnelle n’a pas évolué. Depuis 2006-2007, Al Qaïda a changé de stratégie et a décidé de laisser faire les mouvements locaux, considérant que tous les combats nationaux ou régionaux s’inscrivaient dans le djihad global. C’est aussi pour cela que l’on a l’impression depuis quelques années qu’Al Qaïda est moins menaçant.

Le symbole de cette élimination a par contre été assez fort. Les Américains ont voulu montrer aux djihadistes qu’ils pouvaient les frapper. Ils ont envoyé les forces spéciales, ont pris un risque politique en allant chercher Ben Laden dans une ville qui est avant tout une garnison militaire pakistanaise, l’équivalent de Saint Cyr chez nous.

Il y a un intérêt politique électoral. Cette simple élimination pourrait permettre à Barack Obama d’enchaîner un second mandat. Il est le seul à pouvoir dire « je l’ai fait ».

On a beaucoup craint des vengeances. Moi le premier. Mais il faut prendre en considération que la mission d’Oussama Ben Laden était terminée. Il avait initié le mouvement. Ensuite, il avait pris ses distances avec les activités opérationnelles.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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